Que se passe-t-il dans le cerveau d’un agoraphobe ?

« Nous souffrons plus souvent dans l’imagination qu’en réalité. » Sénèque

Voici le témoignage de Bernard :

« J’ai durant une bonne partie de mon existence, éprouvé un sentiment inconnu. À l’âge de 7 ans, le diagnostic d’agoraphobie m’a été posé, un terme que je ne comprenais pas vraiment, au regard de la précocité de mon âge, comme c’est souvent le cas chez les enfants. À mesure que je grandissais, ma condition ne faisait qu’empirer.

Plus je m’engageais dans la vie, plus je me trouvais submergé par mes pensées et mes choix, devenant de plus en plus conscient de tout et de rien. Passer une nuit chez un ami était une chose que je ne pouvais envisager, sortir manger en famille m’emplissait d’appréhension, et chaque événement sportif auquel je devais participer me plongeait dans une nervosité extrême. La seule solution pour laquelle j’avais opté était celle de tomber de les étreintes de la facilité, en évitant autant que possible l’exposition à ces situations. J’étais devenu un expert en fabrication de subterfuges de l’esquive et de l’excuse. Pourtant, rien de cela ne me semblait avoir de sens, mais je désespérais faute de réponses.

Je me suis efforcé de trouver de l’aide, par le recours à différentes thérapies, à des médicaments, des compléments alimentaires. Je me suis soumis à différents examens sanguins, cérébraux… L’ampleur de mes efforts, ne suffisait pas à soulager ma condition. J’avais fini par croire que la réponse à mes nombreux tourments se trouvait dépourvue de remèdes. J’ai Durant une brève période, renoncé à me soigner. Cependant, plus je négligeais mes problèmes, plus ils prenaient de l’ampleur et cela devenait sans fin. Un état constant de panique et de dépression s’étaient installés en moi. Je me répétais sans cesse que « rien de ce que je fais n’a de sens. » Cette manière de penser me terrifiait, pour autant, je refusais toujours de demander de l’aide.

J’ai toujours été quelqu’un qui savait s’enquérir du bien-être des autres bien plus que du mien. Dans un sens, cela pouvait être considéré comme une vertu, avec une contrepartie de taille consistant en une négligence et un de de mes propres difficultés. Ce qui me faisait me sentir dans un mal croissant. Je me trouvais à l’aube d’une dépression.

De jour comme de nuit mon épuisement psychologique retentissait. Même mon appétit me faisait défaut. Ne parlons pas même de ma motivation, dont j’avais fini par oublier le mot.  Mon sommeil n’en était pas moins épargné, je me couchais à 3 heures du matin pour me lever à 15 heures. Les distractions me procuraient davantage de peine que de plaisir. Je n’aspirai qu’à vivre reclus dans la solitude prenant un malin plaisir à ruminer des pensées ténébreuses, tel un ermite dans l’obscurité de sa grotte.
Quant à ma vie sociale, elle était devenue inexistante, reléguée dans les ombres de mon existence, comme une étoile lointaine perdue dans la nuit. Au travail, des larmes coulaient sur mon visage sans raison. Je ressentais toujours davantage d’incapacité à fournir et mon temps de présence se réduisait au point de faire croire à certains que je ne faisais pas parti du personnel.

J’ai finalement accepté l’idée de me donner une nouvelle chance de me soigner. Je ne voulais plus ne dépendre que de médicaments pour me sentir mieux. J’avais toujours été sceptique quant à l’efficacité d’une psychothérapie, pensant qu’elle n’était pas à tous, dont moi. J’ai fini par trouver le bon thérapeute, quelqu’un avec qui je me sentais suffisamment à l’aise pour m’ouvrir et apprendre. Nos échanges étaient authentiques. J’ai tiré le plus grand bénéfice à partir d’un processus consistant à me plonger en immersion dans tout environnement que je jugeais hostile. Plus je les évitais, moins je m’aidais. Mon esprit et mon corps ne pouvaient changer que si je faisais face à mes peurs. Ce processus était certes long et difficile, mais à la hauteur de ce que j’en attendais. »

L’agoraphobie est un sentiment d’anticipation d’une menace imaginaire en l’occurrence que survienne l’innommable dans un espace ouvert. Son imaginaire, à l’instar de tout anxieux qui se respecte est prolifique tel un jardin luxuriant produisant une abondance de pensées aux tonalités sombres. 

