Ces enfants témoins de violences domestiques

La justification de la violence connait ses raccourcis, largement entretenus par le langage du politiquement correct. Ils sont nombreux et ne pointe du doigt qu’une seule cause à la fois : la précarité, la ghettoïsation, la promiscuité de l’habitation, le racisme…

Or, la violence est multi-causale. Il existe une confusion entre les facteurs aggravants de la violence et son origine, prenant racine dans l’histoire individuelle des personnes.

Kevin a reçu un coup de poing dans l’œil, pour avoir regardé Léo dans les yeux. L’acte violent est bref alors qu’il abrite un enchevêtrement de process. Que s’est-il passé en ce court instant dans la tête de Kevin, pour qu’il en vienne à un passage à l’acte ? Kevin se sent jugé au moindre regard porté sur lui. Cela le renvoie à celui que portait son père sur son frère, sitôt rentré de son travail, le questionnait droit dans les yeux de façon inquisitrice et menaçante : ‘’As-tu fait tes devoirs ?’’ Le frère répondait souvent en bégayant, redoutant le pire :’’J’ai commencé à les faire’’. ‘’Ça prouve que tu ne les a pas encore fait…’’ Hurlait le père en portant simultanément et de toute ses forces, sa main sur la joue de son fils. Kevin, se raidissait au son de la gifle que son frère recevait.

Les parents de Maya n’ont jamais divorcé. Agée de 15 ans, chaparde, fume du cannabis, multiplie les conquêtes amoureuses et se vante de ses nombreuses victimes masculines. Petite, elle était terrorisée d’entendre son père rentrer à la maison tard dans la nuit et imbibé d’alcool. Il réveillait son épouse avec des jurons, des brimades et des coups. Quelques fois la violait en la battant.

Maya, se recroquevillait dans son lit, sidérée et tremblante, jusqu’au jour où âgée de 14 ans, elle avait pris la décision que ça ne se reproduirait plus. Elle s’était munie d’un grand couteau de cuisine et attendait que son père pénètre la chambre parentale :’’Si tu approches maman, je t’enfonce ce couteau dans le ventre’’.  Si Maya, avait elle-même été témoin de scènes de violences, leurs impacts traumatiques l’en avaient rendu actrice.

Les éléments causals d’une personnalité devenue violente montrent dans la plupart des cas :

  • une exposition répétée à des scènes de violences domestiques d’un sujet, durant les deux premières années de sa vie
  • une répercussion de la violence subie par le ou les parents sur l’enfant
  • une négligence et une maltraitance du tout petit par des parents eux-mêmes victimes de maltraitance et ou de négligence
  • une insécurisation de l’enfant due au laxisme  parental ne sachant poser un cadre éducatif
  • une absence de niche enveloppante, sécurisante durant les premières années de la vie, cultivant ainsi une impulsivité chez l’enfant
  • une modification du fonctionnement cérébral produisant une impulsivité précoce
  • une carence de l’environnement sociétal : une incapacité à  concevoir la période pubertaire (11-13 ans) comme une période de basculement à haut risque et à l’anticiper par la mise en place d’instruments pédagogiques, éducatifs et judicaires.

Qu’est-ce que la violence domestique ?

Elle se définit comme un recours à la force ou à la menace contre l’intégrité physique et psychologique du partenaire de vie et/ou des enfants. Or, la menace fait peser sur l’environnement une tension telle sur les membres de la famille, qu’ils demeurent dans la crainte permanente de subir ou de voir le parent protecteur endurer les foudres du parent violent.

La violence domestique est un schéma comportemental agressif, c’est-à-dire, prompt à attaquer ou à quereller autrui et coercitif, c’est-à-dire contraignant l’autre à certaines attitudes ou à certains actes. Celle-ci est exercée à différents étages : physique, psychologique, émotionnel, sexuel et ou financier, par un parent contre l’autre. Cette violence vise à obtenir de l’autre qu’il se conforme aux désirs du parent violent voire à étendre son emprise.

