Chronique d’une colère

« le fondement de la vertu est l’effort même pour conserver son être propre, et le bonheur consiste pour l’homme à  pouvoir conserver son être ’ Ethique de Spinoza Pproposition 18, 4ième partie’

‘’Pouvons-nous nous représenter la colère, sans bouillonnement dans poitrine, sans rougissement du visage, sans dilatation des narines, sans crispation des mâchoires, sans esquisse de vifs mouvements, et à  leur place des muscles flasques, une respiration calme et un visage placide  ? » William James.

Définitivement non mon cher William ! La colère est une émotion primaire, ou universelle et implique un état de changement physiologique, nous y reviendrons plus tard.

La colère est réduite à  une pulsion des masses incapables de scander l’injustice à  travers la modalité d’une réaction digne. Si cette colère est brutalement exprimée elle évite tout ressentiment connaissant le risque d’une cristallisation en haine, ou encore qu’il y ait découragement du sujet, ceci augurerait des lendemains violents. Ce qui parfois vaut à  l’échelle collective, vaut à  l’échelle individuelle.

Aussi quelques sages, nous rapportait Sénèque l’ont définie (colère) comme une courte démence ; car, comme la démence, elle ne se maitrise point, oublie toute bienséance, méconnait toute affection, opiniâtre, acharnée à son but, sourde aux conseils et à  la raison, elle que de vains motifs soulèvent, incapable de discerner le juste et le vrai, exacte image de ces ruines croulantes qui n’écrasent qu’en se brisant

La colère n’est porteuse que de frustration c’est-a-dire d’attentes déçues et de trahisons. Elle est une réaction face à  l’injustice perçue par un sujet ou un groupe d’individus, mais également elle est un marqueur du sentiment d’incompréhension.

Lorsqu’elle est retournée contre soi, elle est quelque fois une façon de confesser sa propre culpabilité par rapport à  ses propres manquements et son impuissance.

Elle incarne d’autres fois une vertu libératrice, au point que le patient en use pour se donner vie, pour exister face à  l’autre vis-à-vis duquel ils se sent diminué, écrasé, vidé de ses forces, voir anéanti. Elle est pour lui rédemptrice et protectrice.
A« la colère, nous rapport Sénèque, est utile, en réveillant l’ardeur guerrière. A» il en sera donc de même de l’ivresse ; elle pousse à  l’audace et à  la provocation ; et beaucoup ont été plus braves au combat pour avoir eu moins de sobriété.

A défaut d’être capable de courroucer contre l’autre, le sujet entre en lice contre lui-même se terre dans un état mélancolique, mais aussi de haine et de vengeance en retournant le geste contre lui. L’autre n’est pas pour autant épargné, il est pointé du doigt comme l’instigateur de son mal-être tout en ruminant ses propres carences, il fait endosser à  l’autre la fonction du coupable.

Une colère qui n’est pas exprimée, contre l’objet peut conduire à  un anéantissement de soi, à  un geste retourner contre soi, ou contre l’autre, voir simultanément les deux.

Lorsque le sujet se représente l’autre comme étant hors d’atteinte, le geste est retourné contre lui-même. Ainsi sa colère mute en haine de soi et en même temps contre l’autre. La colère peut être ce geste qui s’est substitué à  la parole qui ne trouve comme canal d’expression, la violence.

La colère engendre de telles distorsions chez son locuteur, qu’il en devient incapable de trouver la justesse des mots à  prononcer. Car de par la surcharge émotionnelle produite par la colère, le sujet ne trouve plus de mots pour le dire et perd sa capacité de s’exprimer avec justesse.

La colère induit des réactions somatiques traduisant des modifications physiologiques. On observe à cet effet un accroissement du rythme cardiaque et de l’afflux sanguin notamment dans la partie supérieure du corps, d’o๠un rougissement courant du visage. La fréquence respiratoire augmente entrainant avec elle un volume sonore plus élevé de la parole. Une dilatation des narines permettant l’adaptation à une ventilation plus importante. Une contraction générale du corps et en particulier des mains, de la mâchoire et des sourcils qui froncent.

La colère est une pulsion de vie qui permet à l’individu de s’adapter à l’expérience qu’il vit, soit en combattant, soit en prenant la fuite.

Elle est l’expression d’un rejet lui-même sous tendu par un sentiment d’injustice. Dans certains cas les personnes fâchées deviennent agressives. La colère peut être déclenchée pour prévenir des comportements spécifiques perçus comme menaçant.

Lors d’éclats de violence dans certaines familles, il a été observé que le sujet en colère en vient à  s’exprimer avec brutalité, car il perçoit un sentiment de rabaissement et d’ostracisation exercé envers lui par de ses proches.