L’agoraphobe tel un alien débarquant dans un environnement étrange, redoute les vastes étendues à l’horizon brumé. Il abhorre par crainte, ces places publiques, théâtres de l’obscur où les visages inconnus sont autant de mystères terrifiant que ceux qui lui sont familiers et pour le coup, inquisiteurs. 

Les rues animées, des sentiers hostiles om chaque pas est un acte de résistance, de combat contre l’ombre de soi et une convergence vers le péril. Les foules tumultueuses et délétères menacent d’engloutir son âme.

Les individus, des barreaux de geôle derrière lesquelles, l’agoraphobe se sent emprisonné. 

Il rêve d’un abri, d’un refuge, d’une ile déserte qui pourrait l’accueillir pour échapper à une tempête, à sa perte.

Les lieux sont pour lui des cages sans issues, où l’air se raréfie et la liberté se fond en brume.

Les endroits éloignés sont des territoires inconnus où l’isolement le hante. Les trajets deviennent des sentiers de souffrance, om chaque mètre parcouru est une torture, une errance.

Il est épris de solitude et de silence  et redoute la symphonie assourdissante de la violence.

Son âme en détresse aspire à l’apaisement dans l’ombre protectrice de son chez soi. Dans le cocon de ses murs, il trouve la quiétude, un refuge contre l’angoisse. Là où le monde extérieur s’estompe en un lointain murmure, mais la solitude l’asphyxie au point de vouloir rompre avec, mais la simple idée le saisit de stupeur.

L’agoraphobie est considérée comme un diagnostic distinct pouvant survenir indépendamment d’autres, tels que le trouble anxieux généralisé ou le trouble panique.

Pour répondre aux critères diagnostiques, faudrait-il que se conjuguent à une échelle de temporalité d’au moins un semestre à une manifestation de conduites incongrues.  Le sujet doit à la fois craindre l’exposition aux lieux publics et redoubler d’astuces pour contourner les situations, par des altérations comportementales ou cognitives.

Cette anxiété ne doit pas être éprouvée dans le contexte d’une menace réelle, ou encore trouvée sa raison au regard d’un contexte socioculturel, ou encore survenir sous l’effet d’une substance ou celle d’un sevrage.

Cerveau au crible.

Les symptômes anxieux et phobiques ne sont pas seulement parmi les symptômes les plus prévalents dans diverses psychopathologies, mais ils constituent une proportion importante des troubles mentaux (1). Les troubles anxieux courants sont le trouble panique et l’agoraphobie, avec des attaques soudaines typiques d’anxiété, et de l’anxiété du fait comme nous l’avions indiqué de se trouver dans des espaces ouverts, territoires à partir desquels, l’exfiltration pourrait se montrer complexe, ou encore lieu dans lequel le secours pourrait ne pas être rendu disponible en cas de besoin, du point de vue de l’agoraphobe dont l’imaginaire est hanté par la pire des trames.

La prévalence du trouble panique, au sein de la population adulte caucasienne dont l’âge compris entre de 18 à 65 ans, sur un segment temporel de 12 mois, serait de 1,8 %, dont 1,3 % souffrirait d’agoraphobie (2). Ce dernier reste de loin le trouble anxieux le plus courants avec des symptômes de comorbidités (3).

Des attaques panique isolées ou des symptômes légers d’agoraphobie surviennent au sein de populations non cliniques et/ou lors d’événements stressants de vie, tels que des réactions de deuil compliquées (4).

