Addict du petit sucre.

L’industrie du régime alimentaire ne s’est jamais portée aussi bien. Avant d’en évoquer les chiffres, notons que les français consacrent en moyenne (2010) quotidiennement 2h22 à leur l’alimentation. Au-delà des 3 repas traditionnels, 20% grignotent très souvent entre les repas, dont près de 29% des jeunes. 60% des personnes[1] dans le monde font du grignotage, leur repas. 90% des étudiants et lycéens grignotent dont 25% d’entre eux déclarent le faire par ennui ou par stress.

Les conséquences de cette mal-alimentation, sont un facteur préoccupant et aggravant pour la santé. Une autre étude réalisée dans 63 pays auprès d’un échantillon de 30 milles personnes, a montré que 64% des personnes interrogées suivent un régime alimentaire[2]. Si le régime a le vent en poupe, il n’assure pourtant pas de pérennité dans la sauvegarde d’un poids cible. En d’autres termes, les régimes ne sont qu’une parenthèse temporelle, dont le bénéfice à moyen et long terme et nul.

Essayons d’en comprendre quelques raisons.

La plupart des personnes déclarent ne pas pouvoir résister au fameux grignotage (bonbons, chocolat, chips, popcorn….) ‘’snacks’’ en anglais, dont l’usage rappelle l’addiction. Toutes sont les victimes d’un combat intérieur vis-à-vis duquel, elles finissent par s’incliner : ‘’j’ai mangé une petite salade à midi… je peux m’offrir un petit chocolat.’’ Ces écarts se réitèrent à longueur de journée et les calculs si savamment élaborés, n’ont d’existence que pour rendre acceptable ces petites impostures que chacune d’elles se formule intérieurement. Le déni est souvent poussé à son paroxysme, puisque ces personnes estiment avoir un comportement modéré et n’ont aucune idée des quantités ingérées :’’juste quelques chips et je m’arrête…’’, sauf que les popcorns et les chocolats… y sont déjà passés quelques minutes voire quelques heures avant.  ‘’Demain j’irai faire du sport et ça ira..’’ Le lendemain :’’ je me sens fatigué et puis ça va ce ne sont pas ces quelques gâteaux qui vont me faire prendre du poids’’.

La nourriture et en particulier les sucres, possèdent un remarquable effet lénifiant et sédatant contre un certain nombre de sentiments et d’émotions. Ils dissipent quelques courts instants la tristesse, le sentiment de solitude, la contrariété, l’ennui, l’insécurité… Quelqu’un aurait dit :’’ « On ne peut pas acheter le bonheur, mais on peut acheter du chocolat et c’est presque pareil ».

Des oscillations sont sans cesse menées entre excès et privation, avec à la clé des régimes tout aussi alléchants par leur nom, les uns que les autres, suscitant curiosité et volonté d’expérimenter, mais dont les bénéfices s’inscrivent exclusivement au profit de leurs éditeurs. Quant à leurs usagers, ils cherchent encore le régime de toutes les vertus, celui qui favorisera les excès tout en maigrissant. Celui qui permettra de maigrir sans souffrir. On oublie bien souvent que le but étant de changer de mode alimentaire pour pérenniser dans sa taille de guêpe.

D’autres personnes assument librement leurs excès, leurs surpoids. La réalité, montre qu’elles en souffrent silencieusement, notamment lorsque l’image de soi ou le métabolisme les rappellent à l’ordre. Elles finissent par accepter l’évidence selon laquelle, elles n’exercent aucune maitrise sur elles-mêmes.

De telles personnes ont une préférence pour le prêt à consommer. Elles conçoivent peu le fait de faire des courses et de se préparer à manger, prétextant une perte de temps ou une contrainte à laquelle, elles refusent d’obtempérer. Elles reproduisent un mode alimentaire connu dans l’enfance, désirant que tout soit prêt à être consommé et à profusion, sans échapper à la fin du repas au :’’j’ai trop mangé’’.

Nous sommes plongés au cœur d’une ambivalence : plaisir et nécessité. Entre des papilles gustatives surstimulées procurant une jouissance et un estomac qui n’obéit qu’à une nécessité.

