Durant la première vague de confinement du Covid-19, nombre de personnes ont fait appel à leurs ressources internes pour faire face au stress occasionné par cette crise sanitaire exceptionnelle. De nouveaux facteurs de stress, plutôt atypiques ont vu le jour. Des millions de personnes à travers le monde ont perdu leur emploi, leur entreprise, leur habitation. L’isolement a lui aussi fait des ravages : le nombre de personnes isolées s’est accru et celles qui l’étaient déjà l’ont connu de façon plus drastique cette fois. Le confinement a contraint à la coexistence, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, des membres d’une même famille sous le même toit.
Si le début de ce confinement prenait l’allure de vacances, très vite la redondance des activités autant que leurs restrictions en nombre, faisaient émerger l’ennui. C’est alors que l’impatience et l’angoisse s’avançaient toujours plus denses que la veille et dont les sujets de plus en plus nombreux, en étaient affectés. Comme si cette pandémie sans en être nécessairement atteint, mais juste par sa présence, apportait une peste mentale comme effet indésirable.
Les cas de violence conjugale et de maltraitance d’enfants ont battu les records. Les rituels ont été perturbés. La perspective du risque de contracter une maladie aux deux versants, tout aussi bénigne que mortelle, a exacerbé les vulnérabilités préexistantes chez certaines personnes, en affectant leur équilibre psychique. Certaines répondaient à leur mal-être par une surconsommation de stupéfiants et d’alcool. Nombre de sujets dont l’équilibre mental est d’ordinaire préservé, n’ont pas été épargnés par l’ennuis, les montées d’angoisse tant celles générées par le manque de perspective à court terme que de fin de crise.
Si le confinement a permis de préserver la santé physique des citoyens, il est une menace avérée pour l’équilibre psychique, dont on mesure la portée des dommages, d’une part : au regard d’épidémies précédentes, d’autre part : au moyen des information récoltées des services d’urgences psychiatriques et cabinet de consultations psychologiques. Les données actuelles s’instillent progressivement dans les centres de recherches. Les appels à l’aide en vue d’éviter des passages à l’acte, mais également pour cause de dépression ont connu une recrudescence peu commune. Nous savons aujourd’hui que cette pandémie, certes loin d’être en voie d’extinction, connaitra des effets protéiformes sur le court et moyen terme.
Les leçons du passé
Pléthores d’études sur le SRAS ont élaborées entre 2002-2004. L’American Medical Association a rapporté que 44% des patients atteints avaient consulté un psychiatre, et près d’un cinquième s’est montré incapable de travailler. À Hong Kong, deux ans après avoir été atteints du SRAS, les patients ont affiché une détérioration globale de leur santé. Tandis que, 30% du personnel de santé atteint, n’avaient plus rejoint leur poste. Ce qui prouve que le personnel de santé aussi précautionneux soit-il, est en première ligne des personnes exposées au virus.
En considérant le potentiel d’augmentation des suicides dans le sillage de COVID-19, une confluence de facteurs de risque a été négligée. Les recherches publiées suggèrent qu’un effondrement de l’économie peut contribuer à l’augmentation du taux de suicide. En effet, une étude publiée par The Lancet[1] a révélé que les taux de suicides avaient augmenté entre 2008 à 2010, quatre fois plus rapidement que dans les années ayant précédé la récession. La corrélation est établie entre la crise des subprimes et le nombre grandissant de suicides.
Qu’en est-il du Covid-19 ?
Toute crise sanitaire accentue l’inégalité sanitaire avec une morbidité plus prononcée chez les plus vulnérables. Ceux qui ne sont pas parvenus à se soigner, ceux que le confinement dans l’exiguïté a condamné par la proximité avec des membres atteints de la famille, ceux dont les vulnérabilités physiques avérées devenaient plus exposés au virus, ceux qui étaient isolés et qui ont développé une dépression, par difficulté à pouvoir communiquer avec l’extérieur. Le Covid-19 a donc été un marqueur de ces inégalités.
