Les vertus insoupçonnées de l’échec

Echouer c’est apprendre, c’est espérer faire mieux. Confondre échec avec défaite, revient à confondre un seul objectif de vie avec la vie entière. L’échec détermine-t-il la valeur d’une personne ? Si la réponse est non, alors, comment ne pas s’enfermer dans cet engloutissant trou noir de l’échec ?

Si la vie a tendance à être pensée comme une aventure et moins comme une essence, c’est bien parce que nos actes précédent la définition que chacun peut se donner de lui-même. En d’autres termes, l’être humain n’attend pas de répondre à la question du qui suis-je pour agir. Pourtant à y regarder de plus près, l’échec n’invite-t-il pas aussi à cette interrogation permettant d’éviter une répétition de certains scénaris de vie ? Nous y reviendrons.

L’échec comme le succès ne peuvent prétendre de la valeur de l’individu, c’est-à-dire de son essence, mais le projette dans l’aventure d’une existence ‘’nouvelle’’. Dit autrement l’échec comme le succès ouvrent la ou les voies à de nouvelles aventures, de nouveaux chemins qui invitent à l’exploration et à l’expérimentation. La question centrale de l’individu, se pose plus en termes de devenir, qu’en termes de valeur.

L’incarnation de cette problématique est brillamment résumée par le musicien Miles Davis qui, en s’adressant à ses musiciens leur demande de ne pas craindre les fausses notes. Pourquoi ? Car selon lui, il n’y a de notes justes ou fausses que grâces aux notes qui se joueront après et qui témoigneront que les précédentes ont été justes ou fausses. La vie est par conséquent un devenir beaucoup plus qu’elle n’est une essence et c’est ce où nous parviendrons, qui témoignera de bonnes ou de mauvaises décisions.

D’un côté, nous ne savons pas vraiment dans quoi nous embarquons et vers où nous allons et quel sera notre devenir, de l’autre, cela ne nous empêche pas d’engager un pas après l’autre, d’où le paradoxe !

Ecoutons ce que l’échec nous transmet. Nous pouvons considérer d’une part que l’échec n’est pas grave car qu’il correspond à un désir qui se devra d’être réalisé, quel qu’en soit le temps que cela demandera, d’où une volonté de persévérer. Ce qui dénote d’un désir porteur de sens.

D’autre part, nous pouvons voir en cet échec, le signe d’un engagement qui ne nous correspond pas. L’échec exprime par conséquent la mise à terme de l’expérience et l’ouverture de nouvelles voies d’exploration, L’échec, ce peut être aussi ce signal qui consiste à nous informer que la persévérance en l’objectif poursuivi, n’a plus lieu d’être car elle nous conduirait dans une impasse, ou encore, nous mettrait en danger par exemple.

Lorsque l’individu éprouve le sentiment de s’être raté, c’est bien le signe que l’émotion l’a submergé à la suite de ses différents échecs. Il se bâtit la représentation d’un être incapable, et d’une valeur nulle, que toutes ses cartouches sont grillées et que l’espoir d’y parvenir un jour, n’est qu’une chimère qui restera à tout jamais dans le royaume de l’imaginaire. Ses désirs se dissipent, il ne tient plus rien, il n’attend plus rien, il se sent totalement dépossédé.

Pourtant à y regarder de plus près, cette représentation si ternie de soi et de son existence, ne sont-elles pas généralisantes ? Car l’expérience même soldée par un échec, n’était-elle pas riche de sens pour son auteur ? Certes ! Mais sa cécité en la matière est totale, car il associe son ou ses échecs à sa valeur, au lieu de focaliser son regard sur l’enseignement qu’il en tire. Mais il n’est pas le seul à nourrir cette représentation, la société apporte aussi sa pierre à l’édifice de cette croyance, en valorisant la performance. Comme si seuls les gens qui réussissent ont de la valeur, comme si réussir, signifie réussir en tout et partout, comme si réussir tenait au claquement de doigt, alors que la réussite abrite en son ombre des échecs en cascade, qui ne se comptent plus. Walt Disney s’est fait renvoyer par le rédacteur en chef d’un journal parce qu’il « manquait d’imagination et n’avait pas de bonnes idées, il n’y qu’à voir ce qu’est l’empire Dysney aujourd’hui. James Dyson a dû élaborer 5 126 prototypes pour mettre au point son aspirateur Dyson. Vincent Van Gogh a vendu une seule toile dans sa vie, « La Vigne rouge à Montmajour », et ce quelques mois avant sa mort, les toiles de Van Gogh lorsqu’elles sont en vente se chiffrent en millions de dollar. Henry Ford a ruiné sa réputation avec ses activités dans l’automobile qui ont connu l’échec avant que ne soit créée la Ford Motor Company, qui a bouleversé le monde de l’industrie en mettant en place des chaînes de montage….

En d’autres termes, il convient de distinguer entre l’échec par rapport à un objectif donné de celui de l’échec du moi. Reconnaitre l’échec est un préalable nécessaire mais pas suffisant, pour extraire les vertus. Car celui qui échoue et s’en remet aux causes de son échec (qui visent à se disculper) tombe dans un déni qui corrompe toute tentative d’extraire les enseignements nécessaires à la compréhension de cet échec.

L’idée consiste à assumer, c’est-à-dire à accepter ses erreurs, sans s’y identifier, car tout progrès est subordonné au constat de responsabilité vis-à-vis de l’échec. Une partie de l’équilibre psychique en dépend.

