Troubles mentaux, neuroleptiques et diabète.

Résumé

Les troubles mentaux et le diabète forment une dyade redoutable engendrant une cause de morbidité. Elle incarne un enjeu majeur de santé publique. Les données de la recherche scientifique font état d’une corrélation entre ces deux affections. La coexistence fréquente de ces deux pathologies complexifie la prise en charge du sujet et l’expose à des complications, assorties d’une piètre qualité de vie et d’un avancement de la mortalité.

I Quelques données épidémiologiques

  1. Sur le diabète

Le nombre[1] des personnes atteintes de diabète est passé de 108 millions en 1980 à 422 millions en 2014.

  • Le diabète est une cause majeure de cécité, d’insuffisance rénale, d’accidents cardiaques, d’accidents vasculaires cérébraux et d’amputation des membres inférieurs1.
  • En 2012, on a estimé que 1,5 million de décès étaient directement dus au diabète et que 2,2 millions de décès supplémentaires devaient être attribués à l’hyperglycémie**1.
  • Près de la moitié des décès dus à l’hyperglycémie surviennent avant l’ ge de 70 ans1.
  • L’oms prévoit qu’en 2030, le diabète sera la septième cause de décès dans le monde2.

Une personne meurt du diabète toutes les 6 secondes dans le monde[2], soit plus que le sida, la tuberculose et la malaria.

La majorité des personnes diabétiques ont un diabète de type 2 non insulinodépendantes (76 %). Elles représentent 92 % des cas de diabète traité. Le diabète de type 1 représente 6% des cas de diabète traité.

Sur un registre purement physiopathologique, le diabète de type 2, demeure la forme la plus répandue de diabète. Il se caractérise par une hyperglycémie chronique (excès en permanence de sucre ou glucose dans le sang) résultant, soit d’une carence de production d’insuline par le pancréas pour bruler le glucose et faire baisser la glycémie (taux de sucre dans le sang), soit d’une résistance à l’action de l’insuline en dépit de sécrétions suffisantes.

Parmi les facteurs de risques répertoriés, nous retiendrons uniquement ceux en rapport avec le sujet qui nous préoccupe à savoir la maladie mentale en l’occurrence la schizophrénie, les troubles anxieux, mais également la prise d’antipsychotiques favorisant un accroissement pondéral et une obésité abdominale. Ces syndromes constituent un facteur de risque majeur pour le diabète et les maladies cardiovasculaires.

  1. Sur les troubles mentaux

Les troubles mentaux ou neurologiques[3], concentrent une prévalence élevée et affectent une moyenne d’une personne sur quatre dans le monde à un moment ou l’autre de leur vie. Environ 450 millions souffrent actuellement de ces pathologies, ce qui place les troubles mentaux dans les causes principales de morbidité et d’incapacité au rang mondial.

Les troubles mentaux[4] se situent ainsi au 2e rang, comparativement à 23 % pour les maladies cardiovasculaires et 11 % pour les cancers.

Ii de quoi le trouble mental est-il le nom ?

La notion de trouble mental se construit à partir d’une altération de la pensée, de l’humeur, conjuguées à une détresse et à une distorsion du lien social. Elle s’inscrit dans une prévalence préoccupante et constitue un enjeu majeur de santé publique à l’échelle mondiale. Ce, tant pour la tendance croissante du nombre de personnes atteintes dans un court horizon, que pour la dépense budgétaire que cela occasionne aux états.

III quel rapports entre le trouble mental et le diabète  ?

3.a Diabètes et schizophrénie

Quelques chiffres significatifs de cette corrélation. La prévalence du diabète dans la population schizophrène varie de 15 à 25% comparée à 5 à 7% dans une population du même  gène au Royaume-Uni.[5] La fréquence du diabète transiterait de 3% chez les patients schizophrènes avec un premier épisode psychotique à 16,5% chez les patients ayant contracté la maladie depuis plus de 20 ans.

Concernant les personnes sujettes aux dépressions, le risque de déclenchement d’un diabète est estimé à 17% pour les patients non traités, sachant que ce pourcentage franchirait la barre des 25% pour ceux qui consomment des antidépresseurs, indépendamment d’autres facteurs de risque.

A l’inverse[6], la population féminine étant plus exposée au risque de dépression que la population générale, on estime qu’une femme sur cinq (20%) affectée par un diabète, souffre également de dépression. Ce pourcentage pourrait croitre jusqu’à 53% si le diabète justifiait un traitement à l’insuline.

De plus, le risque de voir se développer des conséquences chroniques du diabète, telle qu’une micro-angiopathie   [7]ou une macro-angiopathie[8], est plus élevé chez des diabétiques dépressifs que chez des diabétiques non atteints de dépression. D’oã¹, cette comorbidité certaine entre diabète et trouble mental.

3.b Quelles en sont les raisons  ?

La relation entre schizophrénie et diabète ne date pas d’hier. Henry maudsley [9]disait en son temps (1835-1918) :  «le diabète est une maladie qui affecte souvent les membres d’une famille où¹ l’insanité prévaut ».

