“Je hais et j’aime. Tu demandes peut-être pourquoi je fais cela. Je ne sais pas, mais je le sens, et cela me torture’’.
Il est 19h30, Lena vient de rentrer après une journée de travail éreintant, transitant d’une réunion à l’autre, accomplissant un panel de tâches composites et pour finir, un accrochage avec un membre de son équipe qui tardait à lui remettre un dossier. Elle n’éprouve qu’une hâte, celle de retrouver son compagnon supposé tourner la clé dans la serrure d’un instant à l’autre.
Certes, l’attente se fait longue. Il est 19h45, elle tempête si fort, en ruminant pour la sempiternelle fois : « pourquoi, il n’est pas là ? … Il a du rencontrer une de ces c….. qui lui a fait du grain. …. Je sais qu’il va m’abandonner… Tiens, je vais peut-être enfin me décider à me remettre sur le marché. C’est insupportable, il va m’abandonner.’’ A 19h50, Léna perçoit le bruit de la clé tourner dans la serrure de la porte d’entrée. D’un pas décidé et avec le ton agressif qui l’accompagne, elle bondit face à lui comme si elle envisageait d’en venir à un pugilat : « Enfin ! Tu aurais dû passer la nuit tant que tu y étais » C’est encore une de tes pou… qui t’a alpagué ? Avoue !
Certaines personnes redoutent tant l’abandon que le rejet, qu’elles configurent leur conduite en fonction de leur hantise. Elles oscillent parfois entre état de soumission et opposition insurrectionnelle, leur valant le rejet de l’autre.
L’anticipation de l’abandon et du rejet sont cimentés par le soubassement de la peur. Tant que l’origine des peurs n’aura pas été identifiée et comprise, elles persistent au travers des habillages diversiformes, confectionnés à partir des représentations de la situation.
L’abandon et le rejet sont deux sentiments, faisant partie de ce qu’on qualifie de dépendance affective.
L’abandon est cette plainte lancinante du cœur, évoquant le douloureux sentiment d’être délaissé, comme une rose que l’on négligerait dans l’obscurité d’un coin et finissant par fanée. C’est l’amertume de voir s’éloigner ceux en qui l’on avait déposé l’espoir de soutien et d’affection, comme des étoiles filantes qui disparaissent à jamais dans la nuit.
L’abandon peut être la suite funeste d’une tragédie, la perte d’une relation significative, tel un château de sable emporté par les vagues déchaînées d’une rupture amoureuse, d’un divorce ou du trépas d’un être cher.
Il n’est pourtant, point besoin que la chair se sépare pour que l’abandon sévisse. Les arcanes de l’émotion, subtiles et insaisissables, peuvent tisser un réseau invisible d’isolement. C’est l’abandon émotionnel, une blessure sourde qui ronge l’âme comme une lueur qui s’éteint.
Même lorsque l’objet d’affection demeure à nos côtés, il peut sembler lointain, indifférent, comme une étoile déchue dont la lumière ne nous atteint plus. Les sentiments d’abandon, telles des ombres fugaces, s’insinuent et s’enracinent, jetant leur voile sombre sur le paysage de l’esprit.
Ces blessures de l’abandon, sont autant de graines qui germent en d’autres maux. L’anxiété s’installe, une compagne fidèle de cette solitude indésirable, tandis que la dépression, tel un lourd manteau, engourdit l’âme. Les relations humaines, jadis sources de réconfort, se muent en terres arides où les ponts de communication sont emportés par les eaux tumultueuses de la désolation.
Le rejet quant à lui, semblable à cette lame acérée qui cisaille les liens humains, surgit lorsque le souffle glacial de l’indifférence ou de la désapprobation repousse, tel un vent cruel, un individu vers l’isolement. Il se pare d’une clarté froide, dépourvue de toute ambivalence, et prend forme dans des gestes sans équivoque, tels les portes closes de l’opulence qui se ferment à la face d’un mendiant.
C’est une invitation dédaignée, un appel resté sans réponse, ou une indifférence ostentatoire marquent l’existence de celui qui se voit ostracisé. Cette exclusion cruelle, cette sentence silencieuse, résonne comme un gong funèbre dans le cœur de l’individu évincé.
