Le mimétisme

MimétismeLe mimétisme est un comportement d’imitation qui peut intervenir sur différents plans.

En biologie, il se manifeste par la capacité de certains êtres vivants à ressembler (d’un point de vue morphologique), soit à des éléments de leur milieu, soit à d’autres êtres vivants.
Le résultat (plus rarement l’objectif, quand cela est délibéré) étant d’améliorer la faculté à échapper aux prédateurs, à s’emparer de proies, ou à faciliter les relations avec les congénères.

Sur le plan comportemental, c’est un mécanisme fondamental de l’apprentissage.

Enfin, sur le plan psychologique, c’est selon René Girard le mécanisme fondamental du comportement humain, dont dérive la totalité des éléments de culture, selon une logique implacable à plusieurs degrés.

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Découverte historique

C’est l’entomologiste britannique Henry Walter Bates (1825-1892) qui théorise la première fois sur le mimétisme à propos de papillons d’aspects similaires bien que n’étant pas d’espèces proches, une espèce inoffensive profitant de la répulsion provoquée par une espèce venimeuse.

Fritz Müller (1834-1895), un zoologiste allemand, explique pour la première fois en 1878, le phénomène selon lequel deux espèces venimeuses différentes vont adopter une même apparence par l’amélioration de l’efficacité de leur livrée.
Leur prédateur apprenant plus vite à se méfier d’elles.
C’est en leur honneur que les deux types de mimétisme sont nommés : le mimétisme batessien et le mimétisme mullerien.

Le mimétisme comportemental pour l’apprentissage

La reproduction d’un geste est à la base de la mémorisation d’une technique.

C’est en voyant l’autre faire que l’on se représente l’utilité ou l’intérêt de la chose faite, en même temps que l’on découvre l’apparence que prend ce geste. Ensuite, c’est en reproduisant le geste que l’on découvre sa difficulté, et que l’on se forge un souvenir de l’enchaînement d’actions élémentaires (au niveau musculaire et conscient) nécessaire à son accomplissement.

Le mimétisme intervient pour toutes sortes d’apprentissages :

  • l’utilisation de son corps dans l’espace
  • l’utilisation d’outils et l’acquisition de techniques
  • l’acquisition du langage
  • l’acquisition de mécanismes mentaux (déduction, résolution de problèmes)

Le mimétisme comportemental en tant que facteur culturel

Selon René Girard, le mimétisme est une relation ternaire, « un triangle de vaudeville ».

Dans l’évolution comportementale, cela la distingue de l’unité (prototype : mère / enfant à naître), et de la relation binaire (prototype : bébé / mère=nourriture).

Il s’agit d’une recherche d’identité, non pas (ou plutôt, non pas seulement…) par absorption de la substance du modèle, mais aussi de ses relations (son comportement, sa place, …) avec le reste du monde : le sujet imite son modèle par rapport aux tiers, objets ou personnes.
Cette relation ternaire est donc la suite logique de la relation binaire, et non une alternative qui l’exclurait.


Ces conséquences se déclinent en plusieurs degrés ou niveaux :

Le premier degré

  • tentative d’imitation par le sujet de son modèle d’un certain comportement à propos d’un objet ;
  • impossibilité physique de réaliser l’imitation parfaite (de manger le même objet, par exemple, puis qu’il est dans le ventre de l’autre) ; constatation du fait que le modèle est un obstacle à l’imitation parfaite.
  • traitement par le sujet de l’obstacle que constitue maintenant son modèle : tentative de contournement (échec) puis de destruction, conduisant à un combat ;
  • imitation généralisée du comportement conflictuel, avec imitation de la cible : polarisation mimétique sur une seule victime, qui succombe ou réussit à fuir ;
  • fin (temporaire) et apparemment miraculeuse de la violence intra-communautaire, validant le caractère surnaturel de la victime : naissance d’un dieu, à la fois bon (il a scellé par sa disparition l’unanimité retrouvée) et mauvais (c’est lui qui a déchaîné toute cette violence, qui lui est très justement retombée dessus).

Le second degré

Le processus qui vient d’être décrit, l’a été d’une façon neutre, c’est-à-dire en niant implicitement le caractère magique du résultat et la responsabilité de la victime.
Il convient maintenant, exercice difficile, de se mettre à la place de participants capables de réflexions, mais dont la culture chrétienne (avec son respect de la victime) et la culture matérialo-rationaliste (avec sa négation de toute action magique) sont nulles.

Pour de tels protagonistes, les seules conclusions évidentes sont

  • certains objets, comportements, lieux ou moments sont dangereux, tabous : y toucher, au réel ou au symbolique, c’est déchaîner la violence.
  • ces choses sont caractéristiques du dieu. C’est lui qui déchaîne, mais aussi enchaîne la violence, et par là crée la paix.
  • l’imitation est dangereuse, il faut l’interdire. Et a fortiori, l’imitation des dieux (le viol d’un tabou) est toujours catastrophique et impardonnable.
  • mais dans certaines circonstances, il est nécessaire de refaire appel aux pouvoirs divins, et de régénérer (littéralement) la communauté en imitant le processus initial. D’où la mise en place de rites, éventuellement destructeurs mais de façon limitée.

A ce stade, il apparaît donc les structures fondamentales de toute société, avec à la fois, pour chaque comportement ou objet, une interdiction générale et un impératif particulier, par exemple :

  • pour limiter les conflits d’origine sexuelle : d’une part, tabou de l’inceste (avec une définition adaptée à la notion locale de famille, et non aux impératifs biologiques supposés) et exogamie ; d’autre part, rites orgiaques et mariages royaux exclusivement dans l’entourage le plus proche possible (entre frère et sÅ“ur, père et fille…)
  • pour limiter les conflits d’origine alimentaire : codification stricte des aliments et des consommateurs autorisés.
  • pour contrôler le processus rituel, et l’aléa dangereux dans la désignation de la victime : pré-désignation de la future victime (par identification d’un élément caractéristique du dieu, tel que sa taille, une claudication, une couleur rare, une généalogie, un rang de naissance…) et mise en réserve pour le rite à venir

Le troisième degré

L’efficacité du processus, c’est-à-dire sa capacité à pacifier et reconstruire de l’unanimité, implique son ignorance et sa répétition.

Tandis que sa répétition entraîne sa révélation progressive, le caractère réel des pouvoirs du sacrifice apparaissant de plus en plus douteux.

Les conséquences peuvent être diverses, certaines mettant fin à la civilisation, les autres la complexifiant et la faisant avancer :

  • Une explosion sociale, à l’issue d’un rite raté qui dégénère en carnage ou en fuite générale.
  • Une implosion sociale, suite à une multiplication des rituels et des sacrifices, en nombre et en importance, au-delà du supportable par la civilisation.
  • Une sophistication rituelle, enfouissant toujours plus profondément l’imitation et les interdits, et repoussant toujours plus l’acte dangereux, tout en tirant parti des structures qui résultent du processus : substitution homme-animal dans le sacrifice, domestication de l’animal de sacrifice, royauté de la victime prévue, pouvoir d’évocation et valeur éducative des croquemitaines, etc.
  • Une acceptation progressive de la part de responsabilité de chacun par rapport à la violence : selon R. Girard, la part de péché originel, dont on ne peut se défausser sur dieu(x) (indépendamment de ce qu’on entend par là : monde, esprit, homme, bête, chose ou vide).

Chez Gilles Deleuze, René Girard, comme chez Gabriel Tarde, ce qui s’exprime dans les collectifs, ce sont des énergies propres à la dynamique de la masse, des grands groupes.

Certaines émotions, certains fantasmes, sont typiques des grands corps sociaux que constituent les peuples par exemple. Des émotions provoquées par une star (actrice ou chanteuse).
Ou bien par les attaques d’un « ennemi ». (Cet Ennemi suprême, selon quelqu’un comme Carl Schmitt, constitue, avec l’Ami fidèle, l’un des deux pôles du couple Politique.
La politique, selon ce juriste, se déroule sur la scène du milieu partagé entre une amitié et une vengeance.)
C’est qu’il y a des émotions collectives, provoquées par des événements, et portées par des courants d’imitation.

Les peuples eux-mêmes sont coordonnés par des mécanismes qui peuvent imiter un stress collectif, qui propagent une même sensation à travers tout un peuple.
En ces mécanismes de diffusion, des énergies affectives s’écoulent et produisent des hallucinations collectives. Des perceptions réellement partagées entre plusieurs partenaires de l’expérience.
Ce sont les délires affectifs qui font qu’un peuple se sent exister en tant que peuple uni.

L’unité du peuple tient essentiellement au fait que dans certaines circonstances, il est capable d’agir comme un unique paranoïaque écrivait Élias Canneti.

Dans les sociétés de communication, le pouvoir tend à produire des modèles qui régulent le comportement et l’apparence des populations et des individus.

De là cette définition du groupe social, selon Gabriel Tarde: une collection d’êtres en tant qu’ils sont en train de s’imiter entre eux ou en tant que, sans s’imiter actuellement, ils se ressemblent et que leurs traits communs sont des copies anciennes d’un même modèle. (Qu’est-ce qu’une société ?)

Le mimétisme et la psychanalyse

Le mimétisme tel que mis en lumière par René Girard contient la psychanalyse freudienne et ses dérivés, en ce sens que toutes les structures mises en avant par Freud apparaissent comme un résultat des mécanismes mimétiques.
Ainsi, et contrairement à la thèse originale de Freud, ces structures ne sont ni primitives, ni universelles. Ainsi et par exemple,

  • Ça n’est que l’envie de faire comme les autres et de recommencer ce qu’on a déjà fait (s’imiter soi-même dans le passé, tel que cristallisé dans les souvenirs), pendant que Surmoi il reste la répression de cette envie (par imitation des interdits imposés, par les autres ou par soi-même avec les mémorisations), en raison des conséquences bien connues de Moi.
  • le complexe d’Å’dipe n’est que la manifestation de la difficulté, voire l’impossibilité, pour le fils d’imiter son père sans en faire un obstacle.
  • l’homosexualité latente résulte de la nature profonde de l’imitation, qui n’exclut pas et même suppose d’une certaine façon une relation plus binaire dans laquelle le modèle est aussi un objet.

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