Le courage, comme souci de soi.

Le courage né du territoire de l’incertitude, dans lequel la vision est trouble, l’obscurité dense, les abîmes plus profonds les uns des autres, procurant le sentiment qu’on peut y chuter librement sans parachute. Un territoire où la peur, le renoncement et la morosité croissent comme une végétation. Nul ne voudrait y résider pourtant densément peuplé par ceux qui doutent, ceux qui chutent, ceux qui dépriment et ceux qui se dévitalisent.

Fuir ce territoire, c’est ce à quoi chacun aspire en permanence. Lorsque le traumatisme conduit le sujet à l’habiter, il nécessite l’aide d’un tiers vivant, ou mort, d’un livre, d’une figure mythique, d’un proche, d’un ami, d’un thérapeute pour l’en sortir.

Cheminer vers soi, c’est emprunter une voie non linéaire, c’est faire appel à des ressources, dont on se croit souvent dépourvu et/ou privé. L’idée étant d’aller les chercher, les glaner dans n’importe quel lieu où elles se trouvent. Certaines personnes douées semblent en disposer et qu’il leur suffirait d’aller les cueillir pour s’en servir. D’autres ont l’impression d’être des coquilles vides. Elles peuvent comprendre ce qu’il convient de faire, pourtant elles se sentent dans l’incapacité de les utiliser. Affirmer qu’on dispose de ressources, ne signifie pas qu’on soit en mesure de les utiliser.  On peut rêver d’avoir faim, parce que la faim n’est pas au rendez-vous, bien qu’on estime que se nourrir soit une nécessité. On peut être entouré de proches mais ne pas les trouver au moment où l’on en a besoin. 

Socrate[1] considère le courage comme la science (le savoir)  qui consiste à différencier ce dont il faut avoir peur de ce que nous n’avons pas à craindre.

Le courageux selon Socrate, n’est pas seulement celui qui demeure dans les formes de la pratique guerrière. Mais celui qui affronte les périls auxquels il s’expose volontairement ou parce qu’il y a été entrainé. Celui qui lutte contre la maladie, contre la pauvreté ou les vicissitudes de la vie. Celui qui combat ses propres limites pour se sortir du malheur.  

Faisons un bref détour par l’élucidation de la souffrance et du malheur. Les souffrances sont la résultante d’une confluence de causes. L’individu dispose d’un pouvoir d’action sur certaines de ces dites causes, tandis que vis-à-vis d’autres, il est impuissant. Comme le fait de naitre avec un handicap, ou d’être victime d’une catastrophe naturelle, ou subir la perte d’un être cher… Par conséquent, la souffrance suppose d’endurer quelque chose de pénible.

Le malheur constitue quant à lui, la façon dont un sujet va interpréter et se représenter la souffrance et influera sur sa façon de le vivre. Le malheur peut en effet être lié à des douleurs physiques et à des souffrances morales mais ça n’est pas l’essentiel de ce qu’il est. Si nombre de personnes ne distinguent par entre ces deux notions, qui procurent parfois la nette impression de se fondre l’une dans l’autre, c’est parce que la perception est mal maitrisée. Pourtant, il suffirait parfois de teinter différemment cette perception pour que la souffrance prenne une dimension autre et que la charge émotionnelle du malheur soit réduite à son minimum, voire se délite. Parler de courage, n’a pas donc qu’une connotation pulsionnelle, viriliste ou guerrière, c’est aussi colorer nos représentations dans la tonalité de l’esprit qui se veut résilient. Être résilient n’est pas être résistant, mais aspirer et agir en faveur d’un nouveau développement que l’on se donne.

Il ne s’agit pas d’être dans l’apparence ni dans la démonstration, mais dans le souci de soi faisant partie de cet acte de résilience et cela transite par des actes de courages.

Se soucier de soi, suppose de se connaître soi-même. Se connaître soi-même, c’est percevoir ses limites, celles qu’il convient de dépasser et celles qui se doivent d’être respectées. Avoir la connaissance de ce qu’il faut redouter n’est en rien antinomique avec le courage. Et pour cause la peur est une émotion primaire faisant partie du cerveau reptilien, inhérente au monde animal. La peur est un signal d’alerte, elle a son utilité jusqu’à un certain niveau, au-delà elle paralyse nos fonctions cognitives et dilue notre cohérence. Avoir peur, ne dit en rien sur l’entière intégralité de l’être.

Le risque dans le sens où la complexité de certains paramètres entrave la prévisibilité de phénomènes. En écarter certains, se préserver d’autres, restent de l’ordre du possible, il en restera toujours une proportion dotée du statut d’imprévisibilité. Toute action comporte son lot d’incertitudes, vis-à-vis desquelles, il s’agit de composer. S’y refuser, c’est renoncer à l’action.

Socrate invite à prendre le risque de la pensée parce que c’est lui qui donne le prix de la vie. Comment se dessine alors le nouveau territoire du courage qui est celui de la construction de l’individu c’est-à-dire la construction de soi ?

Dire que le courage représente une certaine fermeté d’âme est un insuffisant pour certains, inexact pour d’autres. Le courage, c’est autant de fermeté d’âme qui se conjugue à une dissection des choses. Plus simplement, les choses doivent être réfléchies pour être constructives, autant celles qui s’accompagnent d’une irréflexion, est malfaisante.

