Les addictions qui tuent.
On note, aux États-Unis, un accroissement du taux de mortalité notamment par la voie du suicide et des overdoses d’alcool et de drogues. Parallèlement à cela, la surconsommation d’alcool et de stupéfiants constitue un facteur aggravant des maladies cardiovasculaires et celles liées à l’obésité.
À l’échelle mondiale, environ un demi-million de décès sont attribuables à la consommation de drogues. Plus de 70 % de ces décès sont liés aux opioïdes, la cause de décès étant dans plus de 30 % de ces cas une surdose.
Alors qu’il existe des interventions permettant de traiter la dépendance aux opioïdes et de réduire le risque de surdose, moins de 10 % des personnes qui ont besoin d’un tel traitement en bénéficient. (1)
Des études indiquent que le nombre de décès par overdose aux Etats-Unis a augmenté de 29,6 % en 2020 (2)
Alcool
L’alcool apparaît comme le septième facteur de risque de décès prématuré en 2016, représentant 2,2% des décès chez les femmes et 6,8% chez les hommes. Dans la fourchette des 15-49 ans, il arrive en tête. Dans cette tranche d’âge, les principales causes de décès liés à l’alcool sont la tuberculose (1,4% des décès), les accidents de la route (1,2%) et l’automutilation (1,1%). Pour les plus de 50 ans, ce sont les cancers. (3)
Quels facteurs sont à l’origine de cette surconsommation d’alcools et d’opiacés entrainant une surmortalité ?
L’isolement social est devenu est un phénomène préoccupant, déteignant sur la santé mentale et physique des individus. Nombre de personnes répondent aux critères de carence en socialisation, par un usage immodéré de substances alcooliques et stupéfiantes en vue de satisfaire une insuffisance dopaminergique. Un bas niveau de dopamine, déclenche une succession d’effets invalidants, tels que : le manque de motivation, la fatigue et des recours compulsifs au tabac, aux drogues et à l’alcool, une labilité de l’humeur et des pertes de mémoire.
C’est précisément ce que nous observons comme symptômes auprès de ces population victimes de surmortalité, ainsi que s’en fait l’écho une étude développée par l’US National Academy of Sciences.
Cette surmortalité de la désespérance, dont les Etats-Unis occupent la première place mondiale de ce palmarès, affecte essentiellement des individus, à faible niveau d’éducation et à bas revenus. De plus, on note une hausse de la courbe de la mortalité liée aux maladies métaboliques et cardiaques. Celles-ci sont associées à l’obésité, connaissant une recrudescence auprès de toute la population américaine, qui suit une tendance planétaire.
On notera en 2019, neuf millions de décès dans le monde, dus aux maladies cardiovasculaires, soit : 16 % du total des décès, toutes causes confondues. (4)
Reste que la mortalité due à la désespérance arrive en tête de toutes les autres causes de mortalité, tels que les suicides et les overdoses liées aux addictions aux opiacés, à la cocaïne, aux amphétamines, à l’alcool et au tabac.
Le graphique ci-dessous l’indique clairement, la cardiopathie ischémique en tête des dix causes de mortalité est caractérisée par une irrigation sanguine insuffisante du muscle cardiaque (myocarde) entraînant un appauvrissement en oxygène des cellules cardiaques. Quelles en sont les principales causes ? Elle sont principalement dues à la consommation excessive d’alcool, de drogues, de surcharge pondérale ou d’antidépresseurs et aux infections virales du myocarde.
Nous observons également que la mortalité due aux infections des voies respiratoires, sont placées en quatrième position de la mortalité dans le monde. Or celles-ci sont notamment dues, à la consommation excessive d’alcool et de drogues.
Selon Peter Sterling, Ph.D., et Michael Platt, Ph.D.(6) deux chercheurs de l’Université de Pennsylvanie, les individus sont en proie à certains besoins notamment, la recherche de nourriture, de confort et de compagnie. Or, faute de socialisation suffisante voire d’isolement social et de solitude, le cerveau étaie ces comportements par la sécrétion de dopamine, qui se montre insuffisante. Il en résulte une production d’attitudes compulsives envers les substances, qui par leur surconsommation conduit à des décès prématurés.
The National Academies of Sciences, Engineering, and Medicine (NASEM) a élaboré une étude selon laquelle, plus d’un tiers de la population des plus 45 ans se sent esseulée tandis que près d’un quart des plus de 65 ans est socialement isolée. Dés lors, au regard des données fournies, la solitude et l’isolement sont devenus une question de santé publique préoccupante.