Le plaisir en l’occurrence celui éprouvé par le gout l’emportant sur l’effet gastrique, si bien qu’il devient plus difficile d’appuyer sur la pédale de frein, pour cesser de consommer.

En quoi ces attitudes boulimiques renvoient-elles à des résidus archaïques de l’enfance, donc à de l’immaturité ?  

A peine venu au monde, l’acte qui suit la première inspiration, c’est se nourrir. Le nouveau-né n’a nullement besoin de transiter par une phase d’apprentissage puisque les actes d’ingurgiter et de manger sont des réflexes innés. Celui de manger n’obéit qu’à une fonction évolutive nécessaire, ayant pour but que le nouveau venu assure sa fonction de survie et se développe. Ainsi, il répond et se protège face à un certains nombre d’agents externes qui peuvent lui être parfois hostiles ou le stimuler tels que : le froid, les bactéries, tout en poursuivant un développement.

Avec le temps, l’organisme gagnant de plus en plus en autonomie, devient à même de répondre à ses propres besoins nutritifs. Toutefois, une confusion s’établit rapidement, entre les revendications métaboliques et le plaisir qui en est extrait. Ainsi, on commence rapidement à manger par plaisir et non par faim. L’enfant ne conçoit pas la restriction, d’ailleurs il ne sait pas spontanément gérer la frustration qui en découle, ne compte seul le plaisir qu’il en tire. Comme dans tout circuit de la récompense, son désir de consommer est sollicité en permanence par une sécrétion de dopamine.

Lorsque l’adulte ne parvient pas à circonscrire ce désir au bénéfice même de la nécessité, peut signifier que des résidus de ces attitudes puériles agissent encore en lui. Il ne parvient pas à les transformer par peur, par manque de volonté et de courage.  Ainsi, à l’instar de l’enfant, la nourriture exercera sur lui, la fonction d’un antidépresseur contre l’angoisse, l’abandon, la séparation, la mort, la solitude, l’ennui…

Résister à cette compulsion qui suscite à une consommation alimentaire effrénée devient elle-même source d’angoisse. Les échecs face au désir de se retenir, se cumulent en série. L’aboulie ressentie, ne fait qu’écorner encore et encore une image de soi déjà fragilisée.

Au-delà de ce qui a été exposé, résident en arrière-plan principalement deux modes de défense psychiques qui entretiennent cette compulsion ou cette addiction, identifiés chez l’enfant.

L’enfant insécurisé soit par hyperprotection du parent, soit par un défaut de protection suffisant, peut avoir tendance à se mettre en marge des autres voire à s’effacer. Cette attitude peut tracer un sillon qui pérennise toute l’existence durant.

Premier mode de défense psychique : Déficience et abrogation de soi

Face aux méandres existentiels pouvant être anxiogènes, telles que la solitude, l’absence de sens, la mort, le devoir, la responsabilité, l’enfant pourrait se montrer incapable d’assumer les contours de son individualité et ceux de son existence.

Dès lors, il évitera et refusera toute exposition qui attirera un regard interrogatif des autres. Et pour cause, l’autre lui sera indispensable pour assumer ses propres choix, et prendre des décisions. Il aura une tendance à se positionner à l’ombre des autres, pour ne pas assumer de responsabilités et demeurer toujours en sécurité. Exprimer un ressenti qui l’installe en rupture avec les autres est ingérable. Il préfèrera acquiescer quitte à souffrir et éviter de s’opposer, ce qui pour lui constitue une souffrance insupportable. Ainsi, il optera pour le panurgisme évitant le regard inquisiteur d’autrui et surtout obtenant ainsi une validation. Ne pas faire comme les autres, c’est encourir le risque d’être remis en cause. Beaucoup préfère l’imitation qui sécurise à l’originalité qui expose à la critique.

