Nous relevons souvent l’interrogation selon laquelle la vie vaut elle d’être vécue ? Ou encore des personnes s’interroger sur le sens de l’existence, le sens de ce qu’ils entreprennent. William James, pour ne citer que lui, y consacre un chapitre entier dans son œuvre intitulée ˜’la volonté de croire’’. La réponse est laissée à l’exclusive appréciation du sujet lui-même. Les optimistes, trouveraient toutes les raisons de croire en minimisant l’ingérence du mal et en y observant la splendeur de ce monde, les pessimistes à travers leur mélancolie, le regard orienté en direction de leurs échecs à répétition, sur l’injustice, sur les élucubrations et les abominations de l’être humain, n’y verraient à travers ce prisme que le triomphe d’un mal inhérent au monde et par conséquent une vie dépourvue d’intérêt qui ne vaut simplement pas d’être vécue.
La vie vaut-elle ou non d’être vécue ? La question ainsi posée sur un mode d’expression binaire, enferme le sujet entre deux possibilités, conduisant les plus pessimistes à abonder vers la négativité de cette assertion, quant aux optimistes, sans aucune nuance, ils déclarerons digne d’être vécue, comme si tout y est rose.
Certains défenseurs de cette dualité considèreraient, le suicide comme une formidable, alternative pour qui refuse une telle vie. Nous nous situons à une époque dans laquelle l’individualité prévaut,¹ le sujet se montre récalcitrant à toute autorité venant lui imposer le joug de la vie, surtout lorsqu’elle ne se dévoile à l’individu sous ses aspects les plus ternes, les plus mélancoliques. Ceux qui revendiquent auprès de leur médecin l’abrogation de leur souffrance profonde par celle de la vie, est l’exemple illustratif de cette tendance actuelle à montrer que l’individu demeure propriétaire de ses jours vécus.
Nous proposons d’envisager la problématique sur un champ plus étendu, non subordonnée à l’acceptation ou on de la vie, mais plus à travers ce qui peut être envisagé selon la meilleur voie possible dans ce monde. En d’autres termes, puisque l’individu est parachuté dans cette existence sans son consentement, que peut-il en faire pour qu’elle soit la meilleur possible, après tout ne tient-il pas en bonne partie à lui d’en fixer les termes ? La question ainsi posée, engage l’être comme un acteur à part entière de son existence, non seulement à sa propre échelle mais à celle de la collectivité.
Agir pour que sa vie, soit la meilleur possible, c’est aller chercher ce qui en soit fait sens et œuvrer pour son développement. Le sens de sa vie est la question la plus pressante qui soit, disait Albert camus. Cela ne se borne pas à une seule chose, mais à une multitude d’éléments. Certains ne choisiront qu’une seule cause vis-à -vis de laquelle ils dédieront une bonne partie de leur vie, tandis que d’autres s’engageront dans une pluralité de causes à différents stades et/ou époques de leur vie. S’engager, c’est omettre un tant soit peu sa propre finitude en se comportant avec un sentiment d’éternité. Bien que l’idée d’éternité puisse connoter une forme de puérilité voir de rupture avec les conditions de la réalité, serait-ce peut être la seule attitude favorisant la mobilisation de soi pour un projet conduisant à l’éclosion d’un des sens à son existence ? Certains y trouveront un épanouissement au travers des relations interpersonnelles constructives et fructueuses. D’autres au travers une quête des vertus supérieures dans lesquelles s’était lancée une panoplie de philosophes depuis les temps les plus immémoriaux. Ainsi, léon tolstoï qui apres avoir connu la gloire, traverse à partir de la cinquantaine, une descente aux enfers ponctuée de désespoir, le conduisant au bord du suicide. Lors de sa période de rémission, il a apporté un éclairage singulier sur la définition de la foi :’’vers ces immenses masses d’hommes simples, ni savants ni riches » dont la foi simple le bouleverse profondément et l’amène à cette certitude : « je compris que la foi n’était pas seulement le dévoilement des choses invisibles, ni une révélation (…), ni la relation de l’homme à dieu (…), mais que la foi était une connaissance du sens de la vie humaine, grà¢ce à laquelle l’homme vivait plutà´t que de se tuer. La foi était la force de la vie. Tant que l’homme vit, il doit croire à quelque chose. S’il ne croyait pas qu’il faut vivre pour quelque chose, il ne vivrait pas. »
Vivre pour quelque chose, c’est croire que celle-ci resonne en soi, incitant la volonté à activer ses moteurs, au point de parvenir à désirer et à agir. La quête du sens de sa vie, n’est révélée qu’à celui qui désire profondément faire l’expérience de son existence le plus souvent parsemée de creux, de bosses, de chemins sinueux, sombres, boueux, ensablés, clairs, lisses, glissants, à la pente raide et la liste est encore longue, pour exprimer l’idée selon laquelle une réflexion profonde vis-à -vis des évènements de sa vie, attend tout celui qui désire en dégager le sens. Explorer sa vie pour en extraire le sens, c’est aussi analyser ses croyances et comprendre ses attitudes, mais aussi analyser les évènements qui nous impliquent et qui nous interpellent.