Depuis, nombre de cas ont été listés et exposés dans la littérature médico-psychiatrique. La nature du lien entre ces deux pathologies est complexe, mais néanmoins, des études conduites à l’ère pré-neuroleptique suggéraient que la schizophrénie prédisposerait au diabète.   En effet, certains scientifiques[10] postulent pour la thèse selon laquelle la maladie mentale, dont la démence précoce, constituerait une anomalie de la réponse à l’insuline.

Les patients schizophrènes montrent une insulinorésistance, une intolérance au glucose et des taux particulièrement élevés d’insuline et de cortisol dans le sang.

Rappelons que le cortisol abondamment sécrété en état de stress, agit sur la glycémie en la faisant croitre. Des études génétiques mettent en évidence un lien entre les gènes codant la régulation du métabolisme du glucose et ceux qui prédisposent à la schizophrénie. Ceci conduit à penser qu’un dérèglement du glucose serait intrinsèque à la schizophrénie.

En outre, les schizophrènes se montrent plus enclins à l’accumulation d’une surcharge pondérale ainsi qu’au développements de maladies cardiovasculaires et au diabète tels que nous l’évoquions en amont. L’ensemble de ces affections, sont pour la plupart dues à une piètre hygiène de vie qui s’articule autour d’habitudes ancrées telles que l’usage actif du tabac, une sédentarité, un manque d’activité physique et une malnutrition.

Les facteurs relatifs de la tendance à l’obésité chez les schizophrènes, proviennent d’une part de la pathologie elle-même, et d’autre part, par la prise d’antipsychotiques atypiques. De surcroit, beaucoup d’entre eux demeurent dans une plus grande précarité financière venant nourrir leur autodépréciation (ex  : je ne vaux rien, je n’ai pas de force, je n’y arriverai jamais..). Autant de facteurs compliquant la prise en charge de soi avec une incidence inéluctable sur leur diabète notamment par des complications de types maladies cardiovasculaires.

La consommation d’antipsychotiques atypiques, offrent l’avantage d’exercer sur le plan numéraire, moins d’effets indésirables mais présentent la contrepartie non des moindres, d’accroitre la prise de poids et le risque élevé d’un diabète de type 2.

3.c   Diabète et dépression

Le diabète et la dépression coexistent fréquemment. Il semble que cette cohabitation trouve sa cause auprès du cortisol, un neuromédiateur sécrété en période de stress.

Chez un sujet en dépression, on observe une hypersécrétion du cortisol, favorisant d’une part, une hyperglycémie et réduisant d’autre part, la sensibilité à l’insuline. Le corps devenant par cette action, insulinorésistant.

Or comme nous l’évoquions plus en amont, l’insulinorésistance est favorable au développement d’un diabète.

Le taux de dépression chez les sujets diabétique croit jusqu’à une proportion de   17,6 % versus les non diabétiques pour lesquels le taux se situe à 9,8%.

La dépression semble être un facteur de risque accru du diabète. Sur le plan statistique, cela équivaut à dire que la dépression accroît de 37 %, le risque de présenter un diabète subséquent.

Parmi les antidépresseurs entrant dans la catégorie des tricycliques, ceux-ci semblent exercer une action à la hausse sur la valeur de la glycémie. D’autres classes d’antidépresseurs accroissent le risque d’une prise pondérale. Il en ressort certaines précautions d’usage à prendre à savoir  :   le choix d’un antidépresseur doit considérer d’une part, le risque d’un accroissement pondéral et   d’autre part d’éviter qu’il soit couplé avec un antipsychotique atypique[11].

Iv Antipsychotiques atypique, surcharge pondérale et diabète

Les nouveaux antipsychotiques, dits atypiques, relèvent de diverses classes pharmacologiques :

  • Thiéno-benzodiazépines (clozapine, olanzapine, quétiapine),
  • Benzisoxasole (rispéridone),
  • Benzamide substitué (amisulpride),
  • Benzisothiazolylepipérazines (ziprasidone),
  • Quinolinone (aripiprazole).

La prise de ces antipsychotiques contrairement aux neuroleptiques traditionnels, est associée à un risque d’apparition de troubles métaboliques. En plus d’un gain pondéral non négligeable, s’ajoute de la dyslipidémie[12], des molécules pouvant contribuer au développement d’une insulinorésistance et conduire à un diabète de type 2.

Les maladies cardiovasculaires représentent la première cause de mortalité des patients psychotiques[13]. Le risque d’infarctus serait ainsi 2,5 fois plus élevé dans la population de schizophrènes, par rapport à la population générale.

L’étude Eire[14] a croisé la diversité de l’évolution pondérale chez les schizophrènes traités aux antipsychotiques atypiques (olanzapine, quétiapine, rispéridone), avec l’halopéridol.

La plupart des patients ont un poids stable ou prennent un peu de poids (moins de 5 kg), mais certains peuvent prendre jusqu’à plus de 20 kg[15]. Il a été analysé le gain de poids après dix semaines de traitement.12 la surcharge pondérale la plus importante est enregistrée avec la prise de clozapine et de l’olanzapine. S’en suit un gain de poids modéré avec la rispéridone et le Sertindole. Vient ensuite une prise de poids négligeable, avec l’amisulpride. Le risque est enfin nul avec la quétiapine et la Ziprasidone.

