Une étude publiée en 2015 dans la revue Neuropsychopharmacology (1) a montré que, chez l’adulte, une alimentation riche en graisses saturées peut perturber le fonctionnement des circuits cérébraux impliqués dans la régulation de l’humeur, la dépendance et les comportements alimentaires compulsifs, et ce, indépendamment de la prise de poids ou de l’obésité. Le dysfonctionnement de ces mêmes circuits cérébraux, sont impliqués dans les troubles de l’humeur, la toxicomanie et l’hyperphagie.
Cependant, quel impact l’alimentation engendre-t-elle sur le développement psychologique des adolescents ?
Les chercheurs ont observé que des rats soumis à une alimentation riche en acides gras saturés présentaient une altération de la fonction dopaminergique, ce qui suggère une diminution de la sensibilité aux récompenses et une augmentation potentielle des comportements impulsifs. Toutefois, le rôle précis de l’alimentation dans le développement psychologique des adolescents continue de susciter de nombreuses interrogations.
Une étude publiée dans ACS Chemical Neuroscience (2) a révélé qu’un régime riche en graisses durant l’adolescence influait sur la maîtrise de soi. De manière plus spécifique, cette influence se traduit par une altération du contrôle inhibiteur (c’est-à-dire la capacité à réguler des comportements impulsifs) et une prise de décision davantage orientée vers des choix prudents, mais moins gratifiants, lors de scénarios impliquant des risques. En d’autres termes, les sujets préféraient des options sûres mais moins avantageuses plutôt que des alternatives plus risquées et potentiellement plus lucratives. Ce comportement traduit une forme de prudence accrue qui, à l’excès, peut refléter une certaine crainte de l’incertitude.
L’alimentation est l’un des facteurs environnementaux ayant une influence majeure sur le développement cérébral et la recherche de récompenses chez l’adolescent. D’autres facteurs, tels que le sommeil, l’exercice physique et la consommation de substances psychoactives, ont déjà été largement étudiés et ont démontré leur rôle fondamental dans le développement cognitif et émotionnel.
Cependant, les données spécifiques concernant l’impact de régimes alimentaires riches en graisses restent limitées, d’où l’intérêt des expériences de Santiago Mora et de son équipe.
En effet, l’étude a comparé deux groupes de 40 jeunes rats :
- Groupe « cheesecake » : nourris d’un régime riche en graisses.
- Groupe « chow » : nourris d’un régime équilibré.
Une fois adultes, les rats ont été soumis à des tâches impliquant le contrôle de leurs impulsions et des scénarios où ils devaient choisir entre des récompenses « sûres mais petites » ou « risquées mais potentiellement plus grandes ». Les résultats ont révélé que : Les rats ‘’cheesecake’’ réagissaient plus rapidement aux signaux, affichant une impulsivité accrue. Ils avaient tendance à opter pour des choix privilégiant des récompenses plus modestes mais assurées plutôt que des choix risqués.
Les rats « chow » en revanche, ont montré une meilleure capacité à se maitrise et donc à attendre le moment opportun pour réagir aux signaux visuels, indiquant un meilleur contrôle inhibiteur. Cela signifie qu’ils étaient moins impulsifs donc moins enclins à réagir précipitamment.
Par conséquent, les rats « chow » nourris à partir d’une alimentation saine et équilibrée, semblaient avoir développé un contrôle cognitif sain, avec un équilibre entre la recherche de récompenses et l’évaluation des risques. Cela souligne que l’alimentation équilibrée a permis de préserver les fonctions du cortex préfrontal et du circuit mésolimbique, responsables de la régulation des impulsions et de la prise de décision.
Bien que ces résultats concernent les rats, ils mettent en évidence des mécanismes permettant de mieux appréhender les effets d’une alimentation riche en graisses sur le cerveau des adolescents, qui a cette époque de la vie, est en pleine maturation.
Les circuits de la récompense et les mécanismes inhibiteurs du cerveau humain se situent en plein développement durant l’adolescence, période durant laquelle le cortex préfrontal n’a pas encore atteint sa pleine maturité. Une alimentation déséquilibrée pourrait ainsi avoir des effets durablement dévastateurs sur la régulation des émotions, les circuits de la récompense et la gestion des impulsions.
À une époque où la malbouffe continue de séduire une large part des adolescents, malgré ses effets délétères sur la santé physique et mentale, la primauté accordée au plaisir gustatif au détriment du bien-être global a des répercussions sur le développement individuel et collectif de nos sociétés. Il est donc urgent de considérer les conséquences de ces pratiques alimentaires sur le développement cognitif, émotionnel et physique et d’agir en adoptant une alimentation plus équilibrée.
Rappelons selon les données de l’OMS, qu’en 2022, on estimait que 37 millions d’enfants de moins de 5 ans étaient en surpoids ou obèses. De plus, parmi les enfants âgés de 5 à 19 ans, 390 millions étaient en surpoids, dont 160 millions obèses.
Une étude publiée dans The Lancet indique qu’une mauvaise alimentation est associée à un décès sur cinq dans le monde, soit environ 11 millions de morts en 2017. Cette surmortalité est principalement due à des maladies non transmissibles liées à l’alimentation, telles que les maladies cardiovasculaires, le diabète et certains cancers.
Des recherches indiquent que l’obésité et le diabète, souvent liés à une alimentation de piètre qualité, peuvent altérer le système nerveux central, exacerbant les troubles psychiatriques et le déclin cognitif. Ces conditions sont fréquemment associées à des maladies neurodégénératives comme Alzheimer.(3)
Cette étude a le mérite de mettre en lumière la complexité de l’interaction entre alimentation, développement cérébral et comportements à long terme. Elle suscite un questionnement intense et invite à approfondir les recherches sur les mécanismes sous-jacents, notamment sur l’interaction entre l’alimentation et l’axe intestin-cerveau, permettant de mieux cerner les facteurs favorisant un développement neuropsychologique optimal durant cette période critique de la vie.
(1) « Saturated High-Fat Feeding Independently Alters Behavior and Biochemical Indices Associated with Depression and Anxiety in Mice
(2) From Nutritional Patterns to Behavior: High-Fat Diet Influences on Inhibitory Control, Brain Gene Expression, and Metabolomics in Rats 2024
(3) Association between junk food consumption and mental health problems in adults: a systematic review and meta-analysis