A l’échelle européenne, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a évoqué une hausse de 60 % des signalements. Les appels au 119, (enfants maltraités), ont fait un pic de 80 % durant les premières semaines.
Au stress éprouvé par le risque de la contagion, s’est conjugué le stress des perspectives économiques en baisse, qui augurent jour après jour un déclin encore plus important que celui de la veille. La réduction des effectifs, la fermeture d’entreprises, les licenciements en masse. Tout cela constitue des facteurs aggravant de stress.
La perte et le deuil
Le Covid-19 a exacerbé le nombre de cas de stress post traumatiques, en particulier durant la mise en quarantaine, lorsque celle-ci a excédé les 10 jours[2]. Nombreux sont ceux qui ont vécu la perte d’un être cher et dont le deuil n’a pu se faire. Ces deux éléments sont des prédicteurs de dépression. La pandémie se perpétuant, transportant dans sa persistance, le risque de contamination maintenant ainsi l’élément de stress.
Le nombre de morts augmentera tant que la crise sanitaire se poursuivra. Pour certains, en particulier ceux qui sont en première ligne, des expériences aiguës de deuil, de traumatisme et d’épuisement aggraveront le stress et les exposeront à un risque encore plus grand.
L’isolement social
L’isolement social prolongé est un précurseur de dépression. L’individu ne peut longtemps résister à la privation sociale. Les personnes ne pouvant travailler pour avoir perdu leur emploi ou leur entreprise, ou celles qui sont mises en confinement, ou encore celles qui vivent seules sont exposées au risque de dépression, lorsque l’isolement se prolonge.
Lors du confinement[3], la violence intrafamiliale a connu un pic, en particulier auprès des foyers qui occupaient un espace un exigu.
La Chine[4] a connu une recrudescence des divorces à la suite du confinement. Le divorce augure de dépression, notamment chez les femmes, en raison de situations financières difficiles.
Le travail à domicile peut également créer des sentiments de solitude et d’isolement. Le fait de ne plus pouvoir partager le vécu professionnel ou personnel ou encore, celui de ne plus pouvoir échanger un point de vue sur un dossier, avec des collègues de travail, créer une carence que certains ont du mal supporter.
La distance physique constitue une entrave à notre expression et à notre liberté de mouvement vis-à-vis de laquelle il va falloir développer des mécanismes adaptatifs.
Difficultés financières
Le Covid-19, a tant affecté la santé physique et mentale que l’économie. Le facteur de stress le plus répandu est la perspective de ne plus pouvoir subvenir à ses besoins primaires, comme le fait de manger, de payer son loyer, son électricité. La courbes du chômage et les pertes économiques sont en hausse dans près de 200 pays affectés par la crise sanitaire. L’insécurité financière fait croitre chez les personnes le risque de dépression et de passages à l’acte.
En 2008[5], les saisies immobilières aux Etats-Unis, ont engendré une augmentation de 62% des dépressions auprès des plus vulnérables financièrement parlant. Alors que les pertes innombrables subies par les nantis, étaient exempt d’impact sur leur santé mentale.
Ceux qui connaissent le chômage, l’endettement pendant les périodes de récessions sont plus exposés aux risques de dépression et de suicide, en raison d’un stress accru et des conditions de vie difficiles.
Une récupération lente et graduelle
Nous n’en sommes pas au bout de nos peines avec la crise du COVID-19 et pour cause sa pérennisation, entraine d’une part un accroissement de la mortalité par enchainement et de façon proportionnelle le risque de dépression et de passages à l’acte. Le redémarrage de l’économie ne sera que plus ajourné, donc plus lent.
L’impact de la dépression sur la motivation et la résolution de problèmes, est telle que les plus vulnérables auront du mal à œuvrer en faveur de nouveaux objectifs et à trouver un emploi. Le processus de résilience sera donc impacté au point de devenir un enjeu mondial de santé.
Lorsque le risque de contamination régresse, les personnes déprimées sont confrontées à un dysfonctionnement immunologique[6] accru, ce qui les vulnérabilise d’autant et les rend plus promptes à d’autres affections. La dépression amplifie les symptômes de maladies chroniques. L’inégalité sanitaire de la crise va de pair avec l’inégalité sociale, qui elle-même influe sur la difficulté d’accès aux soins en particulier aux traitements contre la dépression.[7]
Accès au mieux-être.
Un certain nombre d’actions peuvent être entreprises par soi-même favorisant ainsi l’accès au mieux-être, comme le fait de maintenir un lien social, de s’occuper d’un animal de compagnie, de faire du sport, d’accéder à la culture…
Néanmoins, l’accès aux soins est primordial pour ne pas tomber dans des addictions de toutes sortes. Se faire aider, prévient contre la chronicité de cette détresse voire d’entrainer des passages à l’acte. La prise médicamenteuse atténuera la tristesse et d’autres symptômes, sans pour autant les soigner. Une aide psychothérapeutique régulière sera indispensable au maintien de soi et à la sortie éventuelle de cette dépression.
La dépression incarne pour certains les stigmates d’une faiblesse, d’une instabilité, d’un manque de constance et de combattivité.
Recadrons les choses :
- il n’y a rien d’étrange à éprouver un sentiment de tristesse ou d’impuissance dans des périodes ou les contraintes sont poussées à leur paroxysme.
- L’expérience de chacun est unique et se doit d’être traitée comme telle. Dans le cas de la crise sanitaire du Covid-19, une personne peut avoir le blues sans être nécessairement en dépression. Un professionnel serait à même de poser un diagnostic, afin de distinguer entre une tristesse ou une lassitude passagère d’une dépression.
- Demander l’aide d’un professionnel, n’est en rien un signe de courage, mais une initiative courageuse visant à faire face à ses propres émotions en étant accompagné.
- Chacun est à même de trouver ou de retrouver sa voie. Certains plus enclins que d’autres à nécessiter de l’aide.
- Les enfants et les adolescents peuvent être sujets à des tourments en particulier durant la période que nous traversons et peuvent nécessiter un accompagnement.
Les points suivants peuvent constituer des signes annonciateurs de dépression durant cette pandémie :
- Modifications du sommeil ou des habitudes alimentaires.
- Difficulté à dormir ou à se concentrer.
- Aggravation des problèmes de santé chroniques.
- Consommation accrue d’alcool, de tabac ou d’autres drogues.
La mise en place de quelques rituels vous permettront de rythmer votre quotidien et de parvenir au bien-être
1/ Gérer son temps en le ritualisant
- Le fait de travailler à domicile rompe avec la distance, ne signifie pas un renoncement à la gestion du temps. Il convient de se lever aux mêmes heures auxquelles on était habitué à se lever pour se rendre sur son lieu de travail.
- Adopter une gestion quotidienne du temps en délimitant celui qui est réservé à son travail de celui qui sera consacré aux enfants et à la maison et à ses loisirs.
- Prévoir du temps pour l’exercice physique, de la méditation.. et des pauses à ne rien faire.
- Se consacrer à la culture par la lecture et les arts
- Créez un ensemble d’objectifs pour la semaine et pour le mois et fixez-vous des objectifs à plus long terme.
2/ Bâtir un espoir
Cherchez en soi et au sein de son environnement des raisons d’espérer. Cette période de ralentissement économique est une opportunité pour se repenser et se réinventer en adoptant de nouvelles mesures, pour certains de nouvelles trajectoires de vie. Jeter un œil sur qui se pratique dans d’autres pays. Ce peut-être l’occasion d’envisager sa vie autrement.
Si vous faites partis de ceux qui ont perdu leur emploi ou qui ont liquidé leur entreprise, se dire que cette épreuve n’est que temporaire. Faire preuve de résilience n’est pas résister, mais entreprendre de nouveaux développements. Réfléchir au comment rebondir en ces temps de remise en cause générale. Y aurait-il peut-être des perspectives de formations, de reconversions ? Une fois sortis de la pandémie, d’autres voies s’ouvriront qui peut-être sont déjà en gestation.
