Pour des enfants, survivre à un abandon précoce intense et durable augure d’une absence de trace d’attachement sécurisant dans leur mémoire. Ceci reviendrait à dire qu’elle est exempte d’une empreinte de souvenirs agréables. De fait, nombre de choses les effraie (la peur des autres, la peur de se montrer, la peur de mal agir, la peur de ne pas y parvenir, la peur d’être anéantie..) et ne parviennent à s’apaiser temporairement qu’au travers des actes d’automutilation ou encore de comportements autocentrés. Il leur est difficile voire impossible d’envisager des substituts affectifs puisque leur mémoire n’en possède pas le moindre vestige, pas plus qu’elle ne détienne de trace de créativité transitionnelle ou de récits culturels ou encore simplement de ligne d’horizon qui favorisant la visibilité d’une existence dans un futur.
C’est à l’adolescence, que ces enfants qu’on croyait insoumis, effrontés défiant toute autorité, allant vers les extrêmes, souvent mêlés à des bagarres, ou à des affaires de délinquance, tombent aisément dans les filets du premier gourou qui passe leur proposant un cadre sévère qu’ils adoptent paradoxalement. Il arrive également qu’ils trouvent dans un établissement pénitentiaire, une armée, un hôpital psychiatrique, un cadre réglementaire qui les protège contre leurs propres démons, parce qu’ils s’affranchissent d’un libre arbitre dont ils ne savent faire usage. La liberté de choix est devenue l’épreuve qui les fera succomber, d’où¹ l’acceptation d’une cette main de fer, qui les tient et les sécurise. N’ayant jamais eu la possibilité de construire un attachement symbolique à un objet ou autre signifiant (une école ou un espace communautaire), ils s’y soumettent.
Apaisés, ils trouvent un réconfort éphémère dans un projet illusoire dont ils ne tardent pas à s’apercevoir, qu’il ne répond nullement à des attentes qu’eux-mêmes sont souvent incapables d’identifier et de qualifier. A l’image de quelqu’un qui souffre sans savoir ce qu’il a et qui prend un antalgique pour apaiser sa douleur, sachant que celui-ci ne soigne pas. Il s’apercevra peut être par la suite, qu’il n’aura pas toujours répondu à sa souffrance par un soin adapté.
Ces enfants ont souvent une perspective limitée, au point de croire que ce qui ne se voit pas ou qu’ils ne voient pas n’existe pas, que les choses auxquelles ils renoncent, cessent d’exister, ils ont le plus grand mal à imaginer que le monde continue de se développer et de perdurer car ils demeurent assujettis à l’instantané auxquels ils réagissent aux stimulations. Vivant au jour le jour, ils n’ont pas de rêves à réaliser, pas même d’histoires à raconter, leurs carences affectives résonnent comme une leucotomie mentale.