Les phobiques de l’apprentissage en suspension

La peur d’apprendre est régie par un mécanisme fondé sur des certitudes qui se brisent. Pour un élève en mal d’apprentissage, un ‘’exercice nul’’ est celui dont le contenu ne lui semble plus en rapport avec ce qu’il a appris. C’est principalement une expérience qui marque un temps d’arrêt avec ce qu’il sait, pour aller vers de nouvelles constructions qu’il doit élaborer. Ce temps de pause, initialement propice à la réflexion, qui lorsqu’il se prolonge se transforme en un temps de suspension ou l’enfant s’observe face à une solution qui lui fait défaut, plus qu’il ne réfléchit à la solution. Son esprit ne perçoit que le vide et la frustration qui en découle, comme l’indice s’une dépossession de ses moyens.

La représentation négative qu’il se fait de la ligne blanche engendre un stress qu’il ne sait pas gérer. Il se montre dans l’incapacité de se figurer que le temps de la réflexion est la voie royale conduisant à la découverte de la solution. Il s’imagine que tout savoir acquis, coule de source lorsqu’il est sollicité, à l’instar d’un ordinateur qui restitue une réponse, aussitôt requise par son utilisateur. Il est incapable de combiner les avoirs pour en extraire quelque chose, par refus de s’en donner les moyens. Celui qui apprend à lire par exemple, entre dans un jeu de combinaisons des phonèmes pour décrypter les mots idoines. Lorsqu’il ne sait pas, sa réflexion se dilue pour laisser place à une émotion de peur et un panel de sentiments parasites qui sont en même temps archaïques tels que : un sentiment de vide, d’abandon, de dévalorisation de soi, d’émasculation (privé de ses forces), d’effondrement, de pénétration et de dévoration.

Face à cette montée en puissance de l’anxiété, l’enfant confronté à ces thèmes déstabilisants finit par se sentir à part, il se dévalorise en produisant parfois des attitudes étranges dans le seul but d’une préservation de son équilibre psychique. La phobie de l’apprentissage n’est semble-t-il, que l’entrée en collision des prérequis de l’apprentissage (utilisation des savoirs) avec les stratégies inadaptées que l’enfant met en place pour y répondre, tout en veillant à maintenir un équilibre psychique.  Lorsque l’enfant déstabilisé bute sur une opération mathématique, ou sur la compréhension d’une question, il réagit :

1/ en projetant la responsabilité de ses troubles sur la nullité de l’exercice, celle de  l’école, du prof, les élèves, la classe.. : ‘’ces exercices sont nuls, ils ne servent à rien dans la vie, ou encore  je ne comprends rien, je ne les fais pas’’  puis jette le livre par terre ou encore ‘’ce prof est nul, je ne peux pas travailler’’ enfin :’’cette classe est nulle, tout le monde parle, ou personne ne veut travailler’’…

2/ Il fait appel au corps pour être l’organe de défense, supposé le protéger des ennemis désignés.  En d’autres termes, il va investir son corps pour se doter d’une armure virile, mettant l’accent sur la force du muscle, l’esthétique du corps par le vêtement, la capacité du mouvement dans sa forme violente, en s’agitant, en se clamant au-dessus des lois et au-dessus des autres :’’je parle en classe si je veux…’’ ‘’Je sors de la classe quand je veux’’ ‘’Je me fous du prof..’’.  A l’inverse, la construction du lien social par le respect d’autrui et des lois, la reconnaissance du monde intérieur sont pour lui autant d’agents de ‘’dévirilisation’’, de soumission, de ‘’trucs pour les faibles et les mauviettes.’’

Ce sont ces mêmes garçons qui insèrent dans leurs cahiers ou affichent dans leur chambre, les photos d’hommes carapaçonnés de muscles, tatoués au regard menaçant, à l’effigie d’un Iron Man ou d’un Vin Diesel, ou ces filles qui affectionnent et s’identifient à Lara Croft ou Tomb Raider.