Pour dépasser la colère commençons déjà par l’apaiser à  partir du langage, or c’est sur ce point précis que la difficulté se situe aujourd’hui.

Comment dire à  un enfant de s’abstenir de répliquer par un acte violent lorsque lui-même en a été victime ?  Traduit autrement, cela reviendrait à  dire : » laisse-toi frapper pour ne pas avoir à être coupable » ». Ou encore, «  »soumets-toi à  l’autorité pour ne pas avoir à  être rendu coupable. Faute de pouvoir rendre justice par soi-même, charge à  elle de te protéger. »

La première remarque venant de l’enfant, consiste à  dénoncer l’inertie de cette même autorité : a€˜’elle ne fait rien et ne comprend rien’’.   Sous entendu, elle est inerte et inefficace, ne cherche que peu à  comprendre. Si elle ne fait est-ce par incompréhension ou incapacité à  exercer le juste châtiment  ? Nous reviendrons sur ce sentiment qu’elle procure qui est celui de ne rien comprendre.

S’agit-il tout simplement d’une façon de contrôler les sujets en leur apprenant depuis l’âge où¹ l’esprit est le plus arable, à  être des citoyens soumis ? Demander d’accepter les choses qui rompent avec le bon sens, c’est se conformer à  l’idéologie dominante.

La parole est de nos jours bien souvent sourde. Comment signifier à l’autre qu’on le comprend, alors que toute compréhension suppose un geste ou une parole qui la corrobore, témoignant de la sorte au sujet qu’il a bel et bien été entendu c’est-à -dire compris ?

Tout le monde a appris à  dire qu’il entend, est-ce pour autant le signe d’une quelconque compréhension ? L’écoute de l’autre est aujourd’hui souvent restituée de façon passive, elle se réduit au son de la voix et non aux mots qui sont énoncés.

Certains mots permettent revêtent une forme d’esthétique alors qu’ils ne sont que des coquilles vides.

Le langage du pervers dévoie ou manipule le sens des mots qu’il entend. Ainsi, l’on dira aujourd’hui ‘’signaler’’, pour exprimer une délation, on usera de ‘’protéger les gens’’ lorsqu’en réalité on veut se substituer à  leur volonté et à  leur action pour les contrôler.

Lorsque les mots sont évidés de leur substance, lorsque le langage manque de précision, ou encore qu’il est travesti, le sujet se sent incompris, la colère gronde et la violence n’est plus très loin.

Calmer la colère, revient à faire preuve de raison par un détachement progressif vis-à -vis des émotions. La raison c’est le bon sens, le bon sens c’est celui qui prévaut lorsqu’on met d’un côté de la balance, la violence sans savoir où¹ et quand viendra-t-elle s’échouer et de l’autre, le calme. Le retour au calme, n’implique pas toujours la soumission, c’est plutôt le renoncement qui en est une. Cela mérite débat.

Mais avant de vouloir guérir la colère, ne serait-il pas préférable de la prévenir, comme le disait Sénèque :’’(la colère) ..de dominer la première irritation, de l’étouffer dans son germe, de se garder du moindre écart, puisque si tôt, qu’elle égare nos sens on a mille peines à  se sauver d’elle car toute raison s’en est allée, dès que la passion vient à  s’introduire et qu’on lui a volontairement donné le moindre droit.’’

En effet, les mécanismes préventifs à la colère restent les plus efficaces pour éviter ses contrecoups. ‘’la colère n’est donc pas utile, même à  la guerre et dans les combats. Elle dégénère trop vite en témérité ; elle veut pousser autrui dans le péril, et ne se garantit pas elle-même » [1]

Faute d’en être totalement maître, l’antidote à la colère reste l’usage du langage permettant le plus souvent de ramener le sujet à  ce qu’il encourt vis-à-vis à  de lui-même, quant au fait de se laisser emporter par la passion. Certains useront de la colère comme exutoire et le langage de la raison aura du mal à se faire une place dans l’univers impitoyable du sujet, tellement son lien social a été corrompu par les échecs de ses relations interpersonnelles, je pense notamment à  ceux qui souffrent d’un trouble de la personnalité, mais pas seulement.

Même dans ce cas, améliorer le lien social au moyen de la transmission d’habilités sociales, permettent un meilleur confort dans la relation à  l’autre.

Prévenir la colère permettrait l’économie de tant de déchainement de haine et de violence, qu’il vaudrait la peine d’investir dans une réflexion profonde pour élargir ce qui constituerait un rempart contre son expression. N’imaginons pas un monde sans colère car elle est une défense, mais simplement un monde dans lequel mission serait remplie pour faire en sorte de diminuer les frustrations par davantage d’empathie et de réalisation des désirs.

[1] Sénèque

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