« Mélanie fait la queue pour prendre un ticket d’entrée au cinéma (jusqu’ici rien d’anormal). Elle cherche avec une tension visible une caisse sans trop d’attente, ce qui veut dire sans trop de queue. Il y en a une ou seules quatre personnes se sont rangées. Un sentiment de malaise est déjà présent mais elle essaie de ne pas y penser.
Tout allait donc plus ou moins bien jusqu’à ce que deux autres clients viennent se caler juste derrière elle. La coinçant littéralement. Tout à coup, c’est la sueur froide puis à contrario les bouffées de chaleur. Une difficulté à respirer s’installe provoquant une boule dans la gorge et une sensation d’étouffement. Ce cœur qui cogne et souhaite prendre de plus en plus d’espace. Alors qu’inversement son sternum semble se visser comme un étau comprimant sa cage thoracique. Tout s’emballe ! Il faut qu’elle s’en aille ! Elle en est sûre bientôt elle va perdre le contrôle, s’évanouir ou faire une crise cardiaque. Elle fuit ! »
« Gaël a perdu quelques kilos ces derniers mois. Plus que son travail, qui n’a pas varié, ou un éventuel régime, c’est surtout son état nerveux qui a contribué à le rendre ainsi filiforme. Il se sent pris continuellement d’une espèce de surexcitation des sens. Le moindre bruit le fait sursauter et il craint tout ce qui pourrait le surprendre. Ainsi il s’écarte le moins possible de la stricte routine nécessaire. Musculairement parlant il ne se détend jamais. On le dirait toujours sur ses gardes, toujours dans l’attente d’une éventuelle agression qui ne vient pas.
Il ne dort plus sans somnifères et a multiplié par deux sa consommation d’anxiolytiques. Gaël s’inquiète beaucoup pour son avenir alors que l’entreprise qui l’emploie ne fait que s’accroître et n’est pas connue pour ses licenciements. En fait il a peur de tout! Il a peur la nuit que son immeuble s’effondre ou que les vieilles conduites de gaz ne cèdent. Peur d’une attaque terroriste, peur d’avoir mal rempli sa déclaration d’impôts et d’autres pensées du genre qui ne le lâchent pour ainsi dire jamais. Il se sent comme une marmite à pression constamment prête à exploser. »
A première vue, on pourrait dire que ces personnes n’ont rien en commun. Et pourtant elles souffrent d’une même affection qui s’extériorise sous des symptomatologies différentes.
Cette affection, vous l’aurez compris, c’est l’anxiété !
Qu’est-ce que l’anxiété ?
Tout d’abord, un problème de définition se présente. En langue française les trois mots, cruciaux pour les phénomènes qui nous occupent, sont assez proches, du moins dans les dictionnaires courants. C’est à peine si leur définition varie.
Le plus simple et le moins polémique est le mot peur.
La peur est une émotion ressentie à la perception d’un danger, qu’il soit réel ou imaginaire. Ici il y a un lien direct et avéré entre le ressenti et la menace identifiable qui l’a fait naître. Les limites en sont rationnelles et circonscrites.
L’anxiété est dans son fondement la même émotion que la peur. A cette différence près que la source du danger n’est dans ce cas pas ou très peu identifiable. Le lien entre la menace et l’anxiété est incertain, surfait ou complètement irrationnel. C’est une réaction d’alerte en l’absence de tout péril imminent.
Face à une agression ou un traumatisme ou encore une catastrophe, on observe chez tout animal, homme y compris, trois types de réactions : l’attaque, la fuite et la stupeur (ou effroi). Il en existe une quatrième connue sous le nom de : « fuite-en-avant » plus spécifique à l’être humain mais cette notion est pour l’instant de peu d’intérêt. Ces réactions sont instinctives et se déclenchent dès qu’un certain niveau de peur est ressenti. L’apparition de ce sentiment modifie notre physiologie dans un sens défensif. Un accroissement substantiel d’oxygène par une ventilation plus rapide et un débit sanguin plus important dû à l’accélération du rythme cardiaque permettront à nos muscles de fonctionner avec suffisamment de force et de promptitude afin de fuir un tremblement de terre ou un prédateur.
Or dans l’anxiété, nous l’avons vu, il n’y a pas de danger défini ! Alors que se passe-t-il ?
On constate exactement les mêmes manifestations. Mais, d’une part, le comportement d’attaque est impossible, attaquer qui, attaquer quoi ? Cela fait que seuls la fuite et l’effroi sont possibles. C’est effectivement, déjà , le type de comportements et de ressentiments rapporté en cas d’attaque de panique ou d’agoraphobie.