Explorer le sens, c’est en même temps percevoir le mouvement et l’évolution de son identité propre.
La quête de sens, peut engendrer une certaine tension plus qu’un équilibre interne[1]. Cette dernière demeure indispensable puisqu’elle constitue ce qui alimente un mécanisme de survie. Nietzsche soutenait à juste titre l’idée selon laquelle toute personne dotée d’une raison de vivre (celle-ci étant la résultante de la quête de sens) résiste à toute épreuve. Les plus aptes à survivre parmi les prisonniers des camps de concentration nazis étaient ceux qui s’étaient fixés un objectif à atteindre après leur libération. Ceci démontre que l’équilibre mental, est fondé sur une tension entre ce que l’individu réalise et ce qu’il aspire à réaliser. Il est mis à rude épreuve lorsque la quête de sens de l’existence devient un thème d’actualité pour l’individu. C’est ainsi, que des contenus inconscients émergeront à la conscience et étendra chez l’être sa perception du sens. Tout individu a besoin de se sentir appeler par une cause clairement définie dans son esprit pour se réaliser.
Certains soutiennent que les raisons de vivre et les valeurs de l’individu ne sont rien d’autres que des mécanismes de défense et de sublimations. Toutefois, l’être humain peut vivre pour préserver ses idéaux et ses valeurs. Mais ça n’est pas tout, certaines personnes trouvent un sens à la vie à travers la relation d’amour. En effet, celui qui se sent aimé, découvre au travers cette expérience de l’altérité, des potentialités parfois insoupçonnées, qu’il va s’efforcer d’utiliser au profit d’une cause qu’il pourra en même temps découvrir.
D’autres personnes, trouveront un sens à travers la souffrance, l’idée n’étant pas de postuler pour son caractère indispensable, mais il arrive que certaines tranches de vie soient ponctuées de nombreuses souffrances allant jusqu’à laisser germer l’idée d’en finir de façon directe ou plus en douceur.
J’ai demandé à une personne que je traitais et qui avait changé de vie, comment cela s’était passé depuis un an. Elle me répond de façon perplexe :’’ca va ! Enfin l’essentiel est que les enfants s’épanouissent’’. Elle avait opté pour le sacrifice et sa souffrance avait un sens concentré sur le bien-être de ses enfants.
Il arrive qu’une personne ne trouve pas de dénouement à une situation s’étendant sur une certains temps, que ce soit dans son travail ou dans sa vie personnelle, la souffrance devient alors inéluctable et génératrice d’anxiété. Lorsque ces aléas et ces inconforts de l’existence sont vécus avec témérité, c’est que celle-ci conserve tout son sens et le combat procure à son combattant une raison à partir de laquelle il s’auto-réalise sur ce segment de vie.
S’interroger sur le fait que la vie vaille ou non d’être vécue peut occuper le temps d’une vie, mais la lourdeur de ce questionnement et sa conséquence sur l’humeur, fait encourir le risque de vivre une existence mélancolique dans laquelle toute entreprise serait vouée à être perturbée.
C’est pourquoi, s’interroger sur le sens à donner à sa vie par les actions qui sont menées, permet d’en relativiser la rudesse.
[1] Viktor Fränkel : découvrir un sens à sa vie.