Pour la psychanalyse, la honte est éprouvée au moment de l’Œdipe, lorsque l’enfant désire le parent du sexe opposé, et qu’il a la honte de ce désir et de ne pouvoir rivaliser avec le parent du même sexe, qui est perçu comme supérieure à lui. Lorsque le sujet ressent de la honte dans sa vie d’adulte c’est lié à la projection d’instances parentales sur des personnages ou des institutions, une répétition donc de la honte éprouvée au sein de la famille en lien avec les imagos parentales.
L’enjeu de la honte s’articule autour du risque d’exclusion. C’est un sentiment complexe qui renvoie à des situations vécues comme honteuses, aux non dits, à des situations de violence. Confondre le sentiment de la honte lié à une situation réelle de violence subie par le sujet, avec la projection d’une instance parentale intériorisée, serait reproduire cette même violence au sein de l’espace thérapeutique.
L’autre caractéristique de la honte est d’être dissimulée derrière d’autres sentiments, comme celui de la culpabilité, qui à son tour engendre la confusion. Cette dernière n’est autre qu’un mécanisme de défense contre le risque de déségrégation mentale.
Il est donc nécessaire de favoriser l’expression de la situation qui a été à l’origine de la honte, et d’analyser les défenses intersubjectives à côté des défenses subjectives. D’où le rôle essentiel de l’environnement dans la construction de soi à côté du rôle joué dans l’enfance par les premières figures d’attachement et d’investissement.
Le psychisme humain est comme un rhizome, prenant racine dans la famille. Celle-ci incarne le lieu d’identification, d’apprentissage et de soutien. Par la suite il est tributaire des groupes auxquels il participe. Le groupe a un effet contenant sur le sujet, il contient des parties dangereuses de lui-même, mais permet en même temps le partage de certaines instances comme le surmoi et l’idéal du moi, soutenant le système de défense du sujet. En contrepartie le groupe attribue un rôle à chaque sujet. C’est pourquoi, le vécu de la honte peut non seulement survenir par rupture d’investissements du sujet sur des objets réels, mais aussi par rupture des investissements dont il est lui-même l’objet de la part du groupe.
La perception de la honte sous tous ses angles, appelle à une analyse des situations de l’enfance au cours desquelles le sujet jeune a été confronté à l’expérience de situations humiliantes durant lesquelles il a également vu ses parents s’y confronter. Plusieurs situations peuvent émerger, même des situations qui ne sont pas en lien avec le sentiment de la honte. Tisseron émet l’hypothèse que l’on peut supposer qu’une personne soit plus sensible au vécu de la honte, du fait d’une fragilisation de son moi, et des enveloppes psychiques. Face à des situations sociales difficiles, du fait de cette fragilisation, la personne perd ses repères internes et ne peut pas mettre en place les réaménagements nécessaires pour faire face à ces situations. Mais mettre l’accent sur cette fragilisation sans intervenir autour des situations humiliantes réelles vécues renferment la personne dans un cercle vicieux : ressentie comme un témoignage de l’inadéquation entre le monde et soi, elle empêche l’ajustement qui permettrait de lui échapper.
Les déterminismes sociaux
Il est fondamental, lorsqu’on le sentiment de honte de tenir compte du milieu social dont le sujet est issu.
Certaines attitudes émotionnelles peuvent représenter une tentative d’affirmer le maintien d’un lien privilégié avec le mode de communication familiale, plutôt que le signe d’un affaiblissement dans la constitution du moi.
Lui permettant de ne pas se couper de ses origines, il aura la tendance à se questionner davantage sur l’histoire familiale. Ce qui pose la question de savoir si une tentative de compréhension des déterminismes sociaux n’est pas une nécessité de dégagement de la honte d’un autre en soi. La compréhension des déterminismes sociaux des adultes qui ont entouré la personne dans son enfance, est aussi un renoncement à la toute puissance du subjectif, et une condition nécessaire à la mise en sens et donc à la symbolisation du récit familial.
L’enfant s’approprie et s’identifie à la honte des parents, à celle que les parents ont vécue ou subie face à des situations humiliantes, liées à leurs conditions sociale et professionnelle. Tenir compte du décalage historique et de l’évolution des mœurs permet dans ce cas-là de pouvoir se dégager de la honte introjectée et se séparer d’une stigmatisation de classe et d’une fidélité.
2. La médiation des images
Tisseron propose une approche thérapeutique de la honte au travers de la médiation d’images. L’image est le moyen privilégié pour accéder à la représentation. Elle permet le lien avec le corps et ce que Tisseron appelle les éprouvés du corps, qu’en APO on appellerait sensation.
Tisseron nous dit combien dans les problématiques de honte, les défaillances du moi sont à l’œuvre, en mettant la personne dans un cercle vicieux. Afin qu’elle puisse symboliser la honte, séparer ce qui lui appartient de ce qui lui a été transmis, séparer les différentes émotions qui créent la confusion, il est important d’oser penser la honte au sein de la cure, de la nommer, mais aussi d’utiliser le partage des images de la part du psychanalyste.