D’autre part, s’il est un principe psychologique général, c’est que l’être humain s’accommode assez mal du manque de repères. Que ces derniers soient par ailleurs de nature positive ou négative. Le fait de ne pas pouvoir identifier un danger en cas d’alerte met en route tous les moteurs d’adaptation de notre organisme. C’est le branle-bas nerveux capable du meilleur comme du pire. Le cortex supérieur analyse, cherche, réfléchit, sélectionne, envoie des signaux tous azimuts. Tous nos sens sont en éveil ! Si cette situation se poursuit, il arrive que, par un mécanisme encore mal connu, l’organisme finisse par considérer qu’une cause interne est à l’origine de l’alerte. Et cette cause est le plus souvent identifiée comme étant la peur elle-même ! Un cercle vicieux s’établit alors que l’on nomme « la peur de la peur » ! A présent, cette simple émotion est susceptible de générer, en boucle, des manifestations qui bien sûr ne font que l’attiser. Les paroxysmes de ce phénomène sont ainsi, pour le pôle aigu, l’attaque de panique et pour le pôle grave (dans le sens long), l’anxiété généralisée.
En voici une description brève :
L’attaque de panique :
Elle se présente sous la forme d’une crise brutale et soudaine généralement dans des situations banales et le plus souvent en public. Les personnes qui en sont victimes ressentent :
•   des oppressions thoraciques,
•   des palpitations,
•   des dyspnées,
•   des bouffées de chaleur etc…
•   Une peur de devenir fou ou de mourir est souvent rapportée.
Les premières crises entraînent habituellement la peur d’une récidive. Ces personnes éviteront donc les situations identiques ou proches de celles qui ont été vécues lors des premiers traumatismes. L’attaque de panique évolue ainsi couramment vers l’agoraphobie.
L’anxiété généralisée :
Il s’agit d’un état assez stable et continu dans lequel le sujet sera préoccupé, pratiquement sans maîtrise et sans arrêt, par des ruminations et des idées de peurs et d’inquiétudes. Le plus souvent, ce sont des préoccupations concernant l’entourage immédiat. Des situations simples comme :
le départ d’un enfant pour l’école
la réception d’un facture importante au courrier vont prendre des proportions colossales. L’enfant va-t-il se faire écraser ? Tomber dans la cour de récréation et se briser le cou ? Cette facture, comment la payer ? La prochaine sera-t-elle encore plus importante ? Cet état s’accompagne fréquemment de troubles somatiques ainsi que d’une détresse importante.
Ressentir de la peur et de l’anxiété n’est pas un facteur maladif en soi. Bien au contraire. Tout le monde et chacun en particulier ressent une certaine dose de ces émotions. Enfants, adolescents, adultes, femmes, hommes, sans distinction. L’anxiété, elle aussi, est un phénomène vital de portée éducative et évolutionniste. En raison de son besoin immanent d’être surmontée et des ressources physiques, intellectuelles, inventives voire artistiques qu’elle mobilise à cette fin, l’anxiété nous pousse en avant et nous permet d’en faire plus et souvent mieux. Ce n’est pas un hasard si nos entreprises modernes ont institué des systèmes anxiogènes (créant de l’anxiété) pour stimuler notre performance. C’est ainsi que fleurissent les emplois précaires et les politiques de management dites « sous pression».
Cependant, au-delà d’une certaine limite comme nous l’avons vu, variable selon les individus, elle peut devenir un obstacle, un problème, une maladie.
Les études de ces dernières années établissent que 20% de la population est touchée par des troubles de l’anxiété, c’est-à -dire qu’elle en souffre un peu à beaucoup.
Ces troubles anxieux ont été classés en catégories distinctes afin de permettre une meilleure reconnaissance et une thérapeutique plus efficace de ses différents visages. Il est cependant rare de trouver chez quelqu’un l’une de ces dénominations de façon isolée. Le plus souvent plusieurs d’entre elles sont combinées dans des proportions extrêmement variables.
Voici les plus reconnues :
-le trouble panique
-l’agoraphobie
-les phobies simples ou spécifiques
-la phobie sociale
-les troubles obsessionnels compulsifs (toc)
-l’état de stress post-traumatique
-et l’anxiété généralisée
Si l’anxiété est assez proche de la peur et mobilise les ressources nerveuses, nous pensons que l’angoisse est un sentiment beaucoup plus viscéral et inconscient à la fois.
En quelque sorte la partie émergée de l’iceberg surplombant les manques et les conflits pulsionnels. Son ressenti, plus subjectif et propre à chacun, fait fréquemment intervenir des troubles psychosomatiques.
Nous terminerons par une autre notion à la mode: le stress.
C’est un concept récent (apparu dans les années 50) qui désigne la réponse de l’organisme à un agent d’agression ou à un traumatisme quelconque. Dans le langage populaire, l’agent stressant (l’agresseur) et la réponse sont confondus dans le mot « stress ».
Il s’agit concrètement de ce que l’on ressent lorsque l’organisme tente de s’adapter à une situation nouvelle qui menace peu ou prou son équilibre.
L’anxiété est une réponse courante de stress (ou au stress).