Nous sommes issus d’une cause qui nous a précédé, laquelle étant l’union de deux cellules opposées. En l’absence de cette cause, nous ne serions pas. Nous devrons à notre tour, unir nos cellules reproductrices au genre opposé au notre, pour que naissance soit donnée à un nouvel être et ainsi de suite. Cette chaîne des causalités, met en exergue la relation de dépendance de chaque individu avec celui qui l’a précédé et ce jusqu’aux premières cellules qui ont fusionné. Quel que soit le mode de fécondation choisi, chaque espèce animale est déterminée par celle qui l’a précédé.
Sommes-nous donc tous voués à être dépendants, notre existence durant ?
Les lois de la nature font que la mise au monde d’un être, est synonyme de détachement avec l’enveloppe matricielle qui l’aura abrité et couvé pendant la période de gestation. La psychanalyse interprétera cette expulsion du paradis comme un traumatisme, puisqu’il est question d’une séparation avec l’enveloppe matricielle, d’une première mort. Néanmoins, il est aussi question de par cette expulsion, de la naissance du moi, un moi séparé de l’autre qu’on va accompagner dans son développement, c’est à dire le rendre plus autonome tout en espaçant et de plus en plus la réponse à ses besoins, afin qu’il apprenne à le faire de lui-même.
Les lois de l’évolution de l’organisme, sont telles que les organes développés durant la période de gestation, permettent au corps d’assurer une autogestion pour exister en l’absence de tout étayage physiologique, la pression du milieu étant ce qu’elle est, favorise de l’adaptation. La relation causale avec l’être qui nous a déterminé, va être modifiée à partir de l’évènement de la naissance. Le bébé une fois au monde, ne sera plus nourri par les mécanismes biologiques de la mère, mais connaîtra une autre forme d’étayage. L’enfant, plus habile avec le temps, se passera de cette assistance et demeurera capable de répondre aux besoins de son corps et ainsi en sera-t-il pour l’adulte. Nous observons que la relation de dépendance à l’autre s’altère grâce à des processus adaptatifs, notamment par l’acquisition de gestes plus précis, et d’habilités de façon générale. L’être ou les deux êtres par lesquels l’individu est venu au monde, devront accompagner l’enfant dans son développement physique et psychologique pour le conduire vers une autonomie progressive tout en lui apprenant à se sécuriser vis-à-vis de ce monde qu’il découvre à chaque fois davantage et ce jusqu’à la mort. Cela sculptera son comportement.
Qu’est ce qui fait que certains connaissent un développement adéquat toute leur vie durant et s’autonomisent, tandis que d’autres restent craintifs et dépendants ?
Nous définirons la dépendance comme une attitude compulsive engendrant un désir incoercible et pressant de consommer, ou encore lorsqu’il s’agit d’une dépendance vis à vis d’autrui, comme une incapacité à se passer de la présence de l’autre pour penser et agir.
Se sentir dépendant, c’est être persuadé que l’autre est aussi vital que l’eau est à la vie. C’est être pénétré par l’idée selon laquelle, sans l’autre, sa propre vie est insipide, malheureuse, ne peut être vécue sans béquille parce qu’il demeure impossible de prendre appui sur soi-même. C’est faire taire son libre arbitre par incapacité de penser par soi même et prendre des décisions si ce n’est parfois par mimétisme. C’est se soustraire aux exigences de sa propre existence et démontrer une impuissance.
L’image de soi en est écornée et amoindrie. Le sujet se perçoit comme inapte à répondre à ses propres nécessités et se sent indigne d’être aimé, tout en considérant les autres comme porteurs de la responsabilité de son malheur. Par conséquent et au nom de la sauvegarde de son propre être, le sujet dépendant se mettra en quête d’un rédempteur sur lequel s’appuyer, ou qui le prendra en charge, ce peut être une personne, une idéologie, une religion, un dieu, un alcool, une substance… (ou tout cela en même temps) et permettra en même temps de conjurer ses angoisses, de refouler ses carences et de ‘‘parsemer ses sentiers de pétales de roses’’, même s’il ne s’agit que d’un miroir aux alouettes.
Cela ne signifie pas que toute personne croyante, ou militante pour une cause, soit affectivement dépendante, mais elle ne le deviendra, qu’à la condition où elle demeure en état de passivité, attendant que le rédempteur qu’elle se sera désignée, fasse les choses pour elle, quitte à s’en oublier voire même renoncer à sa propre identité. S’en remettre à la puissance d’un rédempteur (personne, drogue, sexe, être divin…), c’est le doter de tous les pouvoirs, notamment celui de lui confier la responsabilité de son propre malheur autant que de son propre bonheur, cela revient à lui sacrifier sa propre liberté, à lui être soumis, à obéir à ses injonctions et à courir après sa validation. Quelle souffrance, surtout lorsque celui use de sa position dominante et fait preuve de perversion !
Quels rôles ont les croyances dans la dépendance ?
