En quoi le rejet social est-il aussi intense qu’une douleur physique ?

« Ceux qui ont souffert, l’éventualité de la souffrance les fait souffrir autant que la douleur même ». Sénèque.

L’être humain fait partie des espèces animales sociales, c’est à dire  revendiquant la présence d’êtres de sa propre espèce pour se sentir heureux et en sécurité. Les espèces sociales forment souvent des groupes, des familles ou des colonies pour faire face aux défis de la vie en communauté : la protection, la nourriture et la reproduction. 

Diversement, d’autres espèces aspirent à la vie en solitaire, notamment : le tigre, le léopard, certaines espèces d’ours, de reptiles comme le boas constricteur, ou encore certains primates comme le gorille de l’ouest..

Certaines espèces peuvent être solitaires à certaines périodes de leur vie, mais vivre en groupes à d’autres moments, tandis que d’autres, sont solitaires face à des actions précises.

Il est également important de noter que certains animaux peuvent être sociaux avec leur propre espèce, mais pas avec d’autres espèces. L’inverse est également vrai.

Comment expliquer qu’une espèce animale comme le tigre, ou certains ours ou reptiles, ne sont pas des animaux sociaux ?

Un certain nombre de motifs pourraient justifier ce pourquoi, certaines espèces animales sont solitaires plutôt que sociales. Ce, pour des raisons de territorialité, de reproduction, de constitution physique ayant un impact sur la nourriture, mais nous n’entrerons pas dans les détails.

Le fait que l’humain soit social, l’expose à des dissensions auprès de ses semblables occasionnant des réactions, notamment : un refus ou un manque d’acceptation d’une personne ou d’un groupe en raison de leur apparence, de leur comportement, de leur race, de leur religion, de leur orientation sexuelle, de leur culture ou de toute autre caractéristique qui les différencie d’un autre groupe social. C’est ce que nous entendons par l’expérience du rejet social. Il peut se manifester de manière distincte par de la marginalisation, de l’exclusion, la stigmatisation, de la discrimination, des moqueries et des insultes verbales, entre autres.

Le rejet peut se manifester de façon paroxystique poussant jusqu’à l’élimination physique d’autrui.

L’expérience du rejet ainsi que nous l’observons au travers cette étude, occasionne une souffrance d’intensité variable pour celui qui la subit, allant jusqu’à son absence pour celui qui en périt.  

Nous circonscrirons toutefois le thème à celle de la souffrance due au rejet, qui selon les chercheurs trouve une parenté neurobiologique avec la douleur physique.  

Les recherches en la matière, observent que les régions cérébrales sous-tendant les composantes affectives de la douleur physique sont également celles de la souffrance psychique.

Deux expériences ont été menées :  

1/ un sujet s’étant ébouillanté l’avant bras à l’aide d’un café brûlant.  La victime ressent alors une douleur intense, sur la surface du derme impactée par le café.  

2/ des photos d’un ex-partenaire ont été projetées à des personnes ayant vécu une rupture non souhaitée, à la suite de quoi, elles ont  éprouvé  un sentiment de rejet avec  une douleur somme toute différente de celui qui s’est brûlé.

À première vue, ces deux événements semblent bien distincts.

Alors que le premier, implique un stimulus corporel nociceptif, le second implique une souffrance au terme d’une relation sociale-amoureuse.

Cependant, les différentes cultures du monde semblent faire usage du même lexique proