Une étude[1] élaborée auprès de 358 patients présentant un trouble de la personnalité limite dit aussi borderline, a fait émerger les données suivantes : 91% d’entre eux ont été sexuellement abusés durant l’enfance, tandis que 92% affirment avoir été victimes de négligences parentales jusqu’à l’âge de 18 ans.
Cette statistique rejoint à une importante liste de travaux ayant eu pour objet de démontrer que dans la stricte majorité des cas graves de négligences parentales ainsi que d’abus d’enfants, conduisent avec le temps chez les victimes, au développement d’un trouble de la personnalité.
Par ailleurs, une autre étude[2] fondée sur la perspective d’une prévision, élaborée sur 639 jeunes et leur mère, dans laquelle ont été superposées des données psychiques (couplées à des éléments judiciaires) attestant de l’abus sexuel et de la négligence. Il en ressort que les enfants abusés ou négligés présentaient un risque de développement d’un trouble de la personnalité, quatre fois plus élevé , qu’un enfant ayant connu un développement normal.
Au regard de ces données épidémiologiques, une corrélation semble s’esquisser entre les mauvais traitements infligés dans l’enfance voire l’absence de traitements et le développement à venir d’un t.p.l. Ce lien de causalité demeure indépendant des facteurs génétiques de la personnalité.
Le traumatisme constitue alors l’inducteur de ce point de rupture de la personnalité.
Une autre étude[3] dont l’échantillonnage a été limité à un petit nombre de personnes, montre que les enfants ayant subi des négligences parentales ou un abus sexuel, ont développé une amnésie des abus et une tendance à garder le silence après l’épisode traumatique. Des changements dans l’écriture ont pu également être relevés. Ceci met en évidence, le lien entre l’abus et la dissociation de l’identité. Pour mémoire, on définit la dissociation de l’identité comme la rupture avec la personnalité dominante au moyen de la création d’une ou de plusieurs personnalités développées à partir de matériaux pathologiques tels que l’anxiété et un répertoire d’attitudes inadéquates voire délirantes, c’est à dire contrastant avec le mode de fonctionnement de la personnalité dominante. La dissociation répond à la création d’une ou de plusieurs réalités parallèles qui nourriront les personnalités élaborées.
L’enfant abusé, a de par le trauma vécu, développé une hypersensibilité. Le stress post traumatique occasionne sur le plan biologique un faible taux de cortisol (hormone du stress) ainsi qu’une réponse excessive inhibante de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrenalien. Ce qui en d’autres termes, affaiblit le système hormonal permettant à chacun de gérer un état de stress¹, d’où une hyper-vulnérabilité. Ceci à son tour, constitue une entrave à toute mise en place de stratégie adaptative au stress et peut expliquer dans nombre de cas, l’aggravation des symptômes avec le temps.
De plus, certaines régions cérébrales impliquées dans la mémoire, seraient susceptibles de subir une altération. En somme une mémoire biologique propre à ses altérations se constituera, si les facteurs de stress se réitèrent.
Cette même fragilité acquise à l’issu d’un stress post traumatique, pourrait génétiquement être transmise. En effet, les enfants issus d’un parent souffrant de stress post traumatique présente un taux réduit de cortisol. De fait, la sensibilité devient accrue aux évènements stressants. Le faible taux de cortisol est un marqueur de vulnérabilité à la fois biologique et psychologique. Toutefois, cette vulnérabilité est également développée et entretenue par les parents au moyen de l’éducation transmise mais aussi de croyances et toutes sortes d’idéation relevant de la distorsion qui pourraient les avoir sensibilisés face à de futurs traumatismes.
Un traumatisme laisse son empreinte dans le fonctionnement biologique et psychologique, conscient et inconscient ce, par le boulevard du conditionnement. Si la personne qui en est victime présente des troubles de la personnalité antérieures, ceci constituera le terreau favorable à la culture d’un stress posttraumatique. Le phénomène inverse est également vrai, à savoir le stress post traumatique peut engendrer un trouble de la personnalité et laisser une trace biologique et psychologique.
Dans tous les cas, l’évolution dépendra des stratégies d’adaptation et de l’étayage social rencontré, sans parler d’interventions psychothérapeutiques et pharmacologiques. Il n’y a de fatalité que si elle est entretenue.
[1] childhood sexual abuse and adult psychiatric and substance use disorders in women
[2] memories of childhood abuse: dissociation, amnesia and corroboration American journal of psychiatry.1999
[3] objective documentation of child abuse and dissociation in 12 murderers with dissociative identity disorder. American journal of psychiatry.