Le TNF (Trouble neurologique fonctionnel) et l’hypocondrie, se chevauchent parfois dans leur présentation, mais demeurent des entités entièrement distinctes. Toutefois, elles affichent dans certains cas, quelques point communs.
Les symptômes du TNF puisent leurs causes dans un dysfonctionnement lui-même émanant de la façon dont le cerveau gère les signaux sensorimoteurs (moteurs et sensoriels). Rappelons qu’ils se caractérisent par des symptômes neurologiques réels (paralysie, faiblesse musculaire, tremblements, crises non épileptiques, etc.) sans lésion, ni dysfonctionnement organique apparents.
L’hypocondrie, ou trouble d’anxiété lié à la santé, est une préoccupation excessive voire obsessionnelle centrée sur l’idée de contracter ou d’avoir contracté une maladie grave, bien souvent en l’absence de preuves médicales.
Les personnes souffrant d’hypocondrie, peuvent aller jusqu’à surinterpréter des sensations corporelles normales voire mineures, comme des signes de maladies graves.
Bien que le TNF et l’hypocondrie soient deux conditions distinctes, elles peuvent parfois coexister et nous parlerons ainsi de comorbidité ou encore se renforcer mutuellement. Ce, pour plusieurs raisons :
1/ Les deux troubles partagent le sentiment d’anxiété, ou dit autrement, l’anxiété est présente dans les deux troubles. En effet, de même qu’un sujet souffrant de TNF redoute grandement l’apparition de certaines douleurs. Cela constitue par essence une anxiété, lorsque la peur de la survenue de la douleur devient persistante dans le temps (pardon pour le pléonasme). De même qu’un sujet souvent à l’écoute du moindre soubresaut de son corps, réagit avec une vive anxiété.
Dans le cas d’un TNF, des émotions ou des stress psychologiques peuvent être « convertis » en symptômes physiques.
Le vocable de « converti » emprunt du lexique freudien, signifiant que les expériences dites indésirables sont refoulées dans l’inconscient, mais ce faisant elles sont converties en symptômes physiques :’’ «le sujet a refoulé son idée érotique et a transformé la quantité de son affect en sensations physiques de douleur ».
Selon Freud, si le refoulement est une décision inconsciente pour échapper à l’angoisse, la conversion est une conséquence de ce processus, où le corps exprime le conflit psychique non résolu à travers des symptômes somatiques.
Le cas d’Anna O. est l’un des premiers exemples cliniques de conversion hystérique dans la psychanalyse. Anna O., de son vrai nom Bertha Pappenheim, était une patiente de Josef Breuer (mentor de Freud) qui souffrait de symptômes physiques tels que :
- Paralysie des membres,
- Aphasie (perte de la parole),
- Troubles sensoriels (comme des pertes de vision ou d’audition),
- Hallucinations et épisodes de dissociation.
Breuer et Freud ont conclu que ces symptômes étaient l’expression physique de conflits émotionnels non résolus, notamment des désirs et émotions refoulés. Breuer utilisa la méthode de la catharsis, qui consistait à faire revivre à Anna O. ses émotions.
Freud considérait que dans l’hystérie (ce qui correspond aujourd’hui aux troubles de conversion), il y avait un clivage de la conscience : une dissociation entre les pensées conscientes et les émotions ou souvenirs inconscients. Ce clivage est délibéré et intentionnel au sens où le moi cherche à éviter la détresse par le refoulement. Cependant, la manière dont ce clivage se manifeste par des symptômes physiques est involontaire. Freud reconnaît donc une sorte de paradoxe dans la manière dont ces mécanismes de défense fonctionnent : bien que la personne cherche à échapper à une angoisse consciente, le corps finit par scénariser cette angoisse de manière incontrôlable à travers des symptômes physiques.
En d’autres termes, les symptomes ne sont nullement déterminés par une quelconque application de la volonté et de la conscience. De même que la personne ne simulera, ni n’amplifiera ses symptômes imaginaires. Au contraire, ces symptômes sont perçus comme réels et hautement invalidants parfois.
Dans la mesure où les recherches ont évolué en la matière et notamment celles qui ont trait aux neurosciences, elles nous font observer que, dans le TNF, il existe une perturbation des circuits cérébraux impliqués dans le contrôle des mouvements et des sensations corporelles, ou encore un dysfonctionnement dans la communication entre des différentes composantes du cerveau notamment :
- Le cortex moteur (responsable du contrôle des mouvements),
- Le cortex somatosensoriel (responsable de la perception sensorielle)
- Les régions limbiques, comme l’amygdale et l’insula, qui sont impliquées dans le traitement des émotions.
Citons à titre d’exemple, l’amygdale (appartenant au système limbique en charge de la gestion des émotions), peut interférer avec le fonctionnement normal des régions motrices et/ou sensorielles, ce qui conduit à des symptômes physiques réels sans qu’il n’existe de lésion neurologique. Nous y reviendrons plus en détail, lorsque nous traiterons de la perspective des neurosciences liées à ce sujet.
2/ L’hypocondrie, comme étant la peur d’une détérioration de la santé, peut alimenter une vigilance excessive vis-à-vis des sensations corporelles, pouvant exacerber ou créer des symptômes réels notamment :
Des symptômes fonctionnels, à l’instar des tremblements ou des paralysies temporaires, dus à une focalisation hautement exacerbée sur leur corps et leurs inquiétudes liées à la perspective d’une éventuelle survenue d’un mal. Ainsi, une personne singulièrement préoccupée par sa santé peut manifester des symptômes physiques réels, non pas dus à une maladie organique, mais à une réaction psychosomatique.
