L’Aventure de l’Amer !

L’adversité constitue souvent l’instant opportun pour une remise en cause et une transformation de soi. Victor Hugo et Friedrich Nietzsche offrent deux perspectives distinctes mais convergentes sur la manière dont l’amertume issue d’un ressentiment peut être transcendée, pour opérer à cette transformation qui requiert la traversée de mers houleuses.

Victor Hugo, dans son approche, dépeint l’homme confronté à l’amertume, non pas comme un être qui succombe à celle-ci, mais  qui bâtit un socle à partir d’elle pour devenir un autre, semblable à un champ plantureux. Hugo parle des « hommes-océans », ces individus qui, comme Dante, Shakespeare ou Michel-Ange, ont traversé les tumultes de la vie, les « flux et reflux », et ont émergé plus forts et plus créatifs. Il les décrit comme des « aigles dans l’écume », capables de s’élever après le bouleversement, sans céder au naufrage.

Ces individus, qui au bord de l’abime, ne sont pas miraculeusement transformés, ni empreints d’un regard mendiant les faveurs d’une force supérieure , mais usent de cette confrontation avec l’adversité pour toucher la grâce, pour créer d’immenses œuvres. Ces « hommes-océans » savent non seulement extraire de leur amertume une étrange saveur, mais ont aussi la capacité d’augmenter notre monde, de nous reconnecter à lui lorsque le désarroi nous submerge.

S’appuyer sur son amertume pour devenir autre, comme le suggère Hugo, implique de transformer ce gout de l’amer qui pétrifie dans l’inertie, en une source de force et de croissance personnelle.

L’idée de départ consiste à s’appuyer sur son amertume pour la déguster sans s’en délecter, c’est déjà l’identifier et l’accepter . La nier et ou la fuir, reviendrait à stagner. Il est essentiel de la confronter et de la considérer comme une pan de soi pour mieux en saisir les racines et les tropismes qui  impactent notre vie.

Puis il s’agit de faire usage de cette amertume comme catalyseur conduisant vers la voie de l’introspection. Interroger les causes, c’est s’offrir l’occasion d’une rencontre avec des territoires  inconnus de sa personne et de sa vie, qui nécessitent un changement peut être ou une réévaluation. Et qui mieux qu’une plongée dans l’abime de soi, pour percevoir l’identification de ses propres valeurs et de ses désirs ?

Hugo attire notre attention sur ces « hommes-océans » qui au contact des vents de l’amer, empruntent des  voies, donnent vie à des œuvres grandioses. Leurs passions tristes qui auraient pu les conduire au cahot, leur servent de matériaux. Ainsi leur créativité, est mise au profit de créations artistiques, littéraires, politiques. Les formes d’expression ne tarissent pour celui qui ose se donner la peine de les scruter. Toutes ces créations ouvrent la voie au sens de la souffrance pour la transcender.

Naviguer en eaux troubles, c’est affuter ses résistances et son développement personnel, c’est se frayer une voie de  résilience, qui est essentielle pour se façonner une version autre de soi-même, plus forte et plus sage, plus en adéquation avec ses désirs.

L’amertume offre, pour qui en éprouve le désir, l’occasion de percevoir une nouvelle perspective sur la vie et sur les expériences passées. Elle peut être une source d’apprentissage profond, permettant de tirer les leçons de ses échecs et de ses déceptions. En adoptant une perspective plus étendue, c’est-à-dire en se positionnant au dessus du soleil, les perspectives de gouffres ou de tsunami, peuvent être observées comme des opportunités de croissance personnelle plutôt que comme les étreintes d’un trépas.

Nietzsche, quant à lui, aborde l’amertume comme une surface aride, un désert étendu. Si tous deux essentialisent la confrontation avec l’amertume, Nietzsche se distingue toutefois, dans sa perception de l’amertume en orientant son regard, vers la disparition d’une illusion, celle qui ne crée pas immédiatement une vérité, mais qui plutôt transite par un nouvel espace vide, un désert élargi.

Pour Nietzsche, ce « désert » est notre espace vide, notre singularité propre, mais dont la particularité est d’être imperceptible et souvent désagréable. Il insiste toutefois,  sur le fait que ce vide ne demeure pas sans localisation précise, mais il comporte une adresse, qui est le sujet lui-même. Ce vide, est intrinsèquement lié à notre propre existence. Il rajoute que, nous ne devrions pas voir ce vide comme une sorte de message personnel ou une condamnation de notre existence. Au lieu de cela, il faut comprendre que l’individu,, est simplement un point de vue parmi une infinité de perspectives possibles.

Ce qui signifie selon le philosophe, que nous ne pouvons pas échapper à nous-mêmes. Nous inventons des « on » et des « soi » pour nous distancier et tenter d’approcher le réel et les autres. Mais tout cheminement, toute quête de sens est fondamentalement ancrée dans le soi. Pour certains, cela peut sembler une triste réalité, tandis que pour d’autres, c’est une tentative de dépasser ce qu’il appelle la « morale des esclaves », c’est-à-dire l’esprit de victimisation et d’irresponsabilité.

Hugo et Nietzsche, malgré leurs différences, convergent sur l’idée que l’amertume, loin d’être simplement un obstacle, peut devenir un point d’appui pour la transformation personnelle. Hugo voit dans cette confrontation une source de création et de grâce, tandis que Nietzsche y voit un élargissement de notre compréhension et de notre espace intérieur, même si cela implique de traverser des déserts arides. Les deux perspectives offrent une vision riche et complexe de la manière dont l’homme peut utiliser l’amertume pour se réinventer et élargir son horizon.

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