Le rejet, insidieux et implacable, n’est point qu’un simple affront ; il est un venin qui peut corrompre l’âme. Il engendre la douleur, cette flamme dévorante qui consume le moi dans un brasier d’humiliation et d’insécurité. L’estime de soi, autrefois solide comme un roc, peut se fissurer sous la pression de ce bannissement, laissant place à un désert de doute et de désolation.
Le rejet est aux mille visages : le rejet amoureux, lorsque le cœur est brisé par l’indifférence d’un être cher ; le rejet social, où l’exclusion d’un groupe fait peser le poids de l’isolement ; le rejet professionnel, lorsque l’aspiration à la réussite se heurte au mur du refus implacable.
Ainsi, tel un spectre invisible, le rejet hante les interstices des relations humaines, laissant derrière lui les cicatrices imperceptibles dans la psyché et le goût amer de la solitude forcée.
Le sujet se sentant abandonné et ou rejeté, se situe dans un état émotionnel et sentimental qui le subordonne à l’autre, vivant par et pour l’autre. La dépendance émotionnelle, est cette toile invisible, tissée de désirs insatiables, qui enserre les cœurs avides de chaleur et d’affection. Parfois, telle une ombre obscure, elle se manifeste par un besoin constant et impérieux de validation, une soif inextinguible de l’attention des autres et de leur présence. Tel un papillon attiré par la flamme, le dépendant affectif se consume dans le désir de plaire, d’être aimé. Il se fond dans l’existence de celui qu’il désire pour lui.
C’est la peur lancinante de l’abandon, ce précipice noir où le sujet redoute de sombrer lorsque l’être cher s’éloigne. C’est l’incapacité à être seul, une solitude qui pèse comme une chaîne, car l’individu dépendant affectif ne trouve la paix somme toute relative parfois qu’en présence d’un autre. Car il arrive même en présence, que le sujet pris dans un tourbillon de passions tristes, exige de l’être aimé qu’il manifeste une présence vivante, jusqu’à ce que le dépendant trouve l’apaisement voire le sommeil.
Au nom de cette dépendance, les frontières du soi s’effacent. Les besoins et les désirs de l’autre deviennent prioritaires, et l’individu se perd dans le tourbillon des volontés d’autrui. Les contours de l’identité s’estompent, et l’estime de soi vacille, tout cela au nom de la quête insatiable d’un amour qui, tel le Graal, reste toujours hors de portée.
Le dépendant oscille entre joie et désespoir. Ses relations interpersonnelles, pleines de tumultes et de rebondissements, car il est souvent attiré par des partenaires qui réfléchissent la même lumière aveuglante de la dépendance. L’équilibre fragile de ces liaisons est précaire, comme des funambules marchant sur un fil tendu au-dessus d’un abîme de souffrance.
Perte de mémoire ou refoulement ?
La personne en proie à la dépendance affective peut prétendre, tel un acteur de tragédie, qu’elle a égaré les souvenirs précis de ces douleurs et de ces instants d’abandon datant des méandres de son enfance. Lorsqu’elle s’engage dans un processus thérapeutique, elle prétend que les joies et les douleurs de ses jeunes années sont devenues des énigmes, des pages tournées dans l’obscurité, un livre refermé avant d’en déchiffrer les lettres. C’est comme si, dans le roman de leur vie, elles avaient brûlé la dernière page de ce chapitre, laissant les souvenirs se dissoudre dans l’encre invisible du passé.
Quelles en sont les causes ?
Des relations intrafamiliales dysfonctionnelles, ponctuées de conflits perpétuels, de violence psychologique et ou physique, imprègnent la psyché de cicatrices invisibles à l’œil nu. Cette atmosphère étouffante et hostile, constitue le terreau fertile de l’enfant, pour cultiver le besoin ardent de stabilité et de soutien émotionnel.
Les années de l’enfance sont une période cruciale où se trament les premiers fils de la psyché. Se forge alors une quête insatiable, qui se perpétuera bien au-delà de l’innocence de l’enfance. A l’âge adulte, ces sujets développeront une inclination particulière à se plonger dans les eaux troubles des relations amoureuses, désirant ardemment y trouver le précieux élixir de l’amour, pour ainsi devenir des mendiants de l’affection.
