Au cours des dernières décennies, et notamment ces dernières années, de nombreux troubles de la santé mentale ont connu un pic de prévalence ou, à tout le moins, de leur reconnaissance et de leur dépistage. Les facteurs sociaux, économiques, culturels, technologiques et sanitaires, tels que les guerres, les bouleversements sociaux liés à la pandémie de COVID-19, l’essor rapide des réseaux sociaux et la pression grandissante du monde du travail, ont tous apporté leur lot de contribution à cette dégradation de la santé mentale. Parmi les pathologies mentales qui semblent dans l’ère du temps : L’anxiété généralisée, les attaques de panique, le trouble anxieux social et les dépressions majeures arrivent en tête.
En mars 2022, l’Organisation mondiale de la santé a estimé qu’au cours de la première année de la pandémie de COVID-19, la prévalence globale de la dépression et de l’anxiété avait augmenté de plus de 25 %. Vient en seconde position, les troubles liés au stress post-traumatique (PTSD) :
les situations de conflits armés, d’attentats, de catastrophes naturelles, mais aussi l’exposition prolongée à des environnements toxiques (harcèlement au travail, violence domestique, discrimination) contribuent à recrudescence des diagnostics de stress post-traumatique. La médiatisation accrue des violences et l’identification plus systématique des symptômes permettent également de détecter plus fréquemment ces troubles, qui autrefois étaient sous-estimés.
Les données rapportées mettent en évidence que tant l’anxiété que la dépression font partie des pathologies psychiatriques les plus fréquentes. Ces taux de prévalence élevés, tant chez les adultes que chez les adolescents, confirment l’ampleur de la problématique de santé publique que représentent ces troubles. Le texte souligne de manière très claire que la comorbidité entre anxiété et dépression est la norme plutôt que l’exception. Un individu souffrant d’un trouble anxieux présente un risque nettement accru de développer un trouble dépressif majeur, et inversement. Cette interdépendance remet en question les catégorisations rigides des troubles et incite à une vision plus transversale, prenant en compte des facteurs partagés.
Les troubles anxieux et dépressifs dont nous nous préoccuperons tout au long de ces lignes, sont particulièrement comorbides les uns avec les autres. Plus fréquents chez les femmes, que chez l’homme, ils constituent un ratio d’environ deux femmes pour un homme (1, 2′).
Une enquête élaborée à l’échelle planétaire a pu établir que 45,7% des personnes souffrant d’un trouble dépressif majeur à vie avaient des antécédents d’un ou plusieurs troubles anxieux (3). Ces troubles coexistent également généralement durant la même période, et pour cause 41,6% des personnes atteintes de dépression majeure sur une durée de 12 mois connaitront au cours de la même période, un ou plusieurs troubles anxieux.
Concernant les troubles anxieux, on estime que la probabilité d’une comorbidité à long terme avec la dépression varie de 20 % à 70 % chez les patients souffrant de trouble d’anxiété sociale (4), de 50 % chez ceux atteints de trouble panique, de 48 % chez les personnes présentant un syndrome de stress post-traumatique (SSPT) et de 43 % chez celles souffrant de trouble d’inquiétude généralisée. (5).
Les troubles anxieux semblent apparaître plus tôt dans la vie, souvent à la préadolescence, tandis que les symptômes dépressifs se manifestent plutôt à la mi-adolescence ou au début de l’âge adulte. Cette séquence développementale, où l’anxiété précède souvent la dépression, s’avère cruciale pour le dépistage précoce et les interventions préventives.
Les facteurs de risque non génétiques conjugués au développement de l’anxiété et de la dépression s’articulent autour de l’adversité précoce (le traumatisme ou la négligence parentale), du style parental et d’une exposition régulière au stress. Ces facteurs contextuels renforcent la nécessité d’une approche intégrative tenant compte du parcours développemental et des expériences de vie de l’individu dès son enfance.
La dépression et l’anxiété présentent une héritabilité modérée avoisinant les 40%, dont seule une partie du risque génétique est partagée entre ces deux catégories de troubles, regroupés dans la classe des troubles intériorisants.
Le névrotisme constituant une sensibilité émotionnelle accrue, une tendance à la réactivité anxieuse et au pessimisme, apparaît comme un terreau commun, un trait endophénotypique favorisant le développement de plusieurs troubles émotionnels. Cette dimension trans-diagnostique suggère que l’accent thérapeutique mis sur la régulation émotionnelle, l’apprentissage de stratégies d’adaptation et la gestion du stress pourrait bénéficier à la fois aux patients souffrant d’anxiété, de dépression, voire des deux.