Par ailleurs, se retrouver sans emploi ne signifie pas cessez tout effort, ce peut être en attendant l’occasion de faire du bénévolat au sein de différentes associations.
3/ Eviter les ruminations
Le confinement, le chômage peuvent allez de pair avec l’isolement. On peut y voir cela comme un enfermement ou une occasion de jouir du temps libre. Faire de ces instants des moments de plaisirs et non de rumination en se demandant à longueur de temps pourquoi cela arrive-t-il, ou pourquoi cela vous arrive-t-il ? Ou encore les choses sont terribles, plus rien ne vaut la peine.
S’interrogez-vous sur ce que sont ces ruminations, de quels sens sont elles porteuses : est-ce de l’ennui ? Est-ce de la peur ? Est-ce un sentiment d’inutilité ?…. Déceler ce qu’elles renferment et y répondre. Au besoin, se faire aider. Le maitre mot, est d’être productif.
4/ Sortir de l’isolement
Bien que nous connaissons une récession qui emprunte le chemin d’une amplification et d’un prolongement, que nous ne sommes plus à l’abri d’un second confinement l’isolation imposée ne doit pas nous isoler. Se connecter aux autres via les réseaux sociaux. En Profiter pour rencontrer de nouvelles personnes. Planifiez une heure régulière quotidienne, pour échanger avec les autres, qu’il s’agisse d’amis ou de nouvelles personnes.
Si l’un de vos proches se trouve hospitalisé, vous pouvez ressentir une frustration à ne pouvoir lui rendre visite. Cela n’empêche de leur témoigner de votre soutien ou de votre amour en leur téléphonant.
5/ Recadrer ses perspectives
La pandémie a refait prendre conscience aux individus qu’ils sont mortels. Cette conscience est d’autant plus importante, que sa contagiosité est vive et qu’elle renferme encore tout son lot de mystères. Ceci fait croitre les affres de cette crise.
Cette caractéristique essentialise et met en évidence les fondamentaux de notre existence, comportant une part subjective et une autre archétypale commune à tous les êtres.
La mort fait partie de la vie. Se la figurer, c’est considérer que sans finitude point de puissance de vivre n’est possible, pas plus que sans privation, point de jouissance. L’idée qui en émane est qu’un effondrement hiérarchise une nouvelle échelle de valeurs et que la perte suscite une créativité.
Lorsque l’enfant accède à la parole entre le 18e et 20ième mois parce qu’il est devenu capable de percevoir deux informations différentes et associées : l’affect et l’absence.[8] L’affectivité sécurise et suscite le désir d’explorer le monde. L’éloignement de l’autre jusqu’à son absence, invite l’enfant à acquérir les mots qui serviront de passerelles entre deux mondes psychiques qui s’individualisent en se séparant.
‘’La mort serait-elle l’essor de la vie, et sa suppression serait -elle autre chose que la mort de la vie?’’ [9] Cette idée philosophique est totalement confirmée par la biologie évolutive. Seule la mort des individus associée à la sexualité permet la survie de l’espèce. Sans appariement, l’espèce est incapable de s’adapter aux variations de l’environnement et disparaîtrait et toute entière. Par conséquent, de cette souffrance que nous n’avons pas cherché, nous devons en extraire le meilleur au moyen de créativité.
[1] The lancet
[2] The psychological impact of quarantine and how to reduce it: rapid review of the evidence – The Lancet
[3] The psychological impact of quarantine and how to reduce it: rapid review of the evidence – The Lancet
[4] Coronavirus driving divorce rates up in China – Daily Mail – Sichuan
[5] Recession depression: Mental health effects of the 2008 stock market crash Melissa McInerney Jennifer M.Mellor
[6] Depression and everyday social activity, belonging, and well-being. APA
[7] Impact of major depression on chronic medical illness Wayne Katon Paul Ciechanowski
[8] L’affect et l’absence aux origines du langage Danon Boileau
[9] Le temps vécu. Etudes phénoménologiques et psychopathologiques – Minkowski