Le stoïcien Épictète, penseur de la liberté, invitait à distinguer ce qui dépend de nous de ce qui n’en dépend pas pour pouvoir être libre. Ainsi disait-il :’’ Souviens-toi donc de ceci : si tu crois soumis à ta volonté ce qui est, par nature, esclave d’autrui, si tu crois que dépende de toi ce qui dépend d’un autre, tu te sentiras entravé, tu gémiras, tu auras l’âme inquiète, tu t’en prendras aux dieux et aux hommes. Mais si tu penses que seul dépend de toi ce qui dépend de toi, que dépend d’autrui ce qui réellement dépend d’autrui, tu ne te sentiras jamais contraint à agir, jamais entravé dans ton action, tu ne t’en prendras à personne, tu n’accuseras personne, tu ne feras aucun acte qui ne soit volontaire ; nul ne pourra te léser, nul ne sera ton ennemi, car aucun malheur ne pourra t’atteindre[1]

L’échec prouve qu’en dépit des efforts fournis, il existe un réel contre lequel nous entrons en collision et qui résiste et qui témoigne qu’un certains nombres de facteurs ne dépendent pas de soi, mais avec lesquels nous devons composer.

Il existe deux définitions de l’échec :

  1. L’entrée en collision avec la réalité qui s’est mal passée.
  2. le sentiment d’avoir échoué. Or celui-ci dépend du moi

Ce sentiment d’échec est porteur d’une information importante, non celle qui renvoie à une culpabilité et donc à une autodestruction et auquel cas, aucune progression ne sera rendue possible, mais celle qui invite à observer le réel pour y redéfinir ce qui est important pour soi.

Progresser, c’est conjurer les répétitions de ratage des expériences précédentes, c’est également éviter de s’enfermer dans des définitions de soi qui nous font plonger dans une spirale infernale Le moi est en devenir car il est en permanence façonné et configuré par les expériences au seins de l’environnement dans lequel il réside.

Examiner l’échec, c’est-à-dire le non aboutissement à l’objectif désiré, c’est se donner le temps d’observer et de prendre conscience des désirs qui nous animent afin de réduire les sorties de route et ne pas s’enfermer dans des scénaris de vie déjà vécus. C’est, enfin comprendre que l’on s’engage parfois dans une voie que l’on croit désirée alors qu’inconsciemment nous la refusons.

« Qui veut peut ! » dirons les moralisateurs. Vouloir en tant que c’est une exigence de la volonté, ne suffit pas à atteindre ce que l’on veut, si le désir est absent.

La volonté ne peut s’appliquer que si et seulement si le désir est présent mais aussi profond. Ce qui nous fait conclure que volonté et désir sont deux choses distinctes. Le désir rejoint le monde des émotions et ce sont elles qui feront le sujet se mouvoir. La volonté peut être tout à fait indépendante du désir, en étant l’expression d’un environnement sans que le sujet en fasse l’objet de son désir. Exemple : si tout le monde rêve d’être président (volonté) peut s’en donneront les moyens, d’où une absence de désir.

Enfin, l’échec peut être l’histoire d’une singularité auquel cas, l’individu pourrait un jour parvenir à la faire briller par une persévérance. A contrario, l’échec peut être l’histoire d’un conformisme auquel cas le sujet aura cherché se soumettre à la norme par peur.

L’échec, c’est un verdict rendu par le tribunal de sa conscience.

Néanmoins, nous ne pouvons négliger le regard de l’autre dans la contribution à notre propre échec. Et pour cause, lorsqu’un enfant évolue dans une niche sécurisante et bienveillante, bien qu’ayant échoué des dizaines de fois, son entourage continue de croire en lui, pensant qu’il finira par atteindre ses buts.

Une niche insécurisante et inhibante, effrayée par la singularité et obsédée par le conformisme, fera perdre confiance au sujet qui cumulera les échecs, le plus souvent, faute d’avoir persévéré dans ses expériences.

L’échec rentre dans le registre de la culture, si en France il est culpabilisant, il est aux Etats-Unis admis et réputé normal, quel qu’en soit le nombre.

De fait, dans la culture française on assimilera l’avoir et l’être, le fait d’avoir raté avec le fait d’être un raté. Dans d’autres cultures, l’échec sera synonyme d’expériences, c’est-à-dire avoir appris ce qu’est l’erreur pour qu’elle ne puisse être reproduite.

Si comme le disait le sage Lao Tsou :’’ L’échec est le fondement de la réussite’’ c’est que l’échec est porteur de vertus insoupçonnées.

[1] Epictète, Manuel, I, 1

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2 réponses à Les vertus insoupçonnées de l’échec

  1. A.S. dit :

    Biensur la persévérance fait partie des ingrédients de base pour avancer dans la réalisation de ses désirs, c’est elle qui aussi fait qu’un individu apprend à compter sur le même et parvient à avoir confiance en lui. La confiance en soi se tisse tout au long de la vie en ce sens elle est une résultante in fine de cette persévérance mais également de cette réflexion conduite au fil du temps pour apprendre de ses échecs et de ses succès. C’est une sorte de confluence des vertus.

  2. Joe dit :

    Merci Armand pour cette reflexion hyper instructive et rassurante
    N mandela a dit « je ne perds jamais , soit je gagne , soit j’apprends »
    Il est cependant difficile de sortir de cette spirale d auto conditionnement à l echec qd vs y avez été conditionné d’où Un travail supplémentaire à fournir: le perseverance.. et la confiance en soi

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