Jung disait à la fin de sa vie : »Je suis content que ma vie ait pris ce cours… Je suis étonné de moi-même, déçu, réjoui. Je suis attristé, accablé, enthousiaste. Je suis tout cela, et ne parviens pas à en faire la somme… Malgré toute l’incertitude, je ressens la solidité de ce qui existe, et la continuité de mon être, tel que je suis… La vie est sens et non-sens, ou elle possède sens et non-sens. J’ai l’espoir anxieux que le sens l’emportera et gagnera la bataille’’.
Jung utilise l’oxymore suivant pour parler de l’avenir des êtres : »J’ai un espoir anxieux ». Comment un espoir peut il être anxieux ? A l’inverse comment l’anxieux peut-il espérer ? Nous aurions pu penser que l’espoir fait vivre, car il occulte les conditions qui pourraient engendrer son évanouissement. L’espoir ne se nourrit exclusivement que de ce qui favorise l’aboutissement espéré et en ce sens il est en partie porteur d’irréalisme refoulé, et en même d’une impuissance qui n’ose clamer son expression, de peur de tout faire basculer en transformant l’espoir en un vent d’anxiété qui rendra l’avenir nébuleux.
Jung postule pour une vision bipolaire du sens de la vie, en disant qu’elle est sens et non-sens, et l’oxymore dont il fait l’usage, prend racine dans cette bipolarité du sens et du non-sens réunis de l’existence, dans cette opposition entre ce qui est révélé et ce qui est caché, et de façon générale dans ce clair-obscur de l’existence. L’expérience de la vie, nous transmet ce que nous pensons être un sens, tout en tenant compte du fait que nous n’en possédons qu’une partie microscopique. Que ce que nous qualifions de sens, se borne à la subjectivité de chacun, en fonction de ses perceptions. Reste que chacun, n’intègre et ne comprend qu’une infime parti du sens et tout le reste est soit non sens, soit sens caché.
Le non sens dénote également d’une rupture avec notre sens logique, à l’instar de l’origine du mal, concept auquel nombre de philosophes et théologiens ont buté sans parvenir à sortir de l’impasse. La science bute également à sa manière face à l’aléa, l’immaitrisable. Les interprétations religieuses multiples n’ont eu de cesse de tenter d’en tirer une réponse claire et unique mais elles sont aussi bancales que les conseils que certains sages ont fourni pour tenter d’échapper au mal, car il est un prototype de non-sens.
L’espoir anxieux de Jung, semble revêtir tout son sens logique car il est porteur d’un regard clairement définit vers ce à quoi on aspire, vers ce qu’on souhaite voir aboutir, mais en même temps d’un sentiment d’impuissance face à l’inconnu, l’insondable, l’impondérable, et l’incompréhensible. Nous essayons tant bien que mal avec des efforts plus ou moins entretenus de transformer la part d’ombre que chaque espoir contient, mais nous le savons, ne ferons qu’y tendre sans jamais y parvenir totalement et sommes vouer à composer avec l’incertitude tant que l’être est et demeurera dans cette structure.
D’un autre côté, comment avancer sans espoir ? Comment l’anxieux qui se figure en permanence le clair-obscur de l’existence, ne focalisant que sur la menace que constitue pour lui le non-sens, ne percevant l’avenir que comme un champ d’opportunités vectrices de désastres ? Alors que cette peur du non sens l’obsède, il se fige et n’ose plus rien faire car il voit que la menace se substitue à l’opportunité partout où il balaie du regard les constituants de la vie. C’est alors que cette dernière, source d’anxiété devient source d’ennui et exclusivement de non sens, vaut-elle d’être vécue ?
Nous n’achèverons pas l’inachevé de cette quête de sens, sur le non-sens aux vertus paralysantes, mais sur cet espoir que l’obscur s’éclaircisse toujours plus, même si sa part demeure intarissable, à l’instar du sens qui lui aussi connote la multiplicité qui se découvre au fur et à mesure que l’être accroit son développement et son ascension vers des sphères toujours plus étendues. Il n’y a qu’à en juger à partir de ce qu’il a parcouru depuis les temps les plus immémoriaux jusqu’à nos jours, en composant en permanence avec le non-sens, et qui démontre en même temps qu’il n’y a pas de linéarité dans l’existence.