Les rayons du soleil, se profilaient entre les feuilles de cet arbre gigantesque, grâce au souffle du vent qui les agitait. Cela faisait comme un jeu de lumières qui dans cette alternance d’ombre et de clarté, pénétrait dans la chambre insonore de Kevin.
Lui, alternait entre position debout et allongée, se livrant à des allées et venues entre son lit et sa fenêtre. Parfois, il interrompait cette trajectoire pour en tracer une nouvelle, en s’extirpant de longues heures de sa chambre pour se rendre à la cuisine. Souvent en marchant, il poussait de longs soupirs. Était-ce de l’ennui, de la tristesse ou de la déception ? Une once de chaque dont le mélange répandait en son être une angoisse insoutenable, figeant son action. Comme le montrent les neurosciences, une sur-stimulation de l’amygdale due à une angoisse ou à un stress, peut entraîner une activation excessive du système nerveux sympathique. Cela peut inclure une immobilisation des muscles, qui est une réponse de défense passive face à la menace.(1)
Kevin, vivait mal, cette tribulation de l’échec. Un examen qu’il pensait réussir sans peine. Une formation vis à vis de laquelle, il avait investi un enthousiasme intarissable, mais dont l’issue l’avait imprégné d’amertume. Ses journées plates, semblables les unes aux autres, racontaient l’histoire d’un sujet morfondu par le désenchantement qui lui semblait être parvenu à une fin de parcours. Bien qu’il tentait à maintes reprises de faire montre face aux autres, de propos témoignant d’une attitude résiliente, le réel trahissait ce que sans doute il aurait aimé être, mais qu’il n’était pas parvenu pour l’heure à demeurer.
Par delà, le fait d’échouer, vu comme le fait de parvenir à un lieu ou un état non choisi, signifie par un effet de causalité, la suspension de toute action, de tout effort, de tout projet, visant à récidiver ou mieux à persister dans le mouvement originellement engagé. Cela revenait à une mise à mort de l’initiative du départ.
Que s’est il passé pour que Kevin embrasse le trépas au détriment au mouvement de la vie ?
L’émotion associée à l’initiative de départ conduit à favoriser cette représentation de la réussite, comme si en se lançant, le succès en était promis et qu’il suffisait simplement d’une volonté d’entreprendre et d’initier le geste pour atteindre ce lieu désiré. Si la volonté n’est pas performative, le succès l’est encore moins.
Qui veut entreprendre ne réussit pas forcément. La volonté de vouloir n’est pas la garante d’un aboutissement, bien qu’elle soit une nécessité à l’acte initiateur. La réussite abrite en son essence la performance et cette dernière suppose un investissement de soi.
L’enthousiasme de départ nécessaire au dépassement des premiers écueils, des premières frustrations, des incidents de parcours, suppose d’être alimenté pleinement et constamment tout au long de cet itinéraire, afin de lui éviter un tarissement et surtout parvenir à bon port.
Convoquer le futur dans le présent, comme si ce dernier était acquis, revient a faire le jeu de l’anxieux qui par le même exercice mental convoque le pire de l’avenir, dans l’instant immédiat et qui dans sa confusion temporelle en vient à s’inquiéter comme si ce qu’il redoutait était entrain d’être expérimenté, d’où il en résulte une panique.(2)
La représentation mentale de cet aboutissement, demeure une nécessité, mais se doit de préférence d’inclure des instants de panne, d’inertie, d’ignorance, de questionnement, d’erreurs, ainsi que les réponses et les attitudes qui y feront face, pour perpétuer l’engagement dans le mouvement. C’est ainsi que l’individu se façonne et devient, par voie de conséquence. Il devient en conformité avec ce qu’il désire être. Cependant, lorsqu’il interrompe l’effort, bien qu’en devenant toujours mais autrement, il rompe avec cette conformité face à laquelle il s’était inscrit.