Ainsi, l’enfant vivant dans cet environnement hostile de une violence exacerbée et imprévisible, a été initié au prix de nombreuses contusions et d’effrois récurrents, à scruter minutieusement et efficacement dans la posture du parent menaçant, la gestuel, les expressions faciales, les mimiques, le volume de la voix, le timbre, l’articulation, le regard, toute une série de signes pouvant augurer d’un déferlement d’agressivité et de violence. L’enfant dans son malheur, devient un expert de l’hypervigilance. Il est en permanence sur ses gardes.  

En finissant par développer les réponses adaptatives, il parvient à survivre dans les situations chaotiques, qui, pour lui deviennent une normalité.

Son système d’alerte subit une modification et son état d’hypervigilance est maintenu même dans un environnement serein.

A la moindre chamaillerie, comme il peut en exister dans une cour de récréation, ou à la moindre tâche scolaire nécessitant une certaine réflexion, une charge émotionnelle disruptive ferait qu’il se sentirait envahi par la peur.

De même, qu’un échange banal avec un enseignant ou un adulte quelconque dont il aurait observé un froncement de sourcil, serait interprété comme une menace. Son cœur se mettrait à battre, ses muscles pourraient se raidir., c’est-à-dire que l’état neurophysiologique du corps, serait altéré. Son état d’hypervigilance le contraint à une hypertinterprétation des faits et gestes de l’autre.  Il peut passer à l’acte et s’en prendre à autrui.

 

Comment la violence s’imprime-t-elle dans notre machine neuro-corticale ?

Un enfant témoin de violences familiales répétées, développe un stress qui progressivement altérera son système neuroendocrinien. Il est en étant de stress post traumatique. Cette altération est d’autant plus importante chez l’enfant, que sa figure d’attachement est elle-même victime de violences de la part de l’autre parent : ‘’tu peux prendre ta fille (dans les bras), elle me casse les oreilles.’’ Hurle Marcel à son épouse. En effet, le bébé ne parvient pas à être calmé par sa maman, stressée par un mari qui vocifère. Il finit par balancer son cendrier sur le miroir. Les cris stridents du bébé dénotent d’un stress aigu.  

Les bébés auxquels certains adultes prêtent une inconscience de par leur tendre âge, sont également réactifs à des tensions environnantes, en l’absence même de gestes violents dirigés contre eux, comme le fait de lever la voix, de les secouer… Bien qu’ils ne détiennent pas encore le langage permettant de réagir à une situation, ils reconnaissent la prosodie et les mimiques de leur figure nourricière, comme un froncement de sourcil, un fléchissement de la voie… C’est à partir de ses informations que leur logiciel interne s’alimente. Ils se perçoivent alors, en insécurité et se mettent en alerte. Lorsque le stress est répété, c’est une tempête neurochimique qui s’abat sur le cortex. [1]

Lorsqu’un enfant est exposé à une menace, son cerveau active un répertoire de réponses adaptatives conçues pour l’aider à survivre. 

‘’Ma pauvre, on ne pourra jamais rien faire de toi.. tu resteras bonne à rien…’’, répète continuellement Nicole à sa fille Julie de 11 ans. D’ailleurs Julie, se bouche systématiquement les oreilles lorsque sa maman, lui adresse des remarques. En ne le faisant pas, elle éprouve souvent l’envie de mourir. Pour survivre, elle porte ses mains à ses oreilles pour se soustraire de la maltraitance de la mère.

Certains enfants répondront par un état d’hyper excitation (combat ou fuite) tandis que d’autres par un état dissociatif. Ces enfants peuvent être résistants ou même agressifs. En état d’hypervigilance :  ils compilent des scénarios, imaginent le pire, ils sont anxieux et paniquent, leur rythme cardiaque s’accroit, ils bégaient, ils tremblent…

La réponse dissociative implique un évitement ou une fuite. Il s’agit pour l’enfant de s’extraire du monde extérieur pour se replier dans une représentation plus apaisante parfois. Un enfant dissociatif est souvent docile (parfois robotisé), il affiche un comportement apaisé et autocentré, notamment en se balançant. Dans une détresse extrême, il peut perdre connaissance. La dissociation est fréquente chez le jeune enfant et chez la femme lors d’événements traumatiques caractérisés par la douleur ou l’incapacité de s’échapper.

Les enfants témoins de violences domestiques, deviennent alors craintifs de par ce « conditionnement à la peur ». Intimement liée aux troubles anxieux, cette peur peut les affecter toute leur vie durant, en l’absence de prise en charge.

