Le sentiment ressentimiste vient nous chercher à partir de l’ archéologie d’une fissure, que rien jusqu’alors n’ait pu colmater.
Elle suinte jusqu’à teinter nos représentations. Un quelque chose de pas normal draine notre regard. Tels des secouristes observant avec sidération, les décombres d’un tremblement de terre, l’homme du ressentiment évalue ses fissures hébété et abâtardi.
Ces stigmates émotionnels racontent des épisodes parfois lourds et tonitruants de l’existence.
Il incarne le carrefour d’un méli-mélo émotionnel et sentimental mouvementé : tristesse, jalousie, rancœur, honte, désir de vengeance, humiliation, frustration, aliénation, indignation s’attisent et s’entrelacent sans relâche.
L’émotion fait vivre, instille la vie, inocule le mouvement, ondoie, rompant avec la constance chez l’individu. C’est la vie qui vit, à l’intérieur de laquelle se niche la toute-puissance mettant chantier la recherche de la liberté.
Apparaît le ressentiment, c’est alors que tout s’interrompe, le sujet se sent enserré, le piège se rabat sur lui, telles les étreintes qui s’étaient refermées sur Héra. Il tente de briser les chaînes faute d’y parvenir, il essaie de les tordre, mais sans succès. Il boucle sur les mêmes pensées, forçant opiniâtrement la compréhension. Non, il ne comprend pas. Curieusement, sa persévérance ne s’applique qu’à ses mastications incontrôlées, c’est d’ailleurs plus fort que lui, comme il s’en plaint. Il est robotisé, aliéné à ses pensées insupportables. Ses ruminations teintées de méli-mélo émotionnel, font barrage à toute idée autre, à toute réflexion. Humilié, il s’abime dans un repli sur soi. Toute perspective de contact avec l’autre est bannie. Elle est une désespérance, un écœurement, une amertume, une déception, une lassitude. L’autre est une aversion insupportable, plus pour ce qu’il est, que pour ce qu’il fait. Plus aucune attente n’est envisagée de l’altérité.
D’un tour de main,l’efficience de l’évaluation cognitive du sujet se pose. L’escient, mauvais cette fois, se montre dysfonctionnel. Cette habileté vitale à l’équilibre mental, a perdu son mode de fonctionnement adaptatif. C’est à partir de là que le sujet entre dans le dénigrement constant, qu’il assimile d’ailleurs à sa faculté de juger, alors que celle-ci se montre viciée par les passions tristes (émotions).
Désormais, le sujet étreint dans le ressentiment, pour lequel, raisonner en demi teinte, devient rude. Cela revient à nier le soleil tant qu’il n’est pas à midi. Le sentiment ressentimiste, séquestre son sujet dans le déni :« je lui en veux terriblement, je ne démordrais pas de cette colère, d’ailleurs il y a de quoi l’être..ce n’est pas de ma faute….c’est à cause de lui que je suis comme ça. »
La sensibilité est une aptitude à l’évaluation et à la compréhension du réel aux facettes plurielles. Elle est parfois sujette à des mouvements, par collision avec les événements de la vie, allant jusqu’à lui faire frôler des sommets. C’est ce qu’on appelle l’hypersensibilité. Cet état de vulnérabilité, amende la perception du réel, le dément, le rejette, le critique. Le déni de réalité écorne l’entendement pouvant conduire l’agent jusqu’à la paranoïa. Le sujet se perd, il n’est plus lui-même. Ou plutôt, il est muni d’une réalité amoindrie.
Il existe une palette chromatique dans le ressentiment variant d’un individu à l’autre. C’est l’histoire de sa vie qui en colore les aspects et accouche de nuances.
On guérit un affect, par un autre plus puissant que lui, disait Spinoza dans sa préconisation de remèdes aux affects. L’idée étant comprendre ses propres passions au travers l’histoire de ses fissures, appartenant à un seul et même édifice. L’existence semble être une succession d’épisodes, souvent liés les uns autres, parfois analogues, à l’intérieur d’une trame générale.
Le ressentiment comporte cette particularité de figer le sujet à l’intérieur d’un vortex de ruminations et en faveur duquel, restaurer en lui l’Agir, s’impose pour l’en sortir. Pour cela, investiguer les leviers nécessaires et surtout les plus accessibles pour réveiller sa puissance d’agir, aussi dérisoire soit elle.
L’agir, même parcimonieux est un procédé doucereux pour certains, agressif pour d’autres, mais servant de pauses épisodiques aux ruminations, sans perdre de vue que l’objectif final étant de retrouver sa toute puissance.
Mais par delà l’action, renouer avec une forme de générosité tout en allant de l’avant, peut être un remède à une désaliénation graduelle avec ce passé.
Des chercheurs ont tenté de percer le rôle de cette partie du cerveau, appelée : sillon temporal supérieur antérieur (aSTS). Ils ont découvert que plus la quantité de matière grise située dans cette partie du cortex est importante, plus le sujet est susceptible de pardonner. Cela signifie également, une obéissance à un déterminant du milieu, lequel est : plus l’enfant a été sécurisé et plus il a pu développer une empathie et plus il est enclin à pardonner que ce soit dans l’enfance ou plus tard devenu adulte, à moins que surviennent des événements graves venant altérer cette habileté.
L’homme qui aspire à la liberté doit tracer le cap vers l’horizon de l’infini, rompre les ponts qui le relient à la terre, oublier la terre derrière lui. Il doit aussi vaincre la nostalgie de la terre en affrontant, avec courage et détermination, l’immensité de l’océan et les frayeurs de l’infini. (Fragment 124 du Second livre du Gai Savoir).