Les croyances limitantes se fondent sur des certitudes inexactes, conduisent vers des schémas de vie compromis. Les personnes ne fonctionnant que sur un modèle de certitudes toutes prêtes, ont un ennemi redoutable : le doute, qui est synonyme et vecteur d’angoisse. Elles préféreront les certitudes fausses et non fondées qui rassurent aux doutes qui tourmentent, terrifient, insécurisent, mais libèrent et font grandir. L’incertitude les met en suspension et les fige. Pour échapper à cet inconfort anxiogène, elles se retranchent dans un fixisme à l’intérieur duquel, elles ont tissé une vision simple et schématique du monde, donc lavée de toute peur. C’est pourquoi, alors qu’elles se perçoivent en incapacité de valider leurs propres réponses, elles s’en remettent à l’autre.
Donner un sens à sa dépendance, c’est avant tout se saisir d’un leurre et y trouver un bienfait qui lénifie : “jouer compulsivement au casino, permet d’espérer et d’échapper à la réalité : je suis certes déçu quand je perds, mais un jour, je gagnerai, c’est pourquoi, il me faut continuer” … « Si je ne bois pas le soir, je ne trouve pas le sommeil ». « J’adore faire plaisir et si je ne le fais pas, on ne m’aimera pas’’. « Fumer des joints et me masturber m’aident à rester calme, sinon je risque de maltraiter mes enfants » « Si je travaille mal en classe, mes parents me haïront » « Si je deviens pratiquant et fais de bonnes actions, Dieu me viendra en aide et me rétribuera, sinon Il me punira », «Je connais bien ma fille, je sais ce qui est bon pour elle. Bien qu’elle soit majeure, elle ne sait pas. Elle sait que sa mère ne cherche que son bonheur, donc il faut qu’elle m’écoute » « si tu ne m’écoutes pas, il ne t’arrivera que des malheurs. Mieux vaut que tu le fasses sans poser de questions, sinon je ne vais rencontrer que des problèmes » « si tu veux qu’on t’aime, il faudra nous faire obéir. Je dois me conformer pour être aimé » « si tu veux que Dieu t’aime, faudra faire tout ce qu’Il te dit. Mais si tu as des problèmes, c’est que tu n’honores toujours pas Sa volonté » « Lorsque tu seras grand tu comprendras, pour l’instant tu es encore petit pour comprendre. Il/elle a raison, je ne suis pas capable de comprendre » etc.
Succomber à l’objet de dépendance, revient à consommer un sédatif. La croyance qui la sous-tend, suscite un besoin qu’elle entretient et qui s’accentue jusqu’en devenir indispensable pour un équilibre déjà précaire. De très nombreuses croyances comme celles que nous venons d’évoquer, faussent le jugement des dépendants affectifs.
Le spectre des croyances est ample et leurs thèmes sont multiples : des croyances sur soi, sur l’altérité, sur l’environnement, sur l’existence…L’individu y a recours par nécessité et ne peut en faire l’économie. Celles-ci sculptent son appareil psychique, teintent ses émotions, façonnent ses représentations, induisent des comportements, des décisions et un habitus.
Le développement de l’enfant se consigne dans la satisfaction du désir de ses parents qu’il admire et vis-à-vis desquels il aspire à être. Cette dépendance affective fondée sur cette quête d’amour et de reconnaissance suscite en lui une acceptation totale des choses et parfois des pires : vexations, intimidations, menaces et toutes sortes de souffrances… L’enfant vit avec un impératif catégorique qui est celui de ne jamais décevoir. Ce destin par procuration peut conduire à la réussite, c’est ce qui visé. La réalité démontre davantage, qu’il est inducteur de renoncements et d’échecs. Renoncement, car certains suspendront leurs études ou d’autres les achèveront et feront autre chose ensuite, prenant conscience que les choix pour lesquels ils ont opté dans le passé, ne sont pas les leurs, que la réussite même avec brio, n’est pas la leur, mais celle de leurs parents. En effet, les parents en tireront une certaine gloire, mais seront les seuls à en jouir. L’enfant n’aura été instrumentalisé qu’à des fins de compensations de frustrations, face à des désirs inassouvis, des rêves non réalisés.
L’émergence de ces points dans la famille devient vite culpabilisante parce qu’elle peut marquer la perte de l’amour parental mais aussi le sentiment d’incompétence et d’indignité.
Il existe en revanche, des croyances stimulantes qui entretiennent non seulement sa propre puissance d’agir, mais son estime de soi : « ce domaine m’intéresse, je sais que je peux y arriver », « les inconnus ne sont pas tous méchants, je gagne à faire certaines connaissances », « l’erreur possède des vertus pédagogiques »..
A l’opposé des croyances limitantes, celles-ci suscitent le besoin d’aller vers, de se construire, de tisser des liens productifs et entretiennent une bonne hygiène mentale. Il n’est évidemment pas question de tomber dans le déni, en se disant que tout va bien et que tout ira de mieux en mieux sans agir en conséquence. Les croyances stimulantes, se fondent sur des certitudes qui se démontrent et/ou s’observent, c’est pourquoi elles suscitent le désir de continuer de s’épanouir et donner sens au réel.