Amygdale, cortex préfrontal moyen, et hippocampe sont les structures cérébrales les plus concernées lorsque l’exposition au stress est répétée et que celui-ci devient chronique. L’amygdale, devient hyperfonctionnelle, ce qui se traduit par une agitation anxieuse, une irritabilité, une hypervigilance et des réactions de sidération fréquentes.

Le cortex préfrontal en charge de notre capacité d’adaptation, de la mémorisation à court terme et de la prise de décision. Des lésions dues au stress de cette région sont susceptibles d’induire des symptômes ressemblant à la dépression, à la perte de flexibilité cognitive, à un ralentissement psychomoteur, un manque de spontanéité et des difficultés d’apprentissage.

L’hippocampe participe à des fonctions essentielles que la régulation de l’humeur, l’acquisition des connaissances, la concentration et à l’adaptation d’un individu à son environnement. Un stress récurrent engendre une diminution du volume de l’hippocampe. Plus la durée des troubles est longue, plus l’hippocampe s’atrophie. Les troubles de l’attention sont susceptibles d’être dus à cette réduction de l’hippocampe et du syndrome de délétion[2].

Quant à la dissociation qui permet de s’extraire du réel anxiogène, elle prédispose à des plaintes somatiques, à l’impuissance, à la dépendance, aux troubles anxieux et à la dépression.

Deux enfants, assis dans la même classe, de Q.I. identique, écoutant la leçon de leur instituteur. L’un apaisé et sécurisé, l’autre anxieux.  L’enfant calme parvient à se concentrer sur les paroles de l’enseignant, son cortex préfrontal est stimulé et peut s’engager dans une cognition abstraite. L’autre en état d’hypervigilance, sera moins efficace pour traiter et stocker les informations verbales fournies par l’enseignant.[3]

Lorsque Jason est assis en classe, il ne peut s’empêcher de se balancer sur sa chaise. Il dit que ça l’aide à se calmer. Mais lorsqu’on lui demande la raison pour laquelle, il ne retient pas les explications de son professeur, il répond qu’il pense à autre chose. Qu’est ce qui fait que Jason, ne se concentre pas en classe ? Il raconte que c’est pendant la leçon qu’il parvient en rêvant, à s’échapper de la joute verbale à laquelle se livrent ses parents entre eux. Il a parfois l’impression, qu’il y en a un d’eux qui finira par s’emparer d’un objet pour le balancer sur l’autre. Jason se représente cette situation chaotique comme pouvant conduire au meurtre. C’est pourquoi, pour échapper à ces images terrifiantes qu’il produit, il peut lui arriver même de chanter en classe.

Conclusion

Nous observons que les violences domestiques sont dévastatrices pour les enfants qui en sont les témoins et engendrent des stress post traumatiques. Il n’est nullement besoin de subir pour ressentir. Le sentiment d’insécurité altère les perceptions par des décharges émotionnelles importantes.  Rappelons, que l’altération de la perception s’effectue grâce à la plasticité du cerveau, mettant en place des mécanismes adaptatifs en l’occurrence de survie.

L’enfant conserve les stigmates de cette agressivité et de cette violence dont il aura été le témoin. Cela signifie, que nombre de troubles psychosomatiques seront à l’origine de ce vécu.

La prise en charge de ses enfants est indispensable pour éviter qu’une ou plusieurs pathologies s’installent. Mais lorsque les parents ne sont pas traités simultanément pour endiguer leurs conduites violentes et acquérir des attitudes plus constructives et plus sécurisantes, les pathologies de l’enfant pérenniseront.

La thérapie infantile ne montre également son efficacité que si et seulement si des stratégies sont transmises aux parents. Lorsqu’ils sont incapables de les appliquer, ils se doivent de se faire accompagner aussi longtemps que nécessaire. Nul n’est jamais à l’abri de la reproduction de scenarios destructeurs. Ne pas agir pour les altérer, c’est les reproduire in fine.    


[1] Bair-Merritt, supra note 4.

[2] Unige Valentina Mancini

[3] The Neurodevelopmental Impact of Violence in Childhood, in Textbook of Child and Adolescent Forensic Psychiatry

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