Au commencement, a été la transmission. Elle a été de tout temps pour le peuple juif et pour ses sages, l’objet d’une préoccupation de vitale.
Moshé a reçu la thora au Mont Sinai, et l’a transmise à Josué, qui a son tour la transmise aux anciens et ainsi de suite… Ainsi s’amorce le traité de la Michna d’Avot. La chaine de la transmission se doit de remplir toutes les caractéristiques de l’objectif suprême du peuple juif. Un peu comme si son destin et sa configuration génétique, étaient inscrits dans son nom : ivri (hébreu). Ever l’ancêtre des hébreux, dans sa définition étymologique, il est celui qui passe, traverse, avance, progresse. Il porte en lui tous les signes distinctifs du nomade qui apporte et transmet aux lieux dans lesquels il se rend.
Les fils de Jacob, vont chercher du blé en Egypte. Leur frère Joseph, super ministre de l’économie du royaume de Pharaon, planifie la consommation de cette denrée si rare dans la perspective des prochaines années de famine. Son génie a fait qu’il y soit parvenu, au point que la population a pu trouver de quoi se sustenter.
D’autres peuples et tribus qui s’y rendent également pour y importer du blé repartent comblés. Joseph comme tant d’autres hébreux, a fait partie de ses nomades qui ont laissé des traces. En s’installant en Égypte, ils ont développé une prospérité. Une tache qui les poursuivra tout au long des millénaires, comme si le destin les avait programmé pour cela.
L’histoire témoigne de la richesse que les hébreux ont pu apporter aux autres peuples qu’ils côtoient et qui les accueillent mais il y a en même temps ce qu’apportent les hébreux à eux-mêmes c’est-à -dire le message transgénérationnel. Les sages d’Israël ont creusé la question, pour finalement découvrir que la transmission est l’affaire d’actions conjuguées et simultanées. L’étude, la pratique des commandements divins, et les relations humaines en sont les 3 pilliers. La pratique des commandements se veut associée à une symbolique qui la rend plus réalisable par la communauté des êtres humains.
En posant le regard sur l’un des inombrables exemples qu’offre la Bible, la symbolique de Pessah illustre parfaitement cette question de la transmission au moyen de ce qui l’a rend facilement transmissible.
Tout lecteur de la Haggadah*, a pu être interpellé par au minimum trois symboles : Pessah (paques), Matsa (pain azyme) et Maror (herbes amères). Symboles envers lesquels Rabban Gamiliel** a proclamé l’injonction visant à dénoncer un manquement au devoir, pour toute personne n’ayant pas prononcé les 3 mots suivants : Pessah (agneau pascal), Matsa (pain azyme) et Maror (herbes amères). Ainsi que l’énonce le texte de la Hagadah : ‘’Tout personne qui n’a pas prononcé les trois mots suivants : pessah matsa et maror, ne s’est pas acquittée de son devoir ».
Cette sommation est à l’instar de la violation d’un commandement positif. La rigueur profonde qui en ressort, peut apostropher, d’autant que le texte « Hagadique« , abonde de ses trois symboles. Qu’est ce qui justifie autant d’insistance de la part de Rabban Gamliel, pour la prononciation juxtaposée de ces 3 symboles ? Pour en comprendre la teneur, nous proposons de les décrypter et d’éclaircir leurs implications.
Pessah, rappelle que Dieu est passé au dessus, des maisons juives et les a épargné, le soir où la malédiction a frappé les premiers nés égyptiens par la mort.
Matsah, car les juifs ont été délivrés des égyptiens.
Maror, évoque le souvenir de la vie d’amertume menée en Égypte. Vie amère causée par les égyptiens envers et contre les hébreux.
Pour que l’évènement tragique de la mort des premiers nés revêt un sens pour les générations qui ne l’auraient pas vécu, le sages d’Israël ont insisté sur le souvenir de l’angoisse ressentie, au moment du déroulement de l’événement . Certes, Moïse avait retransmis la promesse faite par Dieu aux hébreux, selon laquelle ils en seraient épargnés, cela n’a pas empêché l’émotion puissante qu’est la peur de se manifester.
La charge émotionnelle intense en réaction à la mort qui rodait, se justifiait pleinement en dépit des assurances données, par le principe du contre-transfert. Rappelons que peu de temps avant, le décret du Pharaon ordonnait la mise à mort à la naissance de tout enfant juif de sexe masculin. Ce stress post traumatique toujours persistant auprès des anciennes victimes et qui peut-être n’en n’ont jamais été guéries même bien des années après leur libération d’Egypte.
Le traumatisme est tel qu’il provoque des souvenirs indélébiles ou, parfois, une amnésie. Les souvenirs traumatiques viennent régulièrement à l’esprit quand on ne cherche pas à y penser. Ils prennent la forme de pensées désagréables ou de cauchemars. Il arrive même parfois, d’avoir l’impression de constamment revivre l’événement. Le choc du traumatisme peut aussi entraîner des pertes de mémoire, parce que l’esprit n’est tout simplement pas capable de gérer l’événement.
En vertu des conséquences de ce syndrome, il n’est sans doute pas si surprenant que les hébreux se soient fabriqués un veau d’or un mois environ après leur délivrance du joug de l’esclavage égyptien.
Revenons. Une fois la vague de la mort passée, c’est le soulagement d’en avoir été épargné, et aucune place n’est réservée au triomphalisme. Ainsi, les louanges adressées à Dieu (le sauveur) trouvent toute leur raison d’être.
Pour maintenir ce souvenir présent à l’esprit et éviter par de la même de tomber dans la compassion, nous consommons de la Matsa. Celle-ci symbolise également le pain du pauvre, de l’esclavage, de la misère, de la souffrance, mais aussi, l’effet contraire : la liberté, la délivrance, la précipitation. Toujours dans une poursuite incessante de conservation de la mémoire individuelle et collective, les sages ont institué la consommation du maror, afin que chaque consommateur garde à l’esprit l’amertume de ces 210 années d’esclavage.
Le maror, comme la matsa, incarnent l’inoubliable, le retentissant souvenir d’une condition humaine dégradante et dégradée, la maltraitance, mais aussi une mise en garde qu’un retour en arrière est toujours possible en l’absence d’une volonté ferme de se maintenir en tant que peuple affranchis et autodéterminé.
Dénoncer l’aliénation sous toutes ses formes et faire en sorte de préserver sa liberté est le propre de Pessah. Demeurer libre quoiqu’il en coûte. Pour le juif, la liberté par rapport à l’être est la soumission à l’être divin. »Je vous délivrerai d’Egypte et ferai de vous mon peuple », dit le texte biblique. C’est le passage de joug humain au joug divin. Il en tient à chacun de choisir où il veut demeurer, il est donc libre d’exercer son libre arbitre.
Les sages d’Israël ont marqué une fois de plus l’évènement par le sceau du symbole, au nom de la transmission. Une mémoire en permanence rafraichie pour que jamais elle ne faillisse. Une mémoire pour l’éternité, une mémoire pour les générations, c’est-à -dire pour la pérennité de la transmission.
…………………………..Armand Shneor……………………………………..
* Hagadah de Pessah (livre d’étude destiné au premier soir de la Pâque juive)
** Dirigeant spirituel de la période qui a suivi la destruction du second temple. Descendant de la famille de Hillel, et éditeur de la Michnah.