Le cyberchondriaque n’est jamais rassuré !
Au cours de la dernière décennie, Internet est devenu l’incontournable plateforme de l’obtention de l’information médicale. Des études révèlent que la majorité des individus s’y tournent désormais pour tenter de comprendre leurs symptômes ou de diagnostiquer d’éventuels problèmes de santé. Toutefois, si l’accès instantané et abondant à ces informations peut être perçu comme valorisant et renforcer l’autonomie vis-à-vis des soins, il n’est pas exempt de risques. Pour certaines personnes, cette investigation en ligne durant lesquelles le sujet ne compte plus son temps, peut s’avérer contre-productive et alimenter une anxiété pathologique. C’est dans ce contexte qu’émerge la notion de cyberchondrie, s’apparentant à une forme d’hypocondrie, induite par la recherche effrénée d’informations médicales sur Internet et en particulier à ce qui a trait à sa propre santé.
Dans l’ensemble des pays développés entre 70 et 80 % de la population adulte aurait, à un moment ou un autre, consulté Internet pour recueillir des informations sur la santé. Par ailleurs, une enquête datant de 2013 indiquait déjà qu’un adulte sur trois tentait d’établir un diagnostic en ligne avant même de consulter un professionnel de santé. Ces chiffres connaissent une évolution depuis une évolution exponentielle depuis la pandémie du COVID-19 en 2020, où la recherche d’informations actualisées est devenue primordiale pour bon nombre de personnes.
La cyberchondrie survient lorsque l’exploration en ligne, qui, au lieu de rassurer, alimente une anxiété démesurée à propos de sa santé. Les modèles cognitivo-comportementaux (1) suggèrent que les individus déjà vulnérables à l’anxiété de santé — ou « anxiété liée à la maladie » — sont plus enclins à s’enfermer dans un cercle vicieux, dans lequel la recherche d’informations censée les apaiser finit par renforcer leurs inquiétudes. L’anxiété peut être débilitante et rendre plus difficile la réalisation des activités quotidiennes. «Les hommes ne sont pas troublés par les choses, mais par les opinions qu’ils en ont.» disait Épictète
Ainsi, bon nombre d’entre eux ont observé une croissance de leur anxiété après chaque consultation en ligne, ce qui les incite à multiplier les vérifications et à s’étendre plus profondément encore dans des hypothèses souvent alarmistes qu’ils finissent par supposées comme vraies. Le cyberchondiaque de par son anxiété et son manque de connaissance scientifique finit par confondre hypothèse et affirmation en passant allègrement de la supposition à l’assertion qu’il déclare comme vraie. Il fait alors preuve d’ultracrépidarianisme, qui signifie littéralement « Cordonnier, pas plus haut que la chaussure ! » dont la forme moderne de l’expression correspond à : « À chacun son métier, et les vaches seront bien gardées. » «La peste de l’homme, c’est l’opinion de savoir.» disait Montaigne (Essais, II, 12).
Bien que le terme «cyberchondrie» — formé d’un mot-valise — soit couramment employé dans le langage courant, il n’a pas encore acquis de statut officiel dans la nomenclature médicale et ne figure pas davantage dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5). Puisqu’il prolonge l’idée même de l’hypocondrie, il reflète un trouble anxieux caractérisé par des recherches frénétiques en ligne à propos de son propre état de santé.
Ses symptômes comprennent une tendance à interpréter toute information en ligne comme potentiellement alarmante et à envisager systématiquement des diagnostics graves. Cet état anxieux peut persister longtemps après avoir quitté l’ordinateur ou le smartphone, se manifestant par une difficulté à se raisonner et une recherche compulsive de réassurance.
Si la vulgarisation des contenus médicaux sur Internet explique en partie l’essor de la cyberchondrie, ses mécanismes et ses conséquences cliniques sont encore à l’étude. Les profils de personnes qui consultent régulièrement des sites médicaux et développent une anxiété de santé marquée demeurent à préciser. De même, on ignore dans quelle mesure des facteurs tels que le niveau d’éducation, l’accès aux soins, ou l’existence d’autres troubles anxieux peuvent interagir avec cette pratique de vérification en ligne.
La cyberchondrie ne constitue pas officiellement un diagnostic, mais il n’empêche que sa prévalence semble élevée. Selon une méta-analyse de 2019, la proportion de personnes présentant un niveau notable de cyberchondrie peut atteindre jusqu’à 43% parmi celles qui recherchent fréquemment des informations sur leur santé en ligne.(2) Une étude transversale publiée en 2023 dans l’International Journal of Environmental Research and Public Health, observent qu’environ 36% des personnes qui effectuent régulièrement des recherches sur leur santé en ligne présenteraient un degré modéré à sévère de cyberchondrie, tandis qu’environ 14% développeraient des symptômes sévères.(3)
Les cliniciens et chercheurs recommandent plusieurs approches pour limiter ce phénomène, notamment : une psychoéducation, un encadrement et une approche critique des informations.
La recherche d’informations médicales sur Internet est un phénomène désormais bien ancré dans nos habitudes, et elle peut apporter une meilleure compréhension de notre santé ou un sentiment de contrôle. Toutefois, elle peut également conduire à la cyberchondrie chez les personnes prédisposées à l’anxiété de maladie, nourrissant un cycle d’inquiétude permanent. Tant que les mécanismes et les facteurs de risque de ce phénomène ne seront pas pleinement élucidés, la vigilance reste de mise : s’informer, oui, mais sans verser dans la panique.
Les recherches futures, associant spécialistes de la santé mentale et experts en technologies de l’information, permettront sans doute de mieux appréhender la cyberchondrie et d’accompagner les personnes qui en souffrent.
Référence
(1) Abramowitz, J. S., Deacon, B. J., & Valentiner, D. P. (2007). The cognitive-behavioral model of health anxiety: A conceptual review. Behaviour Research and Therapy, 45(4), 777790.
(2) Sari, S., Koç, M., & Vural, B. (2023). Prevalence and Predictors of Cyberchondria among Frequent Online Health Information Seekers: A Cross-Sectional Study. International Journal of Environmental Research and Public Health, 20(5), 3912.
(3) McMullan, R. D., Berle, D., Arnáez, S., & Starcevic, V. (2019). The relationships between health anxiety, online health information seeking and cyberchondria: systematic review and meta-analysis. Journal of Affective Disorders, 245, 270278.