Au devant de la vie dans l’imbroglio

Le courage d’être est celui de s’affirmer en dépit du destin et de la mort – Hamlet

Un peu partout sur la planète, nombre de personnes se disent aujourd’hui terrassées par cette épidémie dont nul ne voit le bout. Fatiguées d’être empêchées de travailler, de se distraire, de s’évader, de se retrouver. Hantées par la contagion. Contrariées par ses mesures en nombre qui bien que justifiées sur le plan de la raison sanitaire, sont devenues insupportables. Privées de liberté, par cette distanciation qui fendille le lien social, elle impose un écran entre l’autre et soi, une mise à distance avec nombre de ses proches.  Hantées par l’incertitude qui opacifie l’horizon toujours plus reculé et en même temps plus ténébreux.  Frustrées par ce sentiment d’amertume et d’anxiété d’une liberté arrachée et qu’elles redoutent de voir déliter à jamais. Angoissées par la précarisation qui grossit journellement et qui les menace.

Minées par cette impossibilité de retrouver sa vie d’avant pandémie. Était-elle idéale ? Assurément non ! Meilleur ? Plutôt autre ! et particulièrement plus libre.

L’imbroglio est là, la confiance est rompue envers ceux qui tiennent les rênes. Qu’ils soient scientifiques ou politiques, leurs discours sont perçus comme des galéjades. A chaque décision de prise, l’impression est donnée, que les itinéraires suggérés, conduisent à l’impasse et au mécontentement. Un monde qui nourrit jour après jour le sentiment d’une perte de contrôle ou tout peut vaciller en un clin d’œil. Les plus vulnérables s’écroulent, tandis que beaucoup d’autres sont au bord du burnout.

Nous étions déjà et sommes toujours dans une culture où l’individu est réifié , interchangeable, où les relations humaines sont gérées comme des produits, où la rentabilité, l’efficacité et la sécurité sont les valeurs prédominantes, où il est exigé des individus une adaptation toujours plus vive, plus instantanée. Le tout dans un contexte d’inégalités visibles, tant dans l’accès au travail, qu’aux soins, qu’à la culture, qu’aux loisirs, qu’aux temps pour soi.

Un contexte d’insécurité, politique, économique avec une précarisation, culturelle et psychique.

Cette fatigue est là présente, elle est l’arbre qui cache la forêt. L’individu porte en lui ce sentiment, qu’elle n’est pas prise en compte et ce jusqu’à ce qu’un burnout ou une dépression complique chroniquement son adaptation aux normes requises.

L’OMS[1] définit la santé non comme l’absence de maladie ou d’infirmité, mais comme un état de complet bien-être physique, mental et social.  Sa mission consiste à agir sur en faveur des citoyens de la planète. Mais dans cette attente, les plus vulnérables continuent de s’effondrer et l’angoisse telle une hydre fragilise en nombre.

Que peut l’individu face à cet état de fait ? Comment peut-il advenir à lui-même, sans attendre qu’une amélioration générale ne se produise, sans attendre l’arrivée d’un vaccin sur le marché.  

Carl Jung, suggère d’accueillir la dépression, non pour la choyer et la maintenir auprès de soi, mais pour l’écouter et entendre le message dont elle est porteuse et qui nous concerne : ‘’la dépression est comme une femme vêtue de noir. Si elle arrive, ne l’expulsez pas ; invitez-la à table comme s’il s’agissait d’une convive et écoutez ce qu’elle a à vous dire. « 

Comment par la seule écoute, lénifier un tourment aux implications physiques et psychiques ? Comment se libérer de hantises refoulées et des peurs qui attentent jusqu’à son désir de vivre ? Freud a proposé au souffrant de livrer à l’analyste et sans aucune censure, ses pensées. Cette relation qu’on nomme le transfert, va susciter l’émergence d’une vérité qui soulage, voire qui guérit. Cette vérité raconte une histoire individuelle et collective. Son écoute attentive conduira à l’exploration des messages du corps, celui des lapsus, des actes manqués, des rêves, des accidents, jusqu’à la tonalité de ses propres désirs, de ses peurs et ainsi remonter aux barrières qui entravent l’accès à la liberté. Déceler ainsi les angoisses qui hantent, la lassitude voire même l’envie d’en découdre avec l’existence.

La compréhension n’est pas synonyme de guérison, mais elle est une passerelle qui en l’empruntant permet d’y parvenir. Pas plus, qu’on ne peut écarter l’angoisse en la repoussant par des arguments. La volonté même de juguler l’angoisse, n’est pas performative. En d’autres termes, qui veut ne peut pas forcément. Comment peut-on alors en sortir ?

L’idée étant de se demander si, les choses sont si immuables qu’elles ne laissent paraître. Cela devient une invitation à réviser, la représentation qui est faite de la situation et à s’interroger sur le comment cette perspective des choses peut être déplacée, ou peut être renversée ? Comment l’observateur que nous sommes peut-il jouer avec les angles pour en obtenir des vues qui soient autres, qui soient enrichies, ou peut-être plus réduites, en partie ou en totalité, pour enfin trouver celles qui font écho en soi et activent une forme de tempérance ?

Rappelons qu’une situation n’est anxiogène que parce que nous nous la représentons comme telle. Or ces mêmes imaginations sont le fruit d’un réel qui se conjugue avec notre histoire individuelle et collective. Dés lors émanent des sentiments et des émotions en réaction de ses opinions parfois faussement élaborées.

Par ailleurs, il ne s’agit pas d’abandonner sa pensée en la laissant subir l’assaut d’une négativité répandue à partir des médias et des réseaux sociaux. Il existe certes une réalité et il n’est pas question de la nier. L’observer consiste à y mettre de la distance et à prendre le temps de la tourner et de la retourner. Vient ensuite le moment d’extraire de son imagination les mécanismes adaptatifs faisant en sorte que la situation devienne ou reste gérable.

Lorsque nous entendons parler du nombre de morts qui croit par contagion, ou d’un attentat, il est farcesque, voire vain, de se dire que nous allons tous mourir. Hormis, le fait que ce soit une certitude et non un scoop, chaque jour qui passe nous rapproche de l’instant T que nous redoutons, mais dont nous ignorons la valeur. L’heure finale ou nous cesserons d’exister ne nous apportera pas elle-même la mort, mais ne fera qu’achever le processus mortel de l’existence.

En d’autres termes, cette mort en tant qu’elle immuable fait partie de notre existence. Le seul petit pouvoir dont nous disposons, c’est de la précipiter ou de la retarder.

Dès lors, il est plus pertinent de s’interroger sur la nature et le degré d’effort à accomplir pour la préservation et la conservation de soi, plutôt que de demeurer figé face à un certain réel. A savoir, s’interroger sur ce qui peut être accompli, pour se préserver, tant sur le plan physique que sur le plan psychique serait l’antidote à cette anxiété semblable à une hydre. Nous devons également raisonner plutôt que de phagocyter l’information à longueur de temps. Ne pas se laisser assaillir, c’est faire barrière et sous peser les éléments que nous possédons. Lorsque la connaissance fait défaut, il convient d’aller s’en enquérir auprès de sources fiables. Puis agir avec raison et détermination. Et non se contenter d’opinions préfabriquées ou encore produites à la hâte.  

Se protéger face à la transmission du virus n’est pas une fin en soi. Mais se préserver, tout en continuant à vivre du mieux que l’on peut en mettant en place des processus adaptatifs, permettant de trouver un confort en pleine tempête. N’est ce pas un des nombreux paradoxes de cette existence ?


[1] OMS : Organisation Mondiale de la Santé

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