De nombreuses études de neuro imagerie récentes menées auprès de patients atteints d’agoraphobie et de troubles paniques, ont permis d’observer une structure cérébrale altérée notamment un accroissement volumétrique de matière grise dans l’insula gauche, le gyrus temporal supérieur, le mésencéphale et la protubérance (5). Les patients atteints d’agoraphobie comorbide présentent de surcroit, une réduction bilatérale volumétrique de l’amygdale et du parahippocampe gauche (6).

Rappelons qu’une telle altération, est due à une hyperactivation de l’amygdale résultant de peurs et de stress récurrents. Quant à celle qui affecte le parahippocampe gauche, elle pourrait engendrer une série de dommages : une détérioration de la mémoire épisodique, entrainant des difficultés à se remémorer des expériences vécues, une mémoire qui peinerait à restituer des itinéraires empruntés maintes fois ou à reconnaître des lieux familiers et même à s’y orienter, un déficit de la mémoire à long terme qui entretiendrait une incapacité évolutive à mémoriser de nouvelles informations, provoquant des oublis itératifs, le tout qui par corollaire déclencherait des troubles cognitifs.

D’autres études ont identifié des changements fonctionnels dans les cortex fusiforme, lingual et calcarine dans le trouble panique avec agoraphobie (7).
Malgré les différences notables entre les divers troubles anxieux, une analyse regroupant les résultats de plusieurs études d’imagerie cérébrale a récemment suggéré que les réductions du volume de matière grise dans le cortex cingulaire antérieur et le cortex frontal inférieur étaient fréquentes et pourraient représenter un domaine où les altérations neurobiologiques se chevauchent (8).

En l’état de nos connaissances actuelles, de nombreuses personnes en bonne santé (n’ayant pas reçu de diagnostic psychiatrique) peuvent éprouver des symptômes d’anxiété en réaction à des événements stressants de la vie, tout en considérant également l’éventualité que cela puisse constituer une phase préliminaire au développement d’une agoraphobie. Par conséquent, il n’est pas clair quels éléments parmi les découvertes mentionnées précédemment sont liés à un continuum neurobiologique présumé représentant différentes intensités d’anxiété, et lesquels sont associés à l’apparition d’un phénotype clinique défini.

D’autres modifications fonctionnelles observées dans le trouble panique incluent des changements métaboliques étudiés grâce à la spectroscopie par résonance magnétique. Les patients atteints de trouble panique présentent une réduction de 22 % de la concentration totale en GABA (acide gamma-aminobutyrique) dans le cortex occipital, ce qui regroupe les zones cérébrales associées au traitement visuel (GABA plus homocarnosine) (9). Il est intéressant de noter que les régions occipitales, responsables du traitement visuel, semblent avoir été agrandies chez les patients souffrant de trouble anxieux social et sont liées à une perturbation du traitement des informations émotionnelles (10).

Cependant, cette observation n’a pas été confirmée, du moins pas récemment(11). Bien qu’une méta-analyse récente des troubles anxieux et de l’humeur, ait associé des activations anormales du cortex occipital à des expériences émotionnelles (12), notre compréhension de ces alternations demeurent encore timides, nécessitant davantage de recherches.

Les individus présentant certaines caractéristiques structurelles cérébrales particulières (notamment au niveau de l’insula et d’autres régions) pourraient être particulièrement enclins à développer non seulement des symptômes subcliniques, mais également constituer une population hautement à risque, dans le développement de troubles anxieux cliniquement manifestes. Il reste toutefois à élucider, la façon dont ces facteurs pourraient interagir avec des facteurs de protection, qui à leur tour seraient liés à une augmentation volumétrique de matière grise dans certaines régions cérébrales et, par conséquent, prévenir la réduction de matière grise observée dans les troubles cliniquement manifestes. Les données sont encore pauvres en la matière et nécessitent davantage de recherches qui verront sans doute le jour dans les mois ou les années avenirs.