La codépendance, ancre également son fonctionnement sur des certitudes non démontrées. Elle consiste dans la relation interpersonnelle, à mettre en place un schéma des conduites, à partir desquelles, tout est mis en place pour que l’autre ne puisse se passer de soi.
Une jeune de femme d’une vingtaine d’années, se plaignait de ne tomber que sur des addicts aux stupéfiants. Elle partait du principe qu’elle pouvait s’occuper d’eux et les affranchir de leur dépendance. En réalité, elle savourait et entretenait le fait qu’ils aient constamment besoin d’elle et ne les aidait nullement. Cela lui permettait de réguler sa mauvaise estime d’elle-même.
Une personne vivait avec un conjoint alcoolique. Elle était persuadée qu’elle parviendrait à arrêter ce comportement addictif par la force de son amour. Ce fut peine perdue. Son besoin démesuré de se sentir util, son fantasme quant à sa capacité à soigner son époux, l’entraîneront vers d’âpres désillusions. Eux deux, forment un couple de codépendants. Lorsque deux personnes dépendantes se rencontrent, elles se séduisent mutuellement sur des ressemblances telles que l’hypersensibilité, le manque d’estime de soi, des croyances sur l’existence et sur l’altérité, limitantes. Elles se donnent l’impression de se comprendre et d’être faites l’une pour l’autre, en réalité elles ne partagent qu’une vision étriquée d’une monde, dont la seule souffrance l’habite.
Pierre 41 ans, se plaignait de n’avoir aucun contrôle sur son existence et qu’il manquait totalement d’assurance, en dépit de ses responsabilités professionnelles. Ses parents qui vivaient dans un autre département, étaient en permanence à ses trousses, l’appelant plusieurs fois par jour, même sur son lieu de travail. Pierre ne pouvait s’empêcher de les tenir informer de ces faits et gestes et s’enquérir de leur avis avant toute prise de décision. Alors qu’il partageait sa vie avec une femme sensiblement, du même âge, celle-ci se plaignait d’être envahie par la ‘’belle maman’’ qui au nom du bien en venait à faire de leur intimité, une de ses préoccupations. Pour éviter de se faire éconduire, elle ne tarissait pas de cadeaux et de services envers sa bru, pas plus d’ailleurs que d’acrimonies et de réprimandes en tous genres, lui occasionnant certaines larmes au passage. Pierre a toujours pensé que c’était pour son bien et celui de sa conjointe, que la maman envahissante agissait de la sorte. Jusqu’au jour où sa compagne avait menacé de partir. C’est en allant consulter, qu’il s’était rendue de la dépendance qu’il vivait à l’égard de ses parents, mais que celle-ci étaiet entretenue par une mère perverse qui n’avait de tolérances que vis-à-vis des injonctions honorées par le jeune couple. Lorsque sa volonté était contrariée, elle faisait entendre par son mari, qu’elle convulsait à cause des soucis qui lui étaient occasionnés par ses proches. L’analyse a montré que la maman était codépendante et entretenait ce schéma par des cadeaux et des aides hors normes, pourvu que ses volontés eussent été satisfaites et qu’elle en obtenait reconnaissance.
Encourager une personne dépendante à ne plus l’être, c’est d’abord s’armer de patience et cela consiste à l’inviter à penser par elle-même et à prendre des initiatives. La personne dépendante ne pourra du jour au lendemain, s’abstenir de consulter de nouveau les personnes auprès desquels, elle recherche une validation. Il y aura de sa part de nombreux aller-retours. De plus, bien qu’elle ne soit moins incompétente qu’elle ne se pense, elle est sans doute bien plus dépendante qu’on ne le croit. Il faut par conséquent se garder de tout jugement et lui exprimer que certaines initiatives sont peut être encore pour elles, prématurées et qu’il est préférable pour son image d’elle même, qu’elle les ajourne, notamment à des instants futurs à partir desquels elle se sentira plus forte. Il est à noter que certaines progressions se font lentes. Vouloir accélérer son rythme, c’est lui faire courir le risque d’un découragement. Pour s’assurer de certaines bonnes grâces, le dépendant peut se lancer dans un jeu subtil de générosité, en se montrant toujours serviable prêt à endosser toutes les charges les plus fastidieuses de l’autre et en offrant des cadeaux pas toujours justifiés. Accepter ses faveurs, c’est se frayer un sentier vers l’engrenage, puisque la personne dépendante cherche à pénétrer dans le sillage de son rédempteur. Éviter ces situations pesantes, consiste à baliser la relation avec un certain nombre de limites. Le dépendant, serait tenter d’user de l’arme la culpabilité et de s’ériger en victime, pour éviter de sombrer dans une forme de solitude, qu’elle perçoit comme un abandon. L’idée consiste à la conduire vers un équilibre situé entre dépendance et autonomie.