Le point ainsi posé revêt l’allure d’une question philosophique. Bien qu’elle puisse en être une, nous nous bornerons à une approche qui a trait au monde sensible. D’un autre côté, comment rester théorique, lorsque le réel en appelle à tant de réalité ? Il s’agit de définir le sens que nous donnons au réel que nous expérimentons. Le sens a cette particularité d’être subjectif. Il est l’expression d’un sentiment. Donner un sens, c’est parler de soi à travers l’objet, c’est-à-dire parler de sa propre histoire, de ses croyances propres, de ses émotions. Donner un sens au réel, c’est le colorer à partir de notre gamme chromatique propre.
Réel disons-nous ? A quel réel veut on donner sens ? La question reste identique, lorsqu’on évoque le sens à donner à sa vie : de quelle vie veut on parler ? Dire que nous en vivons plusieurs simultanément et tout au long de notre existence, n’est en rien une découverte, mais une question de réel. A quel temps la conjuguer ? S’agit-il de sa vie intime actuelle, ou sa vie professionnelle ? Il en de même pour le réel, qui se doit d’abord d’être segmenté, avant de pointer sur l’un des segments auquel on veut donner la parole ? En d’autres termes, la question du réel étant d’une amplitude océanique, le compartimenter relève de la nécessité, comme préalable à toute quête de sens.
Le sens peut être donné à postériori. L’impression est parfois donnée, d’avoir traversé le temps sans exister, juste en ayant vécu. Comme si nous étions embarqués dans la vie d’un double soi. Exister, c’est étymologiquement, être debout, être stable, cela implique une forme de permanence, dit autrement : c’est avoir trouvé sa place. C’est donc donner sens à un corps extrait de l’argile. Cela s’oppose à vivre, qui consiste en une attitude passive face à sa propre existence. Donner un sens, c’est aussi donner une orientation, une voie. Selon que nous colorons notre existence de sens ou non, nous l’inscrivons dans un tropisme, lequel trace le sillon vers Eros ou Thanatos, vers une construction de soi ou au contraire une destruction de soi. C’est forger son propre destin. Donner sens à son travail, peut-être soutenu par la volonté sous-jacente notamment de construire sa maison. Le sujet suit une voie précise qui fait sens dans laquelle, il peut trouver une forme d’épanouissement. A contrario, s’il ne voit dans son travail qu’une façon de parvenir à survivre, le sens prend l’allure d’une souffrance, d’un supplice dans lequel l’horizon est totalement absent. Il vit sans exister.
L’épanouissement et le supplice, sont alors l’envers et l’endroit d’une même pièce qu’est le réel.