Réparation due, au nom de la souffrance.

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Lorsque l’individu estime avoir souffert, que cette souffrance lui semble terrible et injuste, il estime parfois que réparation lui est due. Victime, ainsi qu’il se représente, il considère que le monde, l’univers, Dieu, la société, lui est, lui sont, redevable(s) en guise de dédommagement de sa souffrance.

Un patient atteint de schizophrénie, m’a durant un temps tenu le discours selon lequel sa souffrance était à l’acmé de toutes les autres, qu’aucun humain n’ait jamais enduré autant que lui.  Mais que sa raison d’être émanait de l’atre suprême et qu’en retour il en hériterait de toutes les ressources nécessaires pour régner sur l’humanité et son Créateur lui-même.

Au travers cette croyance aux saveurs délirantes, l’inexplicable souffrance de patient trouve sa raison d’être d’une part et suscite l’illusion de la dyade récompense/réparation d’autre part. En d’autres termes l’incompréhensible est justifié par un principe de causalité, selon lequel la souffrance trouve sa raison d’être dans une volonté supérieure et la perspective de réparation en découle nécessairement, bien qu’ici totalement illusoire. Dans le cas qui nous incombe, la représentation d’un Dieu punisseur devient le point central psycho affectif du bonheur et du malheur. Or sans elle, le patient incapable jusqu’ici de réguler ses émotions, pourrait franchir les béances de la folie, ou encore celles de l’autre monde.

Qu’est-ce qu’un psychopathe ? C’est un individu aux tendances asociales, qui fort de sa méprise de l’autre, défie les lois et hait ceux qui les observent. Il jouit de la profanation, de la turpitude, de la dépravation, et de la perversion à l’instar de ces jeunes qui vandalisent des cimetières, s’en prennent aux symboles de l’autorité et de la socialisation comme l’incendie de commissariats ou le saccage d’écoles. Carencés précocement sur le plan éducatif, ils ont été vulnérabilisés et demeurent incapables de régulation émotionnelle. Diane, une patiente trentenaire, s’arrangeait fréquemment pour plonger dans des situations rocambolesques, érotisait le danger par des comportements à risque et n’hésitait pas incriminer la société y compris les personnes de son entourage proche d’être responsables de la perpétuation de ses souffrances. Elle me disait un jour : » mon ami me menace de me me casser la gueule, si je ne lui rendais pas l’argent emprunté ».  »Mais c’est de sa faute » rajoutait-elle,  »fallait pas me le prêter, alors maintenant qu’il attende ».

Se considérant incomprise, elle véhiculait la souffrance dont elle était l’une des victimes de ses propres tribulations. Incapable d’empathie et partant du principe que l’autre est toujours coupable, elle était souvent en conflit avec lui. La souffrance de l’autre lui procurait une jouissance, qui en même temps résonnait en elle comme une réparation.  »Il y a au moins une justice  », disait-elle, cela ne l’empêchait pas le reste du temps de scander l’iniquité.

Le manque d’habiletés sociales et de stratégies d’adaptation, plonge le sujet au cÅ“ur d’ambivalences multiples :  »les hommes sont détestables »/  »Mon conjoint m’a fait plaisir, je l’aime ».      »Je n’aime pas les gens, je préfère rester seul »/  »Je ne pourrai pas vivre sans mon enfant ».  »J’aime qu’on me fasse des compliments » /  »Je ne veux pas qu’on me regarde » €¦  Il oscille entre deux pôles comme nous le voyons au travers ces exemples, au point qui lui soit compliqué de se faire une opinion.

Bien que l’individu soit porteur de nombreux couples d’opposés, l’adulte dans sa dimension psychologique est celui qui parvient à nuancer un certain nombre d’affirmations en adaptant en permanence son regard et en corrigeant ses représentations. Il exerce des jugements moins tranchés et s’inscrit dans la compréhension des choses. Ainsi il favorise son adaptation à l’environnement dans lequel il évolue et notre cerveau fait cela en permanence, au point que nous pourrions subodorer qu’il est configuré pour.

Le bénéfice adaptatif est en même temps extraordinaire, puisqu’au moyen de cette faculté, l’on peut ressentir les mêmes émotions que les autres et donc les partager, habiter le même monde mental que ceux avec lesquels on désire vivre, expérimenter un sentiment d’appartenance, se sentir fortifié par la fraternité comme le fait d’appartenir à une communauté et sécurisé par la familiarité.

La contrepartie exige chez chacun, de percer le monde mental de l’autre, de tenter de déceler ses croyances qui sont des marqueurs de la différence, quitte à heurter ses propres doxas et enfin se figurer qu’un pan de vérité est détenu par tout un chacun, y compris par celui qui ne nous ressemble pas, puisque nul ne détient le monopole de la vérité.

Le cap de la perversion est vite franchi, dès lors que nous nous enfermons dans nos vieilles bonnes croyances, que nous nous cloisonnons vis-à-vis des autres comme si nous n’habitions pas le même monde et nous finissons ainsi par nous persuader que tout nous est dû, que l’autre n’est rien et que son existence entrave notre qualité de vie et accroit nos souffrances. En diabolisant l’autre, nous finissons par revendiquer notre droit abusif et injustifié à la réparation.

Peut-être n’est ce pas réparation qu’il faille rechercher, mais création. La souffrance est l’une des occasions qui est donnée pour faire preuve de créativité et vivre autrement en tentant de trouver des plaisirs ailleurs. C’est l’occasion d’investiguer au fonds de soi, mais également de sortir de soi, d’étendre son regard en direction d’autres horizons   et pourquoi pas ne pas emprunter de nouveaux chemins. L’idée n’étant pas de prôner la souffrance pour vivre mieux, mais le fait de l’expérimenter par dépit, constitue l’opportunité pour explorer d’autres cieux. La souffrance ne grandit que les grands ( Malcolm de Chazal)

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