Tout comme ces enfants orphelins de l’amour, de l’attention et de la validation émotionnelle de leurs géniteurs, leur for intérieur devient une terre aride, où chaque oasis d’affection est recherchée comme une source précieuse. Il erre sans fin, cherchant désespérément à combler ce vide abyssal par le lien intime avec autrui, de par ce besoin insatiable de se faire valider, aimer, bref cette avidité à demeurer continuellement, au centre du regard de l’autre.
Ces sillons tracés dans la psyché de l’enfant, sont autant de blessures. C’est seulement en dévoilant ces mystères, en explorant les profondeurs de certains matériaux inconscients, que l’individu peut espérer guérir les cicatrices de la dépendance affective et se libérer des chaînes du passé.
Imaginons un sujet ayant dans son enfance été victime de négligence parentale. Avec le temps, se tisse en lui un devenir d’adulte anxieux, en même temps qu’un inconfort à demeurer en compagnie de son propre être. Car pour certains, demeurer avec soi même c’est se tenir face à un vide étourdissant et aspirant. Pour d’autres, c’est faire face à l’ombre démoniaque de soi-même vis-à-vis de laquelle, les pires inconduites sont redoutées, parfois commises. C’est pourquoi, le dépendant se plonge systématiquement dans une quête, de celui ou de celle qui pourra lui offrir sa compagnie. Parfois, il ne se contente d’une personne unique, par crainte d’affronter l’absence. C’est pourquoi, devenu fin calculateur par la force des choses, il tente de combler les interstices des temps vides, par la quête de celle ou celui qui pourra généreusement offrir des instants de présence, dont il a, faut-il l’entendre, le plus grand mal à parvenir à la satiété.
Dépendance affective et carence affective, sont cimentées par une relation de subordination. En effet, on ne saurait comprendre la dépendance affective d’un agent, sans en observer les soubassements aux nombreuses brèches et cavités constitués durant les années d’innocence. En grandissant, l’individu peut développer une certaine confiance en lui de par la capitalisation de certaines réussites professionnelles et personnelles, sans pour autant qu’il renonce au maintien d’une avidité à la séduction et qui en serait l’un des marqueurs comportementaux. Cela devient une raison supplémentaire, motivant la quête de l’autre. L’autre devenant l’incontournable agent d’approbation de tout un spectre d’interrogations. Ainsi, cette quête insatiable de l’autre et ce besoin constant de validation, le fait succomber à des angoisses chroniques.
Par conséquent, bâtir une stratégie thérapeutique en vue d’être affranchi d’une addiction aux affects, consiste d’abord et avant tout à identifier les mécanismes comportementaux et environnementaux qui les ont déterminés.
La négligence parentale ne constitue en rien l’unique cause d’une dépendance affective, mais les traumatismes tels que les abus physiques, sexuels ou émotionnels, ainsi que les expériences d’abandon, peuvent créer ce sentiment d’insécurité émotionnelle suscitant la souscription permanente à une assurance auprès de l’autre, quitte à confier consciemment son âme à un(e) pervers(e). Le dépendant, a recours à la satisfaction dans l’instantanéité et abhorre l’ajournement du plaisir au risque de nombreux préjudices.
Léna a commencé à prendre conscience de sa dépendance, à partir d’angoisses matinales. Cela se traduisait par des pressions ou encore des douleurs au sternum. Dans la mesure où, elle ne parvenait pas à s’expliquer cette manifestation physique, la panique s’emparait d’elle, inhibant toute capacité de réflexion. Ses mécanismes adaptatifs ont consisté en des recours aux paradis artificiels non sans effets délétères. Ainsi, après des tentatives récurrentes sans succès, de faire venir son compagnon auprès d’elle, quitte à le faire rompre avec la ponctualité au travail, en le faisant arriver en retard ou le faisant quitter avant l’heure, elle déroulait toute tremblante un bas de laine dissimulé dans un tiroir à chaussettes, du cannabis ou des comprimés d’ecstasy qu’elle s’empressait de consommer.