La surveillance du poids passant par une maitrise de l’appétence, demeure complexe parce que cela fait intervenir nombre de neuromédiateurs et de récepteurs centraux. [16] la prise de poids sous antipsychotiques trouve sa raison d’être à partir d’une augmentation des apports énergétiques liés à une augmentation de l’appétit.

L’essentiel de la prise de poids sous antipsychotiques semble s’expliquer par des troubles du comportement alimentaire se superposant à une alimentation de base déséquilibrée telle que : la consommation abusive de boissons sucrées, stimulée par une sécheresse buccale, la consommation excessive de sucreries, la perte de la sensation de satiété favorisant des ingesta excessifs de toutes sortes.

La réduction des dépenses énergétiques est à mettre en rapport avec l’effet sédatif exercé par les neuroleptiques contribuant à une intensification de la fatigue et donc une réduction voir une perte de l’activité motrice[17]. On peut conclure qu’une conséquence directe de certains antipsychotiques atypiques engendre une surcharge pondérale.

V Antipsychotiques et risque de diabète sucré

Un groupe de quatre-vingt-deux patients schizophréniques traités par clozapine, ont été suivis pendant 5 ans. Il en ressort que 50% d’entre eux ont développé une glycémie supérieure à 140 mg/dl durant la période d’observation[18].

Sur un groupe de 22 648 patients schizophréniques traités par neuroleptiques atypiques, 18% d’entre eux présentaient un diabète sucré. La prévalence du diabète augmente fortement avec l’âge, allant de 8% pour les sujets de moins de 40 ans à 2% chez les sujets de plus de 60 ans.

Il existe des disparités entre les résultats de ces études, néanmoins, une concordance existe sur le risque accru de diabète par la prise de clozapine et l’olanzapine, un risque modéré existe avec la rispéridone et la quétiapine et aucun lien de cause à effet n’a été observé entre deux antipsychotiques que sont Aripiprazole et Ziprasidone et le diabète sucré.

VI Conclusion

Le lien avéré entre trouble mental, diabète et surcharge pondérale ne fait plus l’ombre d’un doute.

C’est pourquoi, les recommandations d’usage qui s’imposent sont l’évaluation régulière de la glycémie afin de prévenir un éventuel diabète notamment chez les populations surexposées au risque par leur pathologie mentale.

Les choix pharmacologiques se doivent d’être scrupuleusement évalués notamment au niveau de leurs effets indésirables sans quoi, le patient s’expose à des troubles métaboliques.

La gestion optimum de la pathologie repose sur la bonne médication, la bonne hygiène de vie tenant en compte une alimentation saine et une activité physique régulière.

Dans la mesure oã¹ il s’agit d’une population présentant une vulnérabilité élevée, la bonne prise en charge consiste à entourer le patient d’un panel de spécialistes afin de conduire le patient vers une stabilisation progressive.

[1] source oms  : organisation mondiale de la sante

[2] 1 oms : who global ncd action plan, 2013-2020

[3] who.int

[4] 1 Ministère de la santé et des services sociaux canadien

[5] SCL Gough: diabetes and schizophrenia, Pract Diab Int jan-feb 2005 vol 22 no 1

[6] New York University

[7] atteinte des petits vaisseaux des yeux, des reins et des nerfs

[8] atteinte des gros vaisseaux du cœur, du cerveau ou des jambes

[9] précurseur de la psychiatrie au Royaume Uni

[10] Kohen D.: Diabetes mellitus and schizophrenia: historical perspective.

[11] Diane mcintosh. Recommandations cliniques mars 2008

[12] Concentration trop élevée d’un ou plusieurs lipides présents dans le sang : le cholestérol et les triglycérides. Elle est l’un des principaux facteurs de risque des maladies cardiovasculaires.

[13] fève B. Mécanismes physiopathologiques et recommandations thérapeutiques, complications métaboliques des antipsychotiques. Congrès de la société Francophone du diabète. Paris, 11 mars 2014.

[14] Bobes J, Rejas J, Garcia-Garcia M, et al. Weight gain in patients with schizophrenia treated with risperidone, olanzapine, quetiapine or haloperidol : Results of the EIRE study. Schizophrenia Res 2003 ; 62 : 77-88.

[15] Bobes J, Rejas J, Garcia-Garcia M, et al. Weight gain in patients with schizophrenia treated with risperidone, olanzapine, quetiapine or haloperidol : Results of the EIRE study. Schizophrenia Res 2003 ; 62 : 77-88

[16]Kopelman PG. Obesity as a medical problem. Nature 2000 ; 404 : 635-43.
[17] Baptista T, Kin NMKN, Beaulieu S, de Baptista EA. Obesity and related metabolic abnormalities during antipsychotic drug administration : Mechanisms, management and research perspectives. Pharmacopsychiatry

[18] 16 Henderson DC. Atypical antipsychotic-induced diabetes mellitus. How strong is the evidence ? CNS Drugs 2002 ; 16 : 77-89

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