Dans la mesure il n’existe pas d’implications comportementales sans intéraction comportementales, on observe alors une altération des circuits préfrontaux-limbiques impliqués dans la modulation des émotions. Les structures telles que l’amygdale, l’hippocampe, et le cortex cingulaire antérieur sous-génuel apparaissent comme des régions clés, communément affectées dans différents troubles psychiatriques. Ces perturbations cérébrales partagées confortent l’idée d’une dimension transdiagnostique de la psychopathologie, dans laquelle des mécanismes neuronaux communs sous-tendent divers ensembles symptomatiques. De plus, la prise en compte de ces circuits permet d’envisager des interventions ciblées, comme la stimulation magnétique transcrânienne (TMS), pour moduler des réseaux neuronaux spécifiques et affiner les traitements.
Sur le registre thérapeutique, la comorbidité anxiodépressive peut compliquer le traitement et augurer d’une réponse thérapeutique plus complexe, à savoir : une plus grande sévérité des symptômes, et un risque suicidaire plus élevé.
Les données fournies par l’étude STAR*D (6), mettent en évidence la complexité de la prise en charge : ainsi, les patients présentant une dépression accompagnée d’anxiété obtiennent en moyenne une moins bonne réponse aux antidépresseurs de premier recours tels que : les ISRS (Inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine) et les IRSN (Inhibiteurs de la recapture de la sérotonine-noradrénaline), tout en subissant davantage d’effets secondaires.
Les nouvelles approches thérapeutiques, notamment l’exploration de l’usage des psychédéliques dans le traitement de la dépression, de l’anxiété et du SSPT, suscitent un intérêt grandissant. Bien que ces stratégies soient encore en phase d’évaluation et qu’elles comportent des défis méthodologiques — notamment en matière d’aveuglement dans les essais cliniques — elles ouvrent des perspectives inédites.
Parallèlement, la mise en œuvre de traitements plus ciblés, tels que l’adaptation de la stimulation magnétique transcrânienne (TMS) en fonction des symptômes prédominants, illustre la volonté croissante d’individualiser les interventions.
Par ailleurs, adopter une approche développementale de la compréhension et de la prise en charge des troubles anxiodépressifs chez l’enfant et l’adolescent offre la possibilité d’intervenir à un stade plus précoce, limitant ainsi le risque de voir ces symptômes s’installer durablement.
La convergence des facteurs de vulnérabilité, l’existence d’altérations cérébrales communes et le chevauchement symptomatique significatif étayent l’idée que la psychiatrie évolue vers une approche transdiagnostique. Plutôt que de compartimenter strictement les patients selon des diagnostics figés, cette perspective propose de considérer les troubles comme des variations phénotypiques s’inscrivant dans un même continuum de dysrégulation émotionnelle, façonné par une combinaison de facteurs génétiques, biologiques, psychologiques et environnementaux.
La complexité inhérente aux troubles anxieux et dépressifs, leur intrication profonde, leurs racines multiples et entrelacées (génétiques, environnementales, neurobiologiques, développementales) ainsi que les défis qu’ils posent aux chercheurs et aux cliniciens incitent à renforcer le dépistage précoce, la prévention, l’intervention ciblée, et à élaborer des traitements davantage personnalisés. Une approche intégrative et multidimensionnelle, englobant à la fois la biologie du cerveau et l’environnement psychosocial, apparaît donc comme la voie la plus prometteuse pour approfondir notre compréhension et améliorer la prise en charge de ces troubles particulièrement répandus et invalidants.
(1) Substance Abuse and Mental Health Services Administration (SAMHSA): Key substance use and mental health indicators in the United States: results from the 2017 National Survey on Drug Use and Health (HHS Publication No. SMA 18-5068, NSDUH Series H-53). Rockville, Md, Center for Behavioral Health Statistics and Quality, SAMHSA, 2018
(2) Kessler RC, Chiu WT, Demler O, et al: Prevalence, severity, and comorbidity of 12-month DSM-IV disorders in the National Comorbidity Survey Replication. Arch Gen Psychiatry 2005; 62:617–627, correction,
(3) Kessler RC, Sampson NA, Berglund P, et al: Anxious and non-anxious major depressive disorder in the World Health Organization World Mental Health Surveys. Epidemiol Psychiatr Sci 2015; 24:210–226
(4) Dunner DL: Management of anxiety disorders: the added challenge of comorbidity. Depress Anxiety 2001; 13:57–71
(5) Brawman-Mintzer O, Lydiard RB, Emmanuel N, et al: Psychiatric comorbidity in patients with generalized anxiety disorder. Am J Psychiatry 1993; 150:1216–1218
(6) Fava M, Rush AJ, Alpert JE, et al: Difference in treatment outcome in outpatients with anxious versus nonanxious depression: a STAR*D report. Am J Psychiatry 2008; 165:342–351