De nombreux autres comme Léna, en proie à des angoisses, se ruent soient vers ces paradis artificiels aux effets lénifiant et sédatant mais o combien délétères dont les psychotropes font parties, ou vers les marchands de bonheur, soient ont recours au médecin, pour en obtenir des prescriptions itératives d’anxiolytiques.
Des années peuvent s’écouler sans que ne soient remises en cause ces pratiques, qui participent de la régression de l’individu. Serait-ce une façon détourner son regard de ce réel anxiogène ?
La personne dépendante peut se révéler être exigeante voire tyrannique. Elle se montre prête à déployer des efforts considérables pour susciter l’attention et/ou l’amour de l’autre, quitte à se mettre en scène et épouser le rôle de la victime dont la vie pourrait rapidement basculée. Cependant, elle peut aussi tolérer des comportements inacceptables pour ne pas perdre la personne à laquelle elle est tant attachée. En même temps, cette personne peut montrer une certaine intransigeance et une instabilité émotionnelle, semblable à celle de l’enfant qui se refuse de comprendre. Les relations avec des personnes dépendantes sont souvent tumultueuses, ponctuées par des sentiments d’insécurité, de colère, de repentir, de tristesse, de pleurs, de crises existentielles, alternant entre les instants d’amour passion et de haine.
L’une des caractéristiques manifestes des relations basées sur une dépendance affective, est que les partenaires du couple endossent tour à tour différents rôles, passant de celui de la victime à celui de bourreau, du sauveur au sauvé, du dominant au dominé.
Au début de la relation, on pourrait penser qu’il s’agit d’une phase d’adaptation commune à tous les couples, mais la réalité se faisant jour progressivement, l’éthos de l’agent dépendant s’installe de manière prégnante. Dans ce type de relation, il est souvent difficile de distinguer lequel des deux endosse quel rôle. Car les personnes impliquées deviennent manipulatrices, recourant à des subterfuges divers, tels que la maladie, la peur, la vulnérabilité, ou d’autres formes de chantage émotionnel. Parfois, celui que l’on considère comme le bourreau peut en fait être la victime, et la soi-disant victime peut exercer un contrôle sur son partenaire depuis des années parfois, sans même que ce dernier en ait conscience. Des années peuvent s’écouler, avant que les personnes impliquées ne prennent conscience de l’ampleur du problème suscité par une personnalité dépendante.
L’agent dépendant se perçoit en incapacité de susciter l’amour, en raison des multiples rejets et abandons qu’il a subis durant son enfance. Il en vient à croire qu’il ne mérite pas d’être aimé. S’installe alors une lutte intérieure entre deux antagonistes : l’un prônant la capacité à gagner l’amour de l’autre ayant fait défaut durant l’enfance, l’autant se resignant au fait qu’il n’en bénéficiera jamais : ‘’qui va aimer quelqu’un comme moi ? Je n’ai rien en moi qu’on puisse aimer, je ne donne envie à personne !’’ disait Brigitte qui pour se rassurer, choisissait des partenaires inaccessibles, notamment des personnes mariées ou vivant à l’étranger.
Il arrive que certains hommes soient parfois attirés par des femmes fatales, mystérieuses, quasiment impossibles à conquérir, tout en espérant les faire succomber. Ce qui en contrepartie, réhausse l’estime d’eux-mêmes.
Les dépendants affectifs ont tendance à s’identifier et à s’assembler parfois. Une personne en bonne santé émotionnelle, désirant une relation épanouissante, ne tolérera pas longtemps un partenaire dépendant affectif. Il est souvent nécessaire que les névroses s’entremêlent produisant un lien amoureux entre les deux dépendants, partant également du principe que seul un être sensible (plutôt hypersensible) peut comprendre l’autre et inversement.
Néanmoins, il est possible qu’une relation entre dépendants affectifs puisse devenir plus saine. Pour cela, les deux personnes impliquées doivent d’abord reconnaître la présence d’une difficulté à résoudre puis se montrer disposés à travailler sur eux-mêmes. Le travail à accomplir peut nécessiter quelque fois une séparation temporaire. Surmonter une dépendance affective, implique d’apprendre à demeurer seul face à soi-même sans succomber à une quelconque vulnérabilité, sans redouter d’affronter son ombre.
