Addiction et dépendance : ce temps de l’esclavage
L’addiction est une pathologie qui se rapporte autant à des produits dans leur sens le plus étendu qu’à des conduites répétitives (comme le jeu, la boulimie..). Elle se caractérise par une envie irrésistible et qui ne tarit pas, en dépit d’une lutte à laquelle se livre le sujet.
Le terme d’addiction est issu du latin, ad-dicere « dire à ». Son histoire s’insère dans le temps de la civilisation romaine, lorsque les esclaves n’avaient pas de nom propre et étaient dits à leur Pater familias[1]. Le terme d’addiction exprime une absence d’indépendance et de liberté et renvoie à ce concept d’esclave.
Bien des millénaires plus tard, au travers sa correspondance avec Wilhelm Fliess, Sigmund Freud fait le premier, usage de ce vocable incarnant l’idée d’un « besoin primitif » faisant partie de la condition de tout être humain : l’infans qui est dépendant de sa mère pour sa survie. Nous l’observons de façon étendue, à la lumière de l’éthologie chez certains animaux.
Si l’addiction se traduit par une attitude de soumission face à un objet ou une conduite, il y a tout de meme lieu de différencier entre les réactions qu’engendrent leur usage. Durant des lustres, les substances comportaient la réputation d’être neurolétales, c’est-à-dire détruisant un certain nombre de neurones. Cela est vrai pour des substances comme l’alcool ou les amphétamines, mais cette mort neuronale n’induit en rien une addiction. La cocaïne comme l’héroïne ne sont pas neurotoxiques, en revanche cela ne les empêchent d’entrainer une addiction.
Les substances n’affectent pas toutes le cerveau de la même manière de sorte que les modes de réactions sont également changeants. Ainsi, certaines entraineront une dépendance, tandis que d’autres une addiction et d’autres encore les deux en même temps. La dépendance implique la souffrance due au syndrome de sevrage par l’arrêt de la consommation. L’addiction, quant à elle, est l’irrésistible envie de consommer, ce qui nécessairement se caractérise par un usage accru et sans limite. Les opiacés qui sont des substances dérivées de l’opium agissent comme une double peine, produisant à la fois dépendance et addiction, différemment de la cocaïne qui n’entraine que de l’addiction. Nul ne se trouve à l’abri de la dépendance, la morphine à usage médical, utilisée comme antalgique, rend son usager dépendant à partir d’une prise répétée durant quelques jours.
Ces substances ont toutes un point commun qui est celui d’activer le circuit de la récompense par l’augmentation de la concentration en dopamine, neurotransmetteur de la motivation. Par conséquent, l’usager s’enferme dans la spirale d’une consommation récurrente.
L’alcool et le tabac n’ont pas d’effets amoindris et agissent au même titre que les autres. Quant au jeu, au sexe, au shopping compulsif, aux écrans, ils sont aussi des activateurs du circuit de la récompense, produisant une sécrétion importante de dopamine, créant une sensation de plaisir, procurant à son tour le désir de reproduire in fine l’expérience génératrice de plaisir.
Nous comprenons ainsi, que s’en défaire exige de s’auto-livrer quelques combats, d’autant que la dépendance comme l’addiction répondent le plus souvent à des vécus anxiogènes et affectivement carencés. La thérapie par stimulation cérébrale profonde, modifie l’activité neuronale au moyen, d’un courant électrique, assortie d’un traitement pharmacologique, produit quelques effets positifs. Néanmoins les attentes sont importantes et les résultats ne sont pas toujours à leur hauteur malgré les recherches avancées en neurosciences. Il est par conséquent important pour davantage d’efficacité de coupler le traitement physico-pharmacologique, avec une psychothérapie de choc.
[1] Le pater familias (« père de la famille » en latin) était l’homme de plus haut rang dans une maisonnée romaine, qui détenait la patria potestas (puissance paternelle) sur sa femme, ses enfants et ses esclaves. Cette potestas était « de vie ou de mort », et était viagère : elle ne s’éteignait, sauf adoption, qu’à la mort. Il s’agit également de l’homme le plus vieux de la famille. Le respect est donc un élément primordial de la figure du pater familias.