Repenser le monde du travail

On estime à ce jour plus de 200 millions de salariés dans le monde ayant perdu leur emploi et des millions d’entreprises ayant cessé leurs activités1. Certains salariés ont eu la possibilité de poursuivre l’exercice de leur fonction sur leur lieu de travail, tandis que d’autres sont passés en télétravail à temps partiel et/ou à plein temps.

La crise sanitaire a généré une nette détérioration de la santé mentale des salariés pour ne parler que d’eux. L’indicateur de santé mentale que l’on nomme détresse psychologique est un répertoire d’attitudes abusives, irrationnelles et surtout inhabituelles chez un sujet. Celle-ci se scénarise tant dans la sphère personnelle que professionnelle.

Le premier déconfinement a vu le niveau de détresse psychologique des salariés régresser, mais repartir significativement à la hausse en se positionnant à plus de 7% par rapport à mai 2020. Près de la moitié des salariés en sont affectés, dont 18% d’entre eux, en détresse chronique.

La détresse psychologique n’a pas épargné près de 58% des managers dont 25% d’entre eux en détresse chronique. Il semble que plus les échelons sont gravis dans la hiérarchie, plus l’exposition au stress devient importante et plus on enregistre de détresse psychologique. Environ un million de burnout.

58% des travailleurs à distance sont en détresse psychologique chronique, contre 53% en hybridation (combinant présentiel et distanciel).

Le travail a une fonction sociale. Or 41% des télétravailleurs perçoivent un isolement, les rapports de socialisation, se font de plus en plus espacés et ne se bornent qu’au stricte échange porté par l’exigence de la tâche. La crise sanitaire risque de faire de plus en plus émerger, une partie de la population active éprouvant un sentiment d’inutilité, du fait de la disparition et du recyclage de certaines professions.

Il devient crucial de repenser les rapports socio-professionnels dans le monde des organisations. Si ces mesures d’isolement venaient à se renouveler, sur des durées de plus en plus étendues, ou encore, si le télétravail devenait tout simplement la nouvelle norme et il le devient de plus en plus, alors faudra-t-il repenser l’épanouissement dans l’enceinte professionnelle. Et pour cause on prévoit, l’émergence d’autres virus et sans doute des expériences de confinement renouvelables. Il n’y a pas que la crise sanitaire qui en soit responsable, elle n’est qu’un facteur précipitant. Les nouvelles technologies, telles que l’intelligence artificielle et les robots et l’immense projet du tout numérique, suscitent à la remise en cause de la façon d’aborder le travail et de travailler par les managers. Les travailleurs dans leur ensemble, exigent davantage d’autonomie et de flexibilité. Beaucoup ont opté pour l’autonomie professionnelle, afin de ne plus avoir à subir les contraintes organisationnelles et ainsi définir leur agenda propre en fonction de leurs aspirations et des contraintes qui en découlent. Être l’acteur de sa propre vie professionnelle, voila ce vers quoi tendent les individus qui veulent aujourd’hui travailler.

La crise sanitaire, conjuguée aux nouvelles aspirations, transitent par un soutien émotionnel et mental de l’ensemble des salariés incluant leurs dirigeants, qui sont tous pour l’heure et comme l’indiquent les chiffrent ci-dessus, confrontés à de nouvelles préoccupations notamment : date de la reprise de l’activité, menace de disparition du métier, reconversion éventuelle, formation.

Parallèlement à cette incertitude accablante et aux nouvelles « normes de proxémie’’, (port de masque, distanciation physique.), la crise sanitaire a brusquement changé la façon dont nous répondons à nos besoins quotidiens et interagissons avec le monde professionnel.

Chaque crise procure son lot de spécificités. Cependant, les bouleversements occasionnés par le COVID 19 et le COVID 2, ont accru de façon paroxystique le niveau d’insécurité sanitaire et économique. Les gouvernements endossent la responsabilité de l’avoir laissé croitre.