Jouer au sauveur pour se soigner !
Une personne souffrant de dépendance affective peut souvent être attirée par des partenaires qu’elle souhaite désespérément aider, que ce soit des individus aux prises avec l’alcoolisme, la toxicomanie, le surmenage ou provenant de milieux défavorisés. Elle s’engage dans cette mission dans l’intention consciente ou non de devenir l’incontournable mère Thérèsa pour la personne qu’elle entend extraire de ses démons et qui en contrepartie ne voudra plus la quitter. Toutefois, ce type de relation fondée sur des éléments narcissiques et pathologiques, sont susceptibles de générer davantage de torts que de restauration, au point de provoquer des crises à répétitions, voire conduire à des tentatives de suicide ou, dans des cas extrêmes, à un crime passionnel.
Toutes les relations impliquant des personnes dépendantes affectivement ne se terminent pas tragiquement. Néanmoins, beaucoup d’entre elles sont marquées par une atmosphère tendue. La jalousie excessive est un problème majeur dans ces relations, généralement plus accentuée chez la victime.
Les comportements jaloux et le manque de confiance sont des composantes constantes. Ces personnes sont persuadées que leur partenaire les trahira, avec une permanence de figurabilité du pire. Elles ne sont joyeuses qu’en de rares occasions, même en présence de leur partenaire, car leur anxiété fort stimulante pour leur imagination, leur procure bien des occasions de s’inquiéter du pire.
Léo me disait :’’Ma femme déteste me voir pensif, craignant que je pense à une autre femme’’. Cette méfiance peut s’inviter dans les rapports intimes, lorsque la performance n’est pas au rendez-vous :’’allez avoues, tu as couché avec elle, c’est pour ça que tu n’as pas envie de moi’’. L’expression de l’insécurisation d’une personne dépendante n’est pas circonscrite à un thème donné, pis elle ne connait pas de limites. Au travers ce contexte souvent étouffant pour l’autre, au point qu’il désire fuir. L’agent dépendant quant à lui est convaincu que la liberté le conduira à sa propre ruine.
C’est pourquoi, il s’inscrit dans un dilemme majeur : elle ne peut plus vivre avec son partenaire, mais l’idée de vivre sans lui inspire une terreur profonde : ‘’Je voudrais m’échapper de toi, tout en étant incapable de me résoudre à te quitter.” Catulle, Poème 85 disait : “Odi et amo. Quare id faciam, fortasse requiris. Nescio, sed fieri sentio et excrucior.” – Traduction : “Je hais et j’aime. Tu demandes peut-être pourquoi je fais cela. Je ne sais pas, mais je le sens, et cela me torture’’.
Le cerveau du dépendant affectif
« C’est en descendant dans l’abîme que nous récupérons les trésors de la vie. Là où vous trébuchez, là se trouve votre trésor. » Albert Einstein
Toute tentative de rupture s’avère extrêmement douloureuse, nécessitant une période de sevrage apparentée à celle d’un alcoolique qui désespérément se bat pour arrêter de boire, ou à un drogué qui veut mettre un terme à sa consommation de psychotropes.
Les effets du sevrage sont parfois encore plus dévastateurs que l’angoisse ressentie à l’idée de la séparation. Lorsque la rupture survient, la personne peut ressentir des douleurs thoraciques, des difficultés respiratoires, des problèmes gastriques, des troubles du sommeil, des pleurs, de l’agressivité, un sentiment de vide. Le sujet demeure en dépression.
Perdant tout intérêt pour la vie et estimant qu’elle ne vaille pas la peine qu’elle soit vécue. C’est ce qui empêche la plupart des personnes dépendantes affectivement de franchir le pas vers la séparation même lorsque le ou la partenaire est pervers(e). En perdant leur partenaire, devenu le centre de leur univers, ce sont leurs repères qui dans leur intégralité s’effondrent.