Cet éprouve un tel sentiment d’impuissance, que pour le gérer c’est-à-dire le rendre acceptable à ses yeux, il se mettra au service des autres sans contrepartie aucune. Il paiera pour être considéré et aimé, sauf, que cette considération lui semble toujours insuffisante. Sa dépendance affective sera entretenue par la hantise d’être seul, de ne pas être considéré de l’autre et pour cela il rendra des services hors du commun, pourvu que l’autre lui assure et le rassure de sa présence, même si cette relation demeure insatisfaisante. C’est par conséquent, une personnalité, qui redoutera en permanence l’abandon au point de scruter les instants d’absence de l’autre qu’il interprètera comme des intentions de séparation : ‘’ça fait 10 minutes qu’il est parti, je ne comprends pas, il ne m’appelle pas. Il aurait dû me proposer de venir’’. Son manque d’estime de lui-même, lui fera penser qu’en tant qu’être inférieur aux autres, il ne mérite par leur attention, ni leur amitié et encore moins leur amour.

Second mode de défense psychique : l’hyper puissance

L’abrogation de soi, comme sentiment, qui comme nous venons de l’exposer consiste à se fondre dans l’autre par incapacité d’assumer son individualité, vise à conjurer des états anxiogènes en usant du déni. Toutefois, cette stratégie de défense du moi bien qu’inconsciente, est énergivore et de fait engendre de l’angoisse.

L’adaptation consiste à compenser des attitudes non plus centré sur l’abrogation de soi et mais sur le dépassement de ses propres limites, elles-mêmes refoulées, pour des raisons de minoration de l’image de soi.

Inversement au premier mode de défense psychique, l’enfant va chercher à se particulariser en se dépassant, voire en transgressant les limites y compris celles qui pourraient le protéger. Ainsi, pour promouvoir son audace au grand jour, il n’hésitera pas à opter pour des choix irréfléchis. Il agira de façon spontanée, en se disant le plus souvent : ‘’advienne que pourra’’ ou encore ‘’ça va marcher’’. Dans la même logique, son excessive estime de lui-même, le conduira à se porter volontaire pour endosser des responsabilités qui lui seront difficiles d’assumer, par manque de capacité, de consentement à l’effort et à la persévérance, par absence de compétences et de difficultés à les acquérir dans le court terme. Son hypertrophie du moi, le poussera à requérir l’assistance des autres, comme étant ceux qui feront à sa place et non ceux qui l’aideront et l’accompagneront dans ses défis hors de portée. L’autosuffisance qu’il affiche, nourrie par un narcissisme exacerbé, lui sert à affirmer son indépendance, scandant que l’autre lui est inutile. Il ignore tout de cet équilibre entre dépendance et autonomie qui anime chacun, de ce spectre de nuances entre le fait de se passer de l’autre tout en ayant le besoin de l’autre pour évoluer. C’est ce qui le conduit à entretenir un positionnement, qui le place au centre du regard des autres et qui le fait adhérer de façon illusoire à sa supériorité.

De même que l’enfant qui ignore les limites, mobilise l’attention de son environnement, allant jusqu’à courir le risque d’une mise en danger de lui-même et des autres.

Cet enfant devenu adulte peut prolonger ces conduites, inadéquates et destructrices ignorant toute vulnérabilité de son être, pourvu qu’il pérennise dans le regard admiratif de l’autre. C’est pourquoi, il surenchérit dans des actes téméraires, audacieux mais non courageux. Il est un danger pour lui et pour les autres.

C’est celui qui va préférer consommer le tout prêt à profusion, pensant que rien ne peut l’atteindre. Et lorsqu’il est accablé, il se précipite pour récidiver.

S’affranchir de ces attitudes inadéquates suppose une prise de conscience de ses propres schémas mentaux et la construction d’un mode de vie autre, dans lequel le soin de soi devient une nécessité et non une parenthèse temporelle qui s’ouvre une fois que le corps lance son rappel à l’ordre notamment par la maladie, ou encore que la piètre image de soi, pousse l’individu soit à se terrer à soit à tonitruer.

Ce n’est évidemment pas le régime qui résoudra le problème d’un moi qui souffre. Ce qui prouve, que le mode alimentaire comme l’attitude doivent être modifiées. Opérer à une transformation ne s’effectue pas par un coup de baguette magique, il faut prendre son temps et accepter de modifier de attitudes qui s’inscriront dans la durée et non dans l’éphémère d’une saison.


[1] Etude de l’institut Nielsen 2017

[2] Chiffres de l’alimentation de l’institut Nielsen

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