Deviens qui tu es.

Au IIIe siècle BC, Plotin, I, 9, § 2 (Belles Lettres, I, p. 87) rapportait que : ‘’le désir ne porte pas sur l’avenir, mais sur le présent ; nous désirons être pleinement ce que nous sommes, mais les hantises du passé et les faux espoirs de l’avenir nous en empêchent, en nous transportant en des temps qui ne sont pas les nôtres :  »Mais, dira-t-on, nous désirons à chaque moment vivre et être en acte ; être heureux, n’est-ce pas atteindre cette fin »?
Nous désirons dans l’instant présent ce que nous voulons pour maintenant et que nous n’avons pas. Le bonheur de demain serait-il plus important que celui d’aujourd’hui et celui d’aujourd’hui plus que celui de la veille ? Or si nous désirons autre chose que ce nous vivons, c’est ce que présentement notre vécu ne nous convient pas, que notre désir aspire à un changement par rapport à l’instant présent. Et puisque en guise de consolation nous avons pour habitude de dire que  »Ã§a ira mieux demain », cela signifie une fois de plus que le présent est insatisfaisant. Préparer un avenir pour qu’il soit meilleur, c’est transformer les modalités qui contrarient notre bonheur, en optant pour celles qui nous semble en mesure d’embellir notre existence et nous restituer une joie de vivre. Comment atteindre ce bonheur, lorsque le désir n’atteint son but que dans l’instant présent ? Désirer c’est pourtant vivre, vivre, c’est chercher à être. Il n’y a d’être que dans le présent, alors pourquoi allez chercher dans le futur ? Pour Plotin, nous ne pouvons devenir ce que nous sommes déjà. Mais qui sommes-nous ? Autrement dit, qui suis-je en tant qu’être individué, mais également comme semblable et singulier par rapport à d’autres, notion chère au philosophe Paul RicÅ“ur ?
Pour désirer faudrait-il encore définir son ipséité: qui sommes-nous ? Or nous sommes le produit de nos expériences individuelles et collectives. C’est à partir de ces deux parcours menés de front, que nous devenons ce que nous sommes et ce sont les sommes de ces actions qui nous fait nous représenter nos manques dont la résultante nous conduit à désirer, c’est-à-dire devenir ce que nous voulons être. Mais, il semble que ce devenir ne cesse de vouloir être, comme si notre existence ne trouvait son dessein que dans une formation éternelle de l’individu, comme si ce dernier, sa vie durant, devait tendre vers un devenir le plongeant dans un effort et une transformation perpétuelle culminant à la fin de sa vie. Nietzsche s’exhortait ainsi dans ‘Fragments posthumes, été-automne 1881’ : « Deviens, ne cesse de devenir qui tu es, le maître et le formateur de toi-même ». Devenir le maître et le formateur de soi-même, c’est demeurer dans la dynamique intarissable de l’effort, conjuguant indissociablement joie et souffrance, sans ne jamais franchir son achèvement. Notre existence n’a-t-elle pas vocation à cela, à savoir, un devenir portant en lui les germes d’un futur aux contours artistiquement flou, se précisant au fur et à mesure de notre progression ?

 

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