En effet l’image a le pouvoir de donner l’illusion d’un partage psychique, avec une annulation des limites corporelles. L’image assure une identité de perception qui permet de contenir.
Tisseron rappelle que les défaillances des enveloppes psychiques sont importantes dans la honte, et que ces défaillances peuvent survenir à n’importe quel moment de la thérapie, lorsqu’un enfant a éprouvé une excitation qui n’a pas pu être contenu, et a dû recourir au clivage. « Avec de tels patients, l’image permet de réintroduire le corps et les émotions qui le mobilisent. Et le travail du psychanalyste avec eux doit consister d’abord à mettre des images sur leurs propos…un peu comme un créateur de bande dessinée, ou de rébus, met des images sur des textes, mais aussi comme le travail du rêve. » (Tisseron, 1992, p.164). Tisseron donne l’exemple d’une femme qui exprime l’éprouvé du dégoût. Il lui dit « Vous avez eu envie de vomir » (Tisseron, 1992, p. 165). Il prend l’image statique de l’éprouvé corporel, le dégoût, pour la mettre en mouvement par le verbe. « Il s’agit de favoriser la remémoration d’éprouvés corporels à partir desquels se fixent les images » (Tisseron, 1992, p. 165).
Pour des personnes qui n’ont pas été contenue dans une excitation, qui ont été dans une proximité physique avec peu d’élaboration mentale, l’image permet de contenir davantage cette excitation, car elle crée un espace transitionnel. Tisseron propose que le psychanalyste partage une image avec le patient, ce qui a un effet surprise.
Donner une image qui implique le thérapeute dans l’action d’imaginer, permet de signifier que l’image peut être partagée à deux, que nous faisons référence à un langage commun, peut être une culture commune, une sorte d’appartenance, le travail d’association est relancé. L’image permet donc de pouvoir à la fois partager un langage commun, un bagage culturel et social commun, et de contenir.
Tisseron donne l’exemple d’une patiente, Sonia qui lui demande « Je voudrais être sur vos genoux », il parle de l’impossibilité pour elle de s’imaginer, et au fond ce qu’elle disait par-là était « Je n’arrive pas à m’imaginer sur vos genoux ». La renvoyer par l’analyse du transfert à ses carences affectives aurait été répéter cette violence du manque, qu’elle a vécu dans son enfance. Tisseron propose donc de revenir sur le sens de sa demande. Il en déduit que le choix de l’image a permis à Sonia d’accéder à ce qu’elle aurait aimé mais qu’elle n’a jamais eu, (ce que nous appelons en APO énergie conséquentielle), « l’espace de ce qui n’est pas mais qui pourrait être, l’espace imaginaire ». Tisseron décide d’intervenir en la rassurant sur la réciprocité de l’image, qui par son pouvoir de co-création d’un espace commun, permet la connexion à l’éprouvé corporel, à la sensation et donc de relancer l’activité symbolique. Ce faisant il lui répond « Je peux imaginer que je vous reprends sur mes genoux et que je cajole la petite fille qui est en vous comme un père cajolerait sa fille » (Tisseron, 1992, p. 172).
3. Conclusion
Le sentiment de la honte est un sentiment difficile à nommer du fait de son caractère contagieux.
La honte peut être masquée par d’autres sentiments, elle renvoie à la complexité du lien entre la scène psychique et la scène sociale. Elle est souvent liée à des carences affectives dans l’enfance, mais les enveloppes psychiques se confrontent à l’environnement, et à la dynamique sociale. C’est pourquoi il est nécessaire de soutenir la personne dans une mise en mot de la situation vécue comme honteuse, porteuse d’humiliation, et en même temps être à l’écoute du manque de contenant qui lui est souvent lié.
L’image permet, au travers de son pouvoir contenant et de partage, d’aider ces personnes à faire le lien avec leur éprouvés corporels, pour relancer le travail de symbolisation.
Le travail autour de la honte demande au psychothérapeute une certaine sensibilité à ce sujet et une analyse sur le double registre de l’intersubjectif et du subjectif.
Il s’agit donc de valoriser la honte, comme tentative pour le sujet de symboliser et dépasser une violence vécue et subie comme honteuse.
Le psychothérapeute ou psychanalyste doit recréer un sentiment d’appartenance, d’affiliation avec le patient ce qui suppose l’implication de sa subjectivité. Ce qui a aussi l’avantage de mettre le psychothérapeute et le client au même niveau, il y a là un partage qui se fait au sens d’un partage d’être humain à être humain. Et dans cette « descente du piédestal » on peut supposer que cela peut être très réparateur au sens où il n’y a plus de doutes possibles à ce moment là , d’éventuelles positions hiérarchiques différentes, le psychothérapeute occupe une position symbolique si je puis dire ainsi, accessible.