La crainte et l’angoisse sont autant psychologiques que biologiques. Elles constituent une alerte qui informent d’une menace existante présente ou future. Elles nous indiquent que le pire peut arriver. Leurs fonctions engendrent un mouvement du corps orienté vers une auto protection. Les éradiquer au nom des représentations que nous nous faisons de certaines situations et des émotions désagréables qu’elles induisent, reviendrait à annihiler le système de défense qui favorise la sauvegarde l’individu dans son être. Sans une crainte qui suscite l’anticipation et une angoisse qui contraint, aucun être ne saurait exister. En ce cas d’espèce, le courage consiste à se mobiliser pour affronter des réalités douloureuses, dans le but d’une plus complète réalité positive.
L’affirmation de soi ne consiste pas à scander les capacités auxquelles on aspire, telles qu’elles s’énoncent dans le courant de la pensée positive : «je suis capable d’y arriver ». Elle consiste en un certain nombre d’acceptations, notamment celles du besoin en général, d’une pénibilité dans le travail, d’une insécurité, d’une souffrance, d’une incertitude, voire d’une destruction possible c’est à dire, de la mort. La vie ne pourrait être préservée, ni accrue dans son espérance, sans cette affirmation de soi et donc sans le préalable de l’acceptation.
Plus un individu est doté d’une force vitale, plus son courage croit, plus il est capable de s’affirmer en dépit des dangers qu’augurent la crainte et l’angoisse. Toutefois un excès de courage tendant à propulser dans l’action, pourrait l’exposer au danger énoncé par son propre système d’alerte. A contrario, lorsque la crainte prend le dessus, le courage perd de sa puissance et la vie peut aller jusqu’à s’interrompre. L’idée consiste à emprunter une voie médiane située entre le courage et la crainte.
Renoncer à toute prise de risque au nom de l’incertitude et de l’insécurité qui les caractérisent, devient un facteur de destruction biologique. Par conséquent, l’espèce humaine incorpore à la fois crainte et courage comme éléments du processus vital. Ces deux éléments sont sujets à des variations que l’individu tend tout au long de sa vie à ajuster et à ramener vers un équilibre.
Une diminution de la vitalité entraîne une diminution du courage. A l’inverse, une fortification de la vitalité équivaut à accroitre le courage d’être.
Ce qui caractérise l’individu déprimé et les périodes de déprime c’est précisément cette carence de la vitalité. L’ère actuelle est polluée par des menaces en tous genres, sanitaires, sécuritaires, socio-économiques et démocratiques.
Des catastrophes imminentes et avérées sont annoncées quotidiennement : deuxième vague du Covid-19, troisième vague, risque élevé de contagion, risque de mort, risque d’isolement social, risque économique avec des faillites en cascade et une courbe ascendante du chômage, risque de famine : 135 millions de personnes sont confrontés à la faim et 130 millions de personnes devraient se situer au bord de la famine d’ici la fin de 2020. La famine pourrait frappée entre une trentaine et une quarantaine de pays.[1] Risque de séquelles dus Covid-19 : le Covid-19 produirait un déficit immunitaire laissant le champ propice à l’éclosion de psychopathologies[2]. Selon l’étude publiée sur Science Direct, 28% souffriraient de stress post traumatique, 31% de dépression, 42% d’anxiété, 20% de troubles obsessionnels et 40% d’insomnie. La population féminine souffrirait davantage de dépression et d’anxiété. Il existe également un impact psychologique du Covid-19 sur des sujets présentant une vulnérabilité mais aussi sur des sujets en bonne santé mental et le nombre de dépression et de troubles anxieux seraient en nette augmentation.
On annonce qu’un vaccin pourrait être mis sur le marché d’ici quelques mois. Toutefois, la méfiance envers les autorités gouvernementales aussi bien que scientifiques, indique qu’un nombre non négligeable de personnes redoute ce vaccin et n’envisage pas la vaccination comme solution de protection contre le Covid-19. Une étude en date du 20 octobre 2020, parue dans Nature Medicine[3], indique que 41,11 % des Français seraient réticents ou refuseraient de se faire vacciner contre le Covid-19. Beaucoup gardent encore en tête l’exemple de l’hiver 2009-2010 où la campagne de vaccination contre la grippe H1N1 s’était faite dans des conditions d’extrême rapidité. Une soixantaine de cas de narcolepsie avaient été recensés sur le territoire. La Géorgie a connu en 2008 une réticence vaccinale de la population, liée avec un important activisme d’anti-vaccins. L’Ukraine a également connu, en 2008, une importante chute de la confiance envers les vaccins après qu’une rumeur sur le décès d’un jeune homme des suites d’une vaccination contre la ait été relayée par de nombreux médias.
Lorsque l’individu perçoit son destin menacé, son angoisse croit par effet causal et sa vitalité décline. Faire preuve de courage, telle que l’ère d’aujourd’hui nous l’insuffle, c’est connaitre ce qui est à éviter et ce qui est à oser, comme l’exprimait Platon dans le Lachés. Faire preuve de courage, c’est oser la raison conforme au principe de réalité. Les deux formant une dyade nécessaire. Faire preuve de courage, c’est exercer sa puissance vitale en se créant soi-même sans se perdre. Se créer soi-même, c’est se réinventer, c’est trouver ce qui peut être assemblé différemment. Nous parlons d’innovation essentiellement dans le monde des technologies, or ce concept peut être étendu à d’autres champ. Le vocable d’innovation, renvoie à l’idée de retour à quelque chose d’ancien. Le jargon juridique en a fait usage, dans le sens d’introduire quelque chose de nouveau dans ce qui est déjà établi. Dans tous les cas, il s’agit de greffer une impulsion nouvelle à quelque chose, venant ainsi contrecarrer l’oxydation subie par l’érosion du temps.
Ainsi, devrait-il en être face à cette déprime qui ronge notre vitalité. Cette innovation tant sur le champ individuel que collectif, ne devrait pas bannir pour autant l’idée de progrès, mais au contraire, les deux concepts peuvent être menés de front pour nous en sortir.
Innover, progresser, poursuivre ses désirs. Lesquels ? Non pas ceux qui en appellent à un assouvissement matériel au point de s’assujettir à sa propre satisfaction. Mais ceux qui tendent à stimuler la pulsion de vie, ceux qui en appellent à bonifier sa propre existence non pas au détriment des conditions de l’altérité, mais bénéfice de soi et de celui de l’autre. Il ne faut renoncer à presque rien, ou alors renoncer à une infime partie du désir, sachant que cette infime partie détruit tout. C’est ce que nous observons dans notre système. Des choix restent à faire vis-à-vis de ceux qui font sens : il convient alors de s’interroger sur ce que nous désirons au travers notre existence, c’est à dire ce que nous souhaitons valoriser.
[1] Données fournies par David Beasley, directeur du programme alimentaire mondial
[2] https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0889159120316068
[3] https://www.nature.com/articles/s41591-020-1124-9