L’anthropologie permet d’observer les anciens modèles de sociétés, dont celui du temps des chasseurs-cueilleurs, qui contrairement à la société actuelle, mettait l’accent sur les liens tissés entre les personnes notamment par la coopération et la solidarité. Ce lien social est sous-tendu par un désir spécifique, en l’occurrence le Conatus. Thomas Hobbes, philosophe anglais (1568 – 1679), dans son œuvre le Léviathan, l’exposait comme un concept dynamique lequel est : »désir inquiet d’acquérir puissances après puissances ». Celui-ci consiste en une lutte contre le trépas, ou encore comme un instinct de conservation. Car seule en effet, cette course à la puissance permet de s’assurer une conservation de ses bien et de son être. Spinoza dans l’Ethique III, le définissait davantage comme une stratégie dynamique : « Chaque chose, autant qu’il est en elle, s’efforce de persévérer dans son être. » Cela va dans le sens de l’affirmation de soi pour accroître sa puissance.
En effet, l’individu est mu par des désirs tout au long de son existence, tant ceux qui concernent l’acquisition de biens que ceux en lien avec le pouvoir et la domination. Ces deux désirs suscitent la sociabilisation. Ainsi, la puissance d’agir s’accroît par deux canaux possibles : ses compétences propres (« pouvoirs naturels ») mais également par son rapport à autrui (« pouvoirs instrumentaux »).
Dit autrement, la puissance d’agir est stimulée par sa propre nature certes, mais également par l’interaction avec l’environnement social. Les incompréhensions, les mystères de la nature humaine et celles des espèces, le pourquoi de la vie et de la mort, sont autant de questions qui favorisent la création et l’entretien du lien social, car les individus tendent à les surmonter par une solidarisation. Dés lors, que la puissance d’agir est entravée, freinée, ou ralentie, donc que les désirs sont muselés ou inhibés par l’environnement, l’individu se repli sur lui même, il s’isole et sombre, tant qu’il ne parvient pas à trouver les voies de la résilience, qui repose également sur la main tendue de l’autre.
Ainsi que nous l’observions durant la crise sanitaire du COVID, qui a mis en exergue, l’articulation du sanitaire et du social. Le coronavirus a dessillé, ou mis au grand jour, la précarité ordinaire tout en créant de nouvelles situations difficiles. Des catégories sociales jusque-là épargnées par le besoin de recourir à la solidarité publique ont graduellement pénétré dans une précarité jusque la ignorée, comme ce fut le cas, pour les commerçants, les artisans, les travailleurs en présentiel, les professionnels de la culture. La société dans son ensemble est confrontée à une vulnérabilité pluridimensionnelle : depuis plus de deux ans se développe une vulnérabilité sanitaire de masse, qui vient s’ajouter à une vulnérabilité sociale de masse, déjà présente dans les sociétés occidentales depuis la fin des Trentes Glorieuses (Castel, 1995). Les inégalités se sont davantage étendues et ceux qui étaient déjà vulnérables l’ont été encore plus, jusqu’à pour certains en succomber.
Le risque de maladie cardio-vasculaire s’est accrue aussi par c’est cette inégalité qui sévit. Cette banalisation et réification de l’humain le rendant interchangeable, voire jetable sans que peu s’en émeuvent. Le langage en témoigne : on invite l’individu à se recycler, à se donner une seconde vie, au même titre que les produits. Il en découle un sentiment de peur qui s’empare de lui, à partir de laquelle la chute dans le précipice se profile, où toute lutte acharnée l’entraînerait inévitablement dans la maladie et/ou dans les étreintes du trépas.
Si la science favorise l’augmentation de l’espérance de vie, l’isolement et la solitude devenant des fléaux pathologiques, l’abrègent. C’est cette même population esseulée et vulnérabilisée, qui par mécanisme adaptatif, canalisera la recherche de dopamine vers d’autres sources destructrices, notamment celles en rapport avec la nourriture, les opiacées et l’alcool.
Certes, la structures familiale a autrefois connu, une plus grande implication des parents et des grands-parents aujourd’hui elle s’est étiolée. De plus, la monoparentalité étant en nette augmentation, ne fait qu’accroître les niveaux de pauvreté, avec davantage de carences en soin de façon générale. Les enfants issus de familles monoparentales peuvent également connaître des problèmes de santé et des retards dans l’éducation.
Ce sont autant de difficultés qui entretiennent cette désespérance conduisant certains à en découdre avec la vie, lorsque ce n’est pas la vie qui s’en est chargée.
Les états se montreront ils à la hauteur des défis qui menacent l’humanité pour endiguer le plus rapidement cette pandémie dont l’OMS n’a de cesse d’alerter ?
(1) http://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/opioid-overdose
(2) https://www.drugabusestatistics.org/drug-overdose-deaths/
(3) The Lancet
(4) www.who.int/fr/news/item/09-12-2020-who-reveals-leading-causes-of-death-and-disability-worldwide-2000-2019
(5) www.who.int/fr/news/item/09-12-2020-who-reveals-leading-causes-of-death-and-disability-worldwide-2000-2019
(6) https://jamanetwork.com/journals/jamapsychiatry/article-abstract/2788767