Nous pouvons temporairement conclure, que même des symptômes agoraphobiques passagers, liés à des épisodes de stress existentiels, ont un impact sur le volume cortical des personnes en bonne santé, similaire en partie à celui des agoraphobes. D’autres zones, comme le cortex visuel primaire, correspondent également à des résultats fonctionnels et métaboliques observés chez les patients atteints de certains troubles anxieux, suggérant ainsi leur implication dans la pathogenèse précoce. Haut du formulaire

Au regard de l’importance croissante accordée à l’identification des différents types de troubles anxieux nous pourrions plaider en faveur de la nécessité de prendre en considération l’ensemble du spectre des troubles psychiatriques et d’adopter intégrative visant à prendre en considération à la fois les expressions catégorielles et dimensionnelles des symptômes, que ce soit chez les patients ou au sein de la population générale.

1. Craske MG, Stein MB. Anxiety. Lancet (2016) 388:3048–59. 10.1016/S0140-6736(16)30381-6

2. Goodwin RD, Faravelli C, Rosi S, Cosci F, Truglia E, de Graaf R, et al.. The epidemiology of panic disorder and agoraphobia in Europe. Eur Neuropsychopharmacol. (2005) 15:435–43. 10.1016/j.euroneuro.2005.04.006

3. Reed V, Wittchen HU. DSM-IV panic attacks and panic disorder in a community sample of adolescents and young adults: how specific are panic attacks? J Psychiatr Res. (1998) 32:335–45.

4. Bui E, Leblanc NJ, Morris LK, Marques L, Shear MK, Simon NM. Panic-agoraphobic spectrum symptoms in complicated grief. Psychiatry Res. (2013) 209:118–20. 10.1016/j.psychres.2013.03.033 

5. Damsa C, Kosel M, Moussally J. Current status of brain imaging in anxiety disorders. Curr Opin Psychiatry (2009) 22:96–110. 10.1097/YCO.0b013e328319bd10

6. Ferrari MC, Busatto GF, McGuire PK, Crippa JA. Structural magnetic resonance imaging in anxiety disorders: an update of research findings. Rev Bras Psiquiatr. (2008) 30:251–64. 10.1590/S1516-44462008000300013

7. Petrowski K, Wintermann G, Smolka MN, Huebner T, Donix M. The neural representation of emotionally neutral faces and places in patients with panic disorder with agoraphobia. J Affect Disord. (2014) 152–4:454–61. 10.1016/j.jad.2013.10.016

8. Shang J, Fu Y, Ren Z, Zhang T, Du M, Gong Q, et al.. The common traits of the ACC and PFC in anxiety disorders in the DSM-5: meta-analysis of voxel-based morphometry studies. PLoS ONE (2014) 9:e93432. 10.1371/journal.pone.0093432 

9. Goddard AW, Mason GF, Almai A, Rothman DL, Behar KL, Petroff OA, et al.. Reductions in occipital cortex GABA levels in panic disorder detected with 1h-magnetic resonance spectroscopy. Arch Gen Psychiatry (2001) 58:556–61. 10.1001/archpsyc.58.6.556

10. Frick A, Engman J, Alaie I, Bjorkstrand J, Faria V, Gingnell M, et al.. Enlargement of visual processing regions in social anxiety disorder is related to symptom severity. Neurosci Lett. (2014) 583:114–9. 10.1016/j.neulet.2014.09.033

11. Zhao Y, Chen L, Zhang W, Xiao Y, Shah C, Zhu H, et al. Gray matter abnormalities in non-comorbid medication-naive patients with major depressive disorder or social anxiety disorder. EBioMedicine (2017) 21:228–35. 10.1016/j.ebiom.2017.06.013 

12. Pico-Perez M, Radua J, Steward T, Menchon JM, Soriano-Mas C. Emotion regulation in mood and anxiety disorders: a meta-analysis of fMRI cognitive reappraisal studies. Prog Neuropsychopharmacol Biol Psychiatry (2017) 79:96–104. 10.1016/j.pnpbp.2017.06.001

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