Plus la personne centralise son attention sur ses symptômes physiques, plus ceux-ci peuvent s’aggraver. Chez le patient souffrant de TNF, cette focalisation excessive peut compliquer la gestion de ses symptômes. De la même manière, une personne hypocondriaque qui se concentre fortement sur ses symptômes pourrait accentuer leur intensité.
Nous dirons donc que les liens partagés entre le TNF et l’hypocondrie se résument à des facteurs anxieux communs, à une perception réelle des symptômes physiques et à un effet amplificateur des symptômes présents.
Perspective neuroscientifique
Les neurosciences offrent une perspective plus précise, moins « magique » sur le phénomène de conversion observé dans les troubles neurologiques fonctionnels (TNF), en se basant sur la compréhension des interactions entre le cerveau, les émotions, et les fonctions motrices et sensorielles.
Bien que le processus soit complexe et requiert bien des recherches, nous faisant dire que le sujet n’est pas encore parvenu à son épuisement, voici comment les neurosciences élucident ce phénomène :
Perturbation des circuits cérébraux
Les neurosciences nous font observer que la perturbation des circuits cérébraux impliqués dans le contrôle des mouvements et des sensations corporelles, se situe à l’arrière plan du TNF. Ces circuits incluent des régions clés comme :
- Le cortex moteur (responsable du contrôle des mouvements),
- Le cortex somatosensoriel (responsable de la perception sensorielle),
- Les régions limbiques, comme l’amygdale et l’insula, qui sont impliquées dans le traitement des émotions.
Dans le cas des TNF, il semble y avoir un dysfonctionnement dans la communication entre ces zones. L’amygdale située dans le système limbique, une région du cerveau impliquée dans la gestion des émotions. Lorsqu’une personne est confrontée à une situation stressante ou traumatisante, l’amygdale s’active pour déclencher une réaction émotionnelle.
L’amygdale peut demeurer en hyperactivation dans le TNF, ce qui signifie qu’elle réagit de manière excessive aux émotions fortes. Cette hyperactivation peut dérégler d’autres régions du cerveau, comme le cortex moteur responsable du mouvement et le cortex somatosensoriel en charge de la perception sensorielle (douleur, toucher, etc.).
Dit autrement, bien que les circuits neuronaux responsables des mouvements ou des sensations fonctionnent normalement, l’impact d’émotions intenses peut altérer leur fonctionnement, engendrant des symptômes physiques tels que des tremblements, des paralysies, ou des douleurs sans qu’il n’y ait de causes physiques sous-jacentes.
Des études en imagerie cérébrale ont pu mettre en évidence, que les régions du cerveau responsables de l’intention de mouvement (comme l’aire motrice supplémentaire) peuvent être activées normalement, mais qu’il se produit une interruption dans l’exécution du mouvement dans d’autres parties du cerveau, comme le cortex moteur primaire. Cela signifie que la personne veut bouger ou ressentir quelque chose, mais que la communication cérébrale étant interrompue, entraîne une paralysie fonctionnelle ou une perte de sensation. Or de la nous observons qu’il n’y a pas de lésion. [1]
Un autre aspect étudié par les neurosciences est le rôle des attentes du patient dans la perception de ses symptômes. Les TNF peuvent être influencés par la manière dont le cerveau anticipe et interprète les signaux corporels. Si une personne redoute de ressentir de la douleur, de la faiblesse ou une paralysie en raison d’un stress ou d’un traumatisme émotionnel, son cerveau peut traiter cette attente comme un signal réel, créant des symptômes authentiques sur le plan physique.
Ce mécanisme implique des régions comme le cortex préfrontal, qui est lié à la gestion des attentes et des croyances, et peut moduler l’activité dans les régions motrices ou sensorielles en fonction de ces attentes.
Le TNF engendre également des anomalies dans le réseau de saillance, impliqué dans l’orientation de l’attention vers des stimuli importants ou saillants. Ce réseau, incluant l’insula et le cortex cingulaire antérieur, pourrait amplifier la perception de certaines sensations corporelles, en dirigeant une attention excessive vers des symptômes physiques, ce qui pourrait maintenir et aggraver les symptômes fonctionnels.
Quant au phénomène de conversion, il est souvent inconscient. Contrairement à ce qui était historiquement pensé (simulations ou hystérie), les neurosciences montrent que les symptômes fonctionnels sont involontaires et qu’ils résultent d’un dysfonctionnement dans la manière dont le cerveau traite les signaux corporels. Les circuits responsables de la volonté consciente ne sont donc pas impliqués dans ces symptômes.[2]
Cela signifie que la personne ne choisit pas consciemment d’avoir ces symptômes. En revanche, leur survenue débouche sur la façon dont le cerveau gère les signaux corporels, à savoir de façon inadéquate et souvent en raison de facteurs émotionnels ou psychologiques refoulés.
Le TNF et l’hypocondrie sont totalement distincts l’un de l’autre. Ils possèdent toutefois des comorbidités dont l’anxiété. Les neurosciences interprètent les TNF comme un dysfonctionnement de la communication entre les circuits cérébraux responsables des émotions, des mouvements, et des sensations corporelles. Le stress ou les émotions intenses peuvent perturber cette communication, créant des symptômes physiques réels malgré l’absence de pathologie neurologique ou lésionnelle. Ce phénomène est sous-tendu par une interaction complexe entre l’hyperactivité émotionnelle, les attentes du patient, et une dysrégulation des réseaux cérébraux impliqués dans la saillance et le contrôle moteur.
[1] « Abnormalities of self-monitoring in functional movement disorders: A functional magnetic resonance imaging study »(2014
« Motor inhibition in hysterical conversion paralysis » (2009)
[2] « Functional Neuroanatomy and the Paradox of Functional Neurological Disorders »