Le courage c’est la fermeté réfléchie donc une intelligence des choses.  La connaissance des choses nous fait connaitre ce sur quoi nous pouvons compter et ce sur ce qui constitue un risque. Elle nous fait connaitre les limites de choses et en confrontation avec les nôtres, on déterminera celles qu’on pourra franchir de celles que nous ne pourrons risquer.  Lisons la déclaration de Nicias [2]:’’ …je ne donne le nom de « courageux », ni à ces bêtes brutes, ni à aucun être à qui l’absence de raison permet de n’avoir pas peur de ce qui est à craindre ; mais celui-là, je l’appelle impavide et fou…’’

L’audace, l’impavidité, la témérité s’accompagnent de légèreté, c’est aux antipodes du courage, qui lui nécessite réflexion et mobilisation.

L’individu est dans une évolution constante c’est-à-dire dans un mouvement permanent. La pensée linéaire qu’on a longtemps enseigné dans les facultés de médecine, à savoir une cause provoque un effet est totalement désuète et surtout inexacte. C’est une conjonction de causes qui produisent un effet, ce qui représente l’essence même de la pensée systémique.  Cette dimension s’applique tant aux sciences dures (les sciences de la nature (biologie, chimie, astrophysique)… qu’aux sciences formelles (mathématiques et logiques)). Sachant, qu’un effet pouvant être aggravé, ou amélioré, ce qui dénote bien d’un mouvement ou d’une évolution.

L’être humain est la seule espèce vivante à avoir une représentation du temps, qu’il meuble par des rêves, des espoirs, des angoisses.  S’il vit un moment de découragement, il risque d’anticiper sa vie comme un découragement, exemple : « je vais finir à l’hopital… Je ne vais pas être reçu à l’université….’’ la crainte de ce qu’il pense qu’il puisse se produire, finisse par aboutir. ‘’La crainte sont les maux auxquels on s’attend[3]. ‘’

Ces peurs, ces craintes sont configurées par le milieu. Il y a quelqu’un autour de soi qui va s’imprégner en nous, l’un de nos proches, ou un instituteur… Nous pourrions presque dire que le moi n’est jamais seul. Ce qui existe en l’autre, va être apposé en soi. Nous sommes structurés par les représentations de l’altérité c’est-à-dire les colères, les sourires, les sentiments, les croyances, de l’autre vont y déposer une emprunte en soi. Notre monde intime est structuré par l’autre. L’autre est un tout qui remonte jusqu’en des temps immémoriaux.  Il y a de l’autre en soi, comme le disait C.G. Jung : » nous sommes d’un âge immense ».

Notre représentation du temps, va se conjuguer avec ce sentiment de sécurité ou d’insécurité, ainsi un sentiment d’espoir ou d’angoisse en seront perçus.

Tisser une représentation donc un sentiment, suppose d’aller puiser dans notre base de données de souvenirs, dans le langage de celui et/ou de celle ou de ceux qui ont imprégné notre mémoire, mais également les relations nouées et le temps. Tout ceci structure notre monde intime.

Se construire soi-même implique la présence de l’autre auprès de soi. Le premier individu à accompagner les premières années d’existence, c’est la mère. Au moyen de la neuro-imagerie nous pouvons visualiser les circuits neuronaux tissés grâce à la présence de la mère. Nous disons la mère car c’est elle, qui dans la majorité des cas demeure auprès du bébé. Ce peut être aussi la nounou ou n’importe quel tuteur affectif. Les aptitudes d’un bébé préverbal permettent d’éprouver une information comme une alerte ou une exploration. Le bébé en fusion avec la mère durant la gestation, ne pourra s’affranchir d’elle et devenir lui-même, que grâce à la présence de l’autre.  Lorsqu’un individu parle, il ne peut devenir sujet de sa parole que s’il se fait une représentation de son histoire. Les expériences de vie, tels que les traumatismes, les réussites… font de l’individu le sujet de son vécu. L’acte qui fonde l’individu comme sujet.

Le courageux n’est désigné comme tel que par rapport à l’acte accompli. Le courageux est celui qui initie la chose, par décision pure et réfléchie et qui poursuit son acte. Il ne sera désigné ainsi, toutes les fois où il aura pu démontrer son exemplarité, car le courage est sans capitalisation possible. Faire preuve de courage une fois, n’augure aucunement d’autres actes de courage. Il faudra recommencer avec la même ferveur, la même mobilisation, le même processus qui permet d’aboutir à une décision entérinant un acte réfléchi.

Le terroriste n’a pas cette capacité d’accès aux ressources. C’est pourquoi il se donne la mort en même temps qu’il la donne aux autres. Il est incapable de lutter contre ce sentiment mortifère, cette pulsion d’autodestruction. Pour y parvenir, Kant invitait à : »sortir de l’état de minorité» et oser penser par soi-même. C’est un acte qui requiert un phénomène d’autorisation énergivore.

S’autoriser à passer à un acte réfléchit, consiste à se distancer de quelques empreintes de l’altérité à considérer ses propres limites à tenter de les dépasser. Ce qui compte n’est pas tant la victoire mais davantage de mener ses propres combats. C’est ce qui extirpe le sujet individué de l’être.

Achevons temporairement le courage par Sénèque – les questions naturelles  II: « Que le désespoir donc nous inspire du courage. Les animaux les plus lâches, que la nature a créés pour la fuite, quand toute issue, leur est fermée, veulent tenter le combat malgré leur faiblesse. Il n’est point d’ennemi plus redoutable que celui dont l’audace est excitée par le désespoir ; la nécessité provoque toujours des efforts plus irrésistibles que le courage seul. Un grand coeur, lorsque tout est perdu, se surpasse ou du moins reste l’égal de lui-même ».


[1] Les Lachès –Platon

[2] Le lachès – Platon p28

[3]  Le Lachès – Platon p30

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