L’éclosion de la détresse psychologique, des difficultés psychosociales et économiques engendrent un état qui s’apparente à des traumatismes. Hormis l’incertitude et l’anxiété, l’irritation, la colère, le déni et les idées noires, frappent de nombreuses personnes. La motivation connaît aussi une chute vertigineuse et l’on voit émerger un manque d’entrain, des difficultés à trouver le sommeil et à quitter son lit. S’ensuit un enchaînement de conséquences, comme un sentiment quasi permanent de fatigue, une concentration qui a autant de mal à s’amorcer qu’à perdurer, une tristesse voire une déprime avec une peur du lendemain et l’envie chez certains d’en découdre.  

En l’absence de remédiation, ce stress conduit rapidement à des attitudes inadaptées de coping comme la consommation exacerbée d’alcool, de tabac et/ou de drogues. En d’autres termes, il précipite le sujet dans le territoire de l’addiction. La situation mentale et physique peuvent rapidement aller vers des complications, notamment des délires, de crises de paniques, des infarctus…

Le risque de développer telle ou telle pathologie mentale, est fonction de l’histoire personnelle de sujet, de son patrimoine génétique et des conditions environnementales dans lesquelles il évolue, dont l’environnement professionnel fait partie.

Les dirigeants doivent être au fait des facteurs de stress et de ces maux qui impactent tant leurs collaborateurs qu’eux-mêmes. Notons que le burn-out comme conséquence du stress, a été répertorié dans la classification internationales des maladies2 par l’OMS. Cela de l’impact de cette maladie, sur l’ensemble des économies.

Pour cela, l’altruisme est une valeur qui aujourd’hui, doit pénétrer l’enceinte professionnelle, comme le fait de se soucier du bien-être de l’autre, non dans le but qu’il produise davantage, ou de l’assujettir pour parvenir à ses propres fins ou celles de l’entreprise, mais dans le but qu’il s’épanouisse et qu’il puisse en retour donner le meilleur de lui-même, sans y laisser sa santé.

Il est important que les dirigeants s’entourent de psychologues et de conseillers afin de gérer au mieux les incertitudes des salariés, d’aider à réguler le stress et l’anxiété et d’orienter vers de la résilience. Rappelons, que la résilience, n’est pas synonyme de résistance, mais constitue l’ensemble des habiletés psychologiques permettant à certaines personnes de revenir au moins aussi fortes qu’avant, après avoir subies les revers de l’existence. C’est en d’autres termes, une capacité à aller vers de nouveaux développements. Plutôt que de laisser, les difficultés, les événements traumatisants ou les échecs prendre le dessus, les personnes résilientes élaborent une création à partir de laquelle, elles vont cheminer et sculpter leurs propres sillons.

Si le confinement a réduit la transmission de la maladie, il a accentué l’isolement social par une tenue à distance de l’autre. Or les personnes isolées finissent par développer une peur des autres. Peur d’autant plus importante que le sujet développe une vulnérabilité évolutive qui fonction de la proximité ou de l’éloignement avec l’autre.

Tous les emplois ne se prêtent pas au travail à distance, pas plus que le travail a distance ne convient pas à tous. Les travailleurs devant continuer à se présenter sur un lieu de physique peuvent éprouver des craintes pour leur santé. De nombreux emplois comportent le risque d’être exposés à des personnes malades et asymptomatiques atteintes du COVID-19 – comme le personnel de santé ou toute profession nécessitant un contact direct et fréquent avec le public. Or les personnes vivant seules, présentent une vulnérabilité les rendant plus enclines à être contaminées, qu’à contaminer.

Le télétravail a ses propres exigences, nécessitant de répondre à des questions d’organisations internes au domicile, centre névralgique de l’hybridation, au sein duquel se conjuguent vie personnelle et vie professionnelle. Le stress transite alors d’un domaine à l’autre et plonge l’individu dans un sentiment d’impuissance et de ‘’submersion’’. Télétravailler tout en tentant de superviser l’apprentissage des enfants, relève du défi et donne l’impression d’une dispersion et d’une inefficacité. Il en résulte un épuisement en fin de journée, qui à terme pourrait se solder par une incapacité à fournir.