Cette série de comportements inadaptés, à savoir une focalisation de l’attention vers le ou les objet(s) d’amour au détriment de tout autre centre d’intérêt. Certains profils étant plus « à risque », notamment ceux avec une conception immature de l’amour, une grande impulsivité, les « séducteurs narcissiques », les personnes présentant un attachement de type anxieux-ambivalent ou une dépendance affective structurelle en font partis.
Un sujet émotionnellement dépendant, est toujours en quête de récompense, qu’il obtient au contact des personnes qui lui sont importantes, notamment avec son ou sa partenaire. Etonnement, il déclenche la même réaction qu’un sujet venant de consommer une substance qui va agir directement sur le centre de récompense du cerveau pour délivrer un high. Cela implique neuro-chimiquement, une libération/sécrétion rapide et intense d’un neurotransmetteur qu’on appelle la dopamine. Accéder à l’objet de dépendance, c’est emprunter la voie d’accès la plus rapide vers la récompense, mais bien qu’à terme comme nous l’avons évoqué plus en haut sur le registre comportemental, la conséquence peut être dévastatrice pour la santé physique et mentale.
Néanmoins, l’intensité de la jouissance obtenue dans une temporalité éphémère, constitue un argument de poids en faveur d’une répétition, face auquel la volonté déclare forfait dans une majorité de situations. De fait cette absence d’endurance, affaiblit graduellement le cortex préfrontal, qui incarne le centre de prise de décision du cerveau. Dit autrement, plus on multiplie les expositions à l’objet de dépendance, moins on lui résiste, moins on se montre capable d’en être affranchi et plus on en demeure esclave.
Lorsqu’un sujet dépendant est au contact de la personne vis-à-vis de laquelle, il éprouve une soif intense de proximité, cela déclenche un stimulus puissant dans le noyau accumbens, un groupe de cellules nerveuses situé sous le cortex cérébral, qui réagit en libérant une quantité importante de dopamine. La dopamine, souvent surnommée « molécule du plaisir », est plus précisément un neurotransmetteur qui sous-tend la motivation, en concentrant l’attention et en poussant les individus à poursuivre des objectifs spécifiques. Toutefois, une fois la satisfaction obtenue, le sujet aspire à réitérer l’expérience. C’est précisément cette même dopamine, qui exhorte ces répétitions procurant un plaisir.
Nous pouvons par conséquent, considérer la dépendance comme une manipulation du cerveau par l’objet déviant ou addictif, créant ainsi un moyen direct de s’assouvir dans l’immédiateté.
Le processus de dépendance, altère le câblage neuronal de plusieurs manières. Il stimule le noyau accumbens, et cette suractivité affaiblit progressivement sa connectivité avec le cortex préfrontal, responsable de la prise de décision, du jugement, et du contrôle des impulsions, caractéristiques de la dépendance.
Les recherches en neurosciences étayent l’idée selon laquelle, la dépendance est une habitude profondément enracinée et auto-entretenue, grâce au remodelage rapide des circuits cérébraux, alimenté par la puissance de la dopamine. Sous l’emprise de celle-ci, le cerveau devient particulièrement enclin à rechercher l’agent déclencheur de plaisir, en concentrant l’attention sur tout ce qui y est associé et en éliminant les connexions nerveuses qui réagissent à d’autres stimuli. Le dysfonctionnement biologique des zones de prise de décision dans le cerveau explique les raisons qui encouragent les personnes dépendantes à réitérer leurs expériences, en dépit de toute conscience des conséquences négatives et des bénéfices qui résulteraient de l’arrêt de cette exposition à l’agent déclencheur.
Contrairement à l’idée de maladie, les changements cérébraux induits par la dépendance ne sont pas le résultat d’un dysfonctionnement biologique. Bien au contraire, ces changements témoigne des mécanismes neuro-adaptatifs ou neuroplasticité, qui est cette capacité normale du cerveau à adapter la réponse en fonction de l’expérience. C’est un principe essentiel à tout processus d’apprentissage. Le cerveau connait des altérations constantes, synonymes d’adaptation et c’est ce qui permet à tout sujet de pouvoir se mesurer à l’évolution du monde réel qui est l’unique condition favorisant la survie. Toute altération est synonyme de recâblage neuronal.