L’erreur n’est pas l’échec, ce serait une erreur de ne pas le croire ! Elle, est une déviation de la vérité due au fruit de l’ignorance ou de l’inadvertance. Elle renvoie à la notion d’égarement relatif à un itinéraire donné, ou encore à une errance. Ce qui suppose, un ajustement possible, une remise sur la voie. Elle est un passage transitoire, une pause, une mise au point. L’échec quant à lui, positionne le sujet dans une fin de partie : «Échec et mat» : le roi est mort.Plus rien ne peut être fait, tout a été tenté, l’énergie est épuisée, à en croire celui qui échoue.
Ainsi, Kevin en venait à cette confusion, de se représenter l’échec à son examen comme un point de non retour, une plongée dans un trou noir. Il ne trouvait pas la présence d’esprit supposée lui faire émerger l’idée selon laquelle, repasser son examen était une possibilité pour le décrocher.Il venait de faire une pause sur son devenir, celui qui le dressait en conformité avec ses idéaux du moment, pour tomber dans une fatigue de soi. A ses propres yeux, l’échec venait réduire à néant sa valeur. Or l’échec ne détermine la valeur de quiconque. Il n’osait pas, il n’osait plus, pas même de se dire que l’échec constituait un Kairos, celui de se donner l’occasion de parfaire ses efforts, de les investir autrement et d’explorer du nouveau au-dessus du soleil.Une façon de se soucier de soi-même consiste à opérer à un dépassement de soi, en s’élevant au dessus de ses propres limitations. Et ne trouve que celui qui désire explorer, fouiner, creuser, bêcher, c’est à dire celui dont l’esprit est évasé et dont l’action ne connaît de limite que lorsqu’elle ne dépend pas de soi.
Le stoïcien Épictète, penseur de la liberté, invitait à distinguer ce qui dépend de nous de ce qui n’en dépend pas pour pouvoir être libre. Ainsi disait-il : »Souviens-toi donc de ceci : si tu crois soumis à ta volonté ce qui est, par nature, esclave d’autrui, si tu crois que dépende de toi ce qui dépend d’un autre, tu te sentiras entravé, tu gémiras, tu auras l’âme inquiète, tu t’en prendras aux dieux et aux hommes. Mais si tu penses que seul dépend de toi ce qui dépend de toi, que dépend d’autrui ce qui réellement dépend d’autrui, tu ne te sentiras jamais contraint à agir, jamais entravé dans ton action, tu ne t’en prendras à personne, tu n’accuseras personne, tu ne feras aucun acte qui ne soit volontaire ; nul ne pourra te léser, nul ne sera ton ennemi, car aucun malheur ne pourra t’atteindre.»
Après une lutte acharnée contre lui-même, contre cette envie d’en découdre avec l’existence, contre ce sentiment de dépréciation de soi, comme cette fainéantise qui le figeait sur sa couche, il décide alors de se remettre sur les starting-blocks et de repasser son examen malgré l’appréhension qui faisait son retour dans les derniers instants et comme une force contraire, tendait à vouloir lui faire tourner les talons. Le succès était au rendez-vous. Il était heureux, certes d’être parvenu à ses fins, mais avait surtout le sentiment d’avoir accouché de lui même. Un vent de libération faisait frétiller son être.
(1) – Jovanovic, T., Norrholm, S. D., Fennell, J. E., Keyes, M., Fiallos, A. M., Myers, K. M., & Duncan, E. J. (2009). Posttraumatic stress disorder may be associated with impaired fear inhibition: Relation to symptom severity. Psychiatry Research, 167(1-2), 151-160.
– Milad, M. R., & Quirk, G. J. (2012). Fear extinction as a model for translational neuroscience: Ten years of progress. Annual Review of Psychology, 63, 129-151.
– Van der Kolk, B. A. (2014). The body keeps the score: Brain, mind, and body in the healing of trauma. Penguin Books.
(2) Ströhle, A., Holsboer, F., & Rupprecht, R. (2003). Increased cortisol response to the 5-HT1A receptor agonist buspirone in patients with social phobia. Neuropsychopharmacology, 28(3), 491-497.