Les managers sont dés lors confrontés à la question du comment repenser le travail, tout en ayant le souci de la santé de leurs collaborateurs et de leurs clients ? Devront-ils s’inspirer d’expériences d’autres pays, voire faire appel à l’intelligence collective, pour la mise en place de formations des télétravailleurs à ce nouveau type d’organisation. Ce sera en même temps, une façon d’anticiper les futurs fléaux qui viendraient frapper la société.

Nous verrons avec le temps, se mettre en place de nouvelles voies, pour l’élaboration du travail et de la socialisation.

Cette expérience aura un impact significatif sur l’ensemble du monde professionnel et associatif. De nouvelles procédures décrivant la manière dont les salariés devront interagir avec le public, verront le jour et ceux pour lesquels ils fournissent des services.

Nous ignorons dans quelle mesure ces changements profiteront ou nuiront à l’ensemble.

Il en tient à chacun de faire ce changement un Kairos pour sa propre évolution et celle de la société dans son ensemble.

Le but du travail n’est pas tant de nous rendre heureux, même si l’on peut être heureux en travaillant. C’est de pouvoir se procurer le nécessaire à son maintien dans l’existence. L’existence est ici rendue plurielle. Le travail peut contribuer à nous apporter une joie, mais il n’est qu’un maillon parmi tant d’autres dans cette chaîne du bonheur. Pour autant, le bonheur se cultive en acte et par de multiples canaux. Ce peut-être en lisant une poésie, en partageant un repas avec ses proches, en faisant du sport entre amis, en cultivant des tomates, en élaborant une recherche, en se rendant utile aux autres, en admirant un paysage naturel…Le bonheur se cultive à partir d’un pas grand-chose, qui lui peut apporter beaucoup. Il n’est plus question de le différer en se disant que ce sera pour plus tard. Car ajourner un bonheur, c’est accroître vainement sa souffrance et c’est en même temps se contredire, puisque nous le refusons alors que nous y aspirions.

Références:

Stress in the Time of COVID-19. STRESS IN AMERICATM 2020. 2020; https://www.apa.org/news/press/releases/stress/2020/stress-in-america-covid.pdf.

Centers for Disease Control and Prevention. Employees: How to Cope with Job Stress and Build Resilience During the COVID-19 Pandemic. 2020; https://www.cdc.gov/coronavirus/2019-ncov/community/mental-health-non-healthcare.html

Kochhar R, Passel J. Telework may save U.S. jobs in COVID-19 downturn, especially among college graduates. 2020. https://www.pewresearch.org/fact-tank/2020/05/06/telework-may-save-u-s-jobs-in-covid-19-downturn-especially-among-college-graduates/

Smit BW, Barber LK. Psychologically detaching despite high workloads: The role of attentional processes. Journal of Occupational Health Psychology. 2016;21(4):432-442.

Kelly EL, Moen P. Rethinking the clockwork of work: Why schedule control may pay off at work and at home. Advances in Developing Human Resources. 2007;9(4):487-506.

Kang L, Li Y, Hu S, et al. The mental health of medical workers in Wuhan, China dealing with the 2019 novel coronavirus. The Lancet Psychiatry. 2020;7(3):e14.

Pope C. How will COVID-19 (Coronavirus) change the shape of work? 2020; https://diginomica.com/how-covid-19-coronavirus-change-shape-work.

Tan W, Hao F, McIntyre RS, et al. Is returning to work during the COVID-19 pandemic stressful? A study on immediate mental health status and psychoneuroimmunity prevention measures of Chinese workforce. Brain, Behavior, Immunity. in press.

1 https://news.un.org/en/story/2020/04/1061322

2 International Classification of Diseases (ICD)

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