Lorsqu’on nous usons du qualificatif de maladie pour définir la dépendance, c’est pour mettre en évidence la souffrance résultant de la difficulté à adopter une attitude de résistance et de maitrise de soi face à l’objet vis-à-vis duquel le sujet est addict ou dépendant. Par ailleurs, pour des raisons administratives, imputer à la dépendance le qualificatif de maladie, permet une prise en charge par les assurances.
Beaucoup s’interrogeront sur le fait que ces altérations cérébrales survenues par la dépendance, sont ou non réversibles ? En d’autres termes, peut-on en sortir ?
Comme nous l’indiquions ci-dessus l’altération cérébrale, est l’essence même de l’apprentissage. Par conséquent, le processus de guérison est lui-même caractéristique d’un apprentissage ou d’un réapprentissage et donc d’un recâblage neuronal. Dans la mesure où, il s’agit d’un renoncement au principe de plaisir pour adopter celui de la nécessité d’une bonne santé, le processus s’avère plus laborieux, car il se centralise sur l’effort persistant, auquel nul mécanisme de plaisir n’est associé.
Plusieurs autres composantes du cerveau sont impliquées dans la dépendance, notamment les neurones dopaminergiques, l’amygdale et l’hippocampe. Ces régions contribuent à différents aspects du processus de dépendance, notamment la recherche de récompense, la prise de décision, la gestion des émotions et la formation de la mémoire. Reprenons :
• le noyau accumbens, constitue un amas de cellules sous le cortex dans le cerveau antérieur basal suscitant le désir de poursuivre un objectif. Il est un acteur clé dans les circuits de récompense du cerveau et libère de la dopamine en réponse à des expériences positives et à l’anticipation de telles expériences.
• les neurones dopaminergiques, sont concentrés dans le noyau accumbens et forment des voies de connexion à d’autres parties du cerveau lorsqu’il est activé par des expériences positives.
• le cortex préfrontal, siège des fonctions exécutives telles que le jugement, la prise de décision, le contrôle des impulsions; il s’affaiblit progressivement en réponse à la suractivation des circuits de récompense par le recours à des paradis artificiels et/ou éphémères.
• l’amygdale, enregistre la signification émotionnelle des perceptions, est très sensible aux signaux liés à la drogue et se met en mouvement la montée et la chute de l’envie.
• l’hippocampe, siège de la mémoire ; sous l’influence de la dopamine, la mémoire d’une récompense attendue entraîne une suractivation des circuits de récompense et de motivation et une diminution de l’activité dans les centres de contrôle cognitif du cortex préfrontal.
La dépendance affective suscite un inconfort voire un état quasi pathologique de par les craintes et les inconduites qu’elle engendre : la peur d’aimer, d’être aimé, d’être abandonné, de ne pas être à la hauteur, d’être rejeté, de se dévouer excessivement pour les autres, de subir l’exploitation, de se retrouver seul ou en compagnie d’autres personnes.
Au fil du temps, les mécanismes adaptatifs permettant de faire face à la souffrance, perdent de leur substance, ils sont bien plus des actes et/ou des produits anesthésiants que de stratégies visant à s’en défaire. Certains s’adonneront au travail, à la consommation excessive d’alcool, de drogues, de médicaments et de tabac, de nourriture, à de la masturbation compulsive, à des jeûnes, à la pratique intensive d’un sport, au sommeil excessif, à de la lecture intensive, , et bien d’autres encore.
Les anesthésiants procurent une récompense immédiate en engourdissant la souffrance, mais nécessitent des doses de plus en plus importantes pour demeurer efficaces, tout comme un buveur qui journellement accroit les quantités d’alcool absorbés. Il en est de même pour les personnes incapables de demeurer loin de l’être aimé et qui n’ont de cesse que de vouloir multiplier les instants de proximité et dont la satiété reste inatteignable. En effet, les émotions peuvent être si fortes qu’elles délitent le sens de la réalité, maintenant le sujet dans une subordination vis à de ses sentiments, plutôt que de son jugement.
S’affranchir de la dépendance requiert un temps plus ou moins long et la première des vertus avec laquelle faudrait-il renouer ou développer, c’est la patience, dont nombre de patients manquent atrocement.