Dans leur représentation, l’usage de la force compense leurs incapacités scolaires et les dispense de la réflexion, de la remise en cause et de l’école. Ils ne connaissent que l’assouvissement de leurs besoins dans l’immédiateté car ils se montrent incapables d’attente et de patience, voir de gérer plus généralement leur frustration, c’est pourquoi l’assouvissement d’un désir transite parfois par un  usage anti social, comme le fait de s’emparer du bien d’autrui, d’y attenter, de porter des propos attentatoires envers l’autre… Ils diront par stratégie défensive, que la réflexion, la retenue, la patience, l’apprentissage sont l’apanage des faibles. ‘’Réfléchir et apprendre ça sert à rien.., ça ne m’intéresse pas !’’

Dans leur organisation psychique, tout est mis en place pour résider dans le paradis des certitudes et fuir l’enfer de la remise en cause qui dans sa puissance, les feront s’effondrer en ébranlant leur virilité.

Car par-delà cette pseudo virilité, demeure l’empreinte d’une fragilité caverneuse entretenue par un environnement scolaire et familial qui n’a su identifier les défaillances psychiques, à l’origine de ce mal-être.  Ces enfants non-initiés à l’épreuve de la frustration, privés d’instruments adaptatifs, ne résistent pas lorsqu’il s’agit de se poser pour réfléchir, d’affronter les manques, de se confronter à l’incertitude. Ils héritent souvent de croyances parentales déstabilisantes qui dénotent d’une représentation écornée de la vie.

Ils ont été empêchés de penser soient par des parents, qui l’ont fait à leur place, soient par ceux qui ont saboté leurs efforts, soient par ceux qui ont manqué de pédagogie pour formuler que le manque est quelque chose qui s’enseigne et don qui s’apprend, que ce soit dans l’apprentissage scolaire, ou dans la vie quotidienne. Obtenir des choses, réaliser ses désirs requiert un temps, en tant qu’il est une pause, ou un temps en qu’il est une période de création visant à obtenir ce qui est ambitionné d’atteindre ou de posséder.

L’enfant face à ses incompréhensions, ne comprend pas et/ou n’admet pas ce temps de suspension si cher à la réalisation. Pour lui, l’assouvissement du désir implique une immédiateté sans compromis :’’je ne veux pas attendre…. je ne veux pas réfléchir…’’

Apprendre n’implique pas uniquement deux habiletés, que sont celle de la compréhension et de celle de la mémorisation, comme on aurait tendance à le penser pour se consoler en tant que parent :’’je ne comprends pas ce qui arrive à mon enfant, il est pourtant intelligent…’’.  Apprendre, c’est aussi se confronter à ses insuffisances, c’est intégrer l’existence de règles et donc de limites à l’intérieur desquelles elles s’appliquent, c’est mettre à rude épreuve ses certitudes et s’autoriser à demeurer quelques temps (courts ou longs) dans l’incertitude, c’est se faire une place dans le groupe, c’est consentir d’être soumis au jugement de ses camarades comme à celui de l’autorité, c’est enfin se soumettre aux règles de l’environnement.

Remédier à la phobie de l’apprentissage ne s’effectue pas avec le concours d’un médicament quel qu’il soit. La phobie de l’apprentissage ne saurait pour rien au monde être médicalisée, sa remédiation doit être cognitive et pour cela, il serait bon que certains parents et éducateurs relisent les contes pour enfants afin d’en discuter avec eux. Car l’enfant possède les mêmes inquiétudes que les héros des contes, doit avoir le parent auprès pour les lui verbaliser afin qu’il prenne à son tour conscience qu’elles doivent être gérées. Désormais, les récits culturels, l’art, le sport constituent ce qui permettra de remédier cognitivement au mal-être de cette progéniture en mal d’apprendre et de s’insérer socialement. Au travers ces pôles, l’enfant entrera aux contacts de ses émotions archaïques en établissant des ponts entre l’universel, l’histoire de l’homme et sa propre vie. Mais par la même occasion, cela permettra à l’enfant de découvrir le plaisir d’apprendre et de comprendre l’importance du savoir dans la gestion de la vie et enfin s’autoriser à apprendre.

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