L’angoisse du Moi.

L’observation du sentiment d’angoisse chez un certain nombre de patients, a conduit à  une réflexion clinique sur les éléments qui lui ont donné naissance et qui l’alimentent. Freud, Janet, Rosenberg, green et bien d’autres encore s’y étaient profondément intéressés en abordant ce thème sous l’angle psychanalytique et en y apportant un éclairage intense, qui vaut jusqu’à  nos jours.

L’angoisse venant du latin angustia signifiant un resserrement, d’ou¹ cette sensation d’oppression, accompagnée de signes physiques telles que des douleurs thoraciques, de gênes respiratoires, d’accélérations du rythme cardiaque, de sensations de nœuds à l’estomac. Angoisse et anxiété sont quelque peu nuancés l’une de l’autre, bien que toutes deux issues racine émotionnelle commune, qu’est la peur. Le sujet qui souffre d’angoisse, lui livre un combat quasi permanent, en passant parfois par une lutte contre les idées noires. A la moindre apparition, il peut user de toutes sortes de subterfuges pour tenter d’en venir à bout, depuis la consommation d’alcools ou de stupéfiants, en passant par la prise d’anxiolytiques dont les doses vont croissant, jusqu’à l’entreprise de conduites à risque, ou encore une perte du sentiment de réalité (déréalisation), un délire.

Lorsque l’angoisse devient paroxystique, la personne consulte d’abord son médecin traitant, puis par la suite un psychiatre, qui vont prescrire tour à  tour une prise d’anxiolytiques, dont la moindre interruption, ou la tentative de diminution des dosages, la font rejaillir. Le sujet perd confiance et se sent désemparé, ne sachant plus que faire pour la maitriser, sauf à maintenir les doses prescrites dans le meilleur des cas, voir à les augmenter.

Lorsque nous recevons des patients, ils sont pour la plus part d’entre eux médicamentés depuis de longs mois voir des années, certains n’en sont pas à  leur première ni à  leur seconde psychothérapie, mais ils expriment souvent une revendication semblable et répétitive, celle de les aider à  résorber au plus vite cette insupportable souffrance, qui pour certains, a accru la récurrence d’idées noires avec ou non une portée suicidaire, de mutilations et de des passages à  l’acte.

Cette angoisse augure d’une anticipation d’un danger à  venir, qu’elle soit réelle ou fantasmatique et va le plus fréquemment chercher son origine dans les périodes de l’enfance ou l’adolescence et dont le continuum se ramifie durant la vie en plusieurs dimensions de la peur, telles que la scopophobie (peur du regard des autres), l’angoisse d’abandon, celle d’être rejetée, la peur de perdre le contact de soi, la phobophobie (la peur d’avoir peur) et la liste est encore longue.

Certains mettent en place des rituels destinés à  refouler les pensées anxiogènes, ainsi une névrose obsessionnelle assortie de vifs sentiments de culpabilités, peuvent s’y substituer. Pour exemple, Pierrette 38 ans, a régulièrement des poussées d’angoisses pouvant s’étendre sur de longs moments. Puis pour la conjurer, elle commence à astiquer les poignées de portes de son appartement. Une fois la tâche achevée, Pierrette ouvre son livre de prières et parcourt une série de psaumes en sanglotant, implorant intérieurement une aide miraculeuse pour conjurer les dangers que lui aurait suggérée la lecture des incantations. Pour finir, elle avale un anxiolytique.

Ce qui caractérise ces patients, c’est que l’anticipation du danger quel qu’il soit, réel ou chimérique, s’effectue au moyen d’un mécanisme préventif contre l’angoisse par un recours toutes sortes de substituts, tels que l’alcool, la drogue, ou un sédatif.

Ça n’est pas tant le fait de  défier l’interdit qui compte à  leurs yeux, mais paradoxalement certains surenchérissent dans la transgression, comme si elle était dotée de vertus apaisantes. La prise de drogues peut être mise en relation avec une régression orale à  la recherche d’un objet maternel réconfortant. S’ensuit une culpabilité et une morosité qui succèdent à  l’angoisse entravant tout sentiment de triomphe pour laisser place à  de l’inhibition.

Les mécanismes de défense du moi, ont-ils eu le temps de fonctionner ? Pas vraiment, si l’on en juge les effets instantanés des substances médicamenteuses, mais somme toute une fragilité entretenue voir accentuée du moi. Ce point fera l’objet d’une publication ultérieure.

Comment le moi peut-il réagir face à  une montée en puissance de l’angoisse ? Nombre de théories ont été exposées sur le sujet.

Le moi réagirait à  une menace de clivage par le signal de l’angoisse, y compris chez les personnalités  névrotiques  qui,  face à  un tel danger intérieur, mettraient en place des compromis, qui ne sont autres que des mécanismes de défense, tels qu’un développement de symptômes ou des réactions d’évitements. Lorsqu’une personne vit des épisodes d’angoisses destructrices ou des angoisses de morcellement ou encore des sentiments de dépersonnalisation, nous dirons que la pulsion de mort s’est montrée plus puissante que le moi et ce dernier ayant été littéralement submergé, s’est scindé. D’ou¹ l’apparition d’un moi morcelé aux multifacettes.

Nous observons chez les personnes dites état-limites [1](borderline) et psychotiques, des ’angoisses sans nom’’. L’environnement familial et principalement la mère est la plus souvent responsable de par son incapacité à  accueillir la projection des peurs ressenties par l’enfant et lui enseigner comment les accepter. C’est un échec de la fonction de la fonction de symbolisation. S’installe par conséquent chez l’enfant, une peur supplémentaire qui est la peur de la peur pour ne pas avoir trouvé en sa mère, l’adulte capable de l’aider à  non seulement accueillir mais également gérer sa peur et perd par cet état de fait, tout sentiment de sécurité. La férocité des émotions obstruent le besoin d’amour de l’enfant, engendrant une culpabilité et une morosité. Un clivage s’impose entre les satisfactions matérielles et psychiques, le patient même à  l’état adulte, se met en quête d’un confort matériel qu’il ne parvient nullement à  satisfaire, tandis que son désarroi porte sur un manque impossible à  combler.

Que dire de ces personnalités dont la lutte contre l’angoisse transite par des conduites antisociales telles que la toxicomanie ou la délinquance ? L’angoisse est dissimulée et n’apparaît que lors du sevrage ou au cas o๠l’on empêche l’action du patient, c’est-à -dire de défouler son angoisse. Se révèlent alors des structures non névrotiques et parfois psychotiques, avec des atteintes graves du moi. On peut supposer que les conduites addictives ou antisociales sont des tentatives  de  masquer  ou  d’empêcher  la  profonde  désorganisation  de  l’appareil psychique.

Les sujets non psychotiques et non borderlines qui recourent  cependant  à des prises  répétées  d’anxiolytiques, sensés leur procurer des satisfactions, s’exposent à  un risque de clivage du moi pulsionnel.

L’angoisse est un signal retentissant sur le théâtre du corps faisant état d’une conflictualité entre l’appareil pulsionnel et la réalité, dont l’objet reste inconscient.



[1] Borderline : entité clinique se situant à la croisée des chemins entre névrose et psychose. Voir : https://armandshneor.info/2013/02/10/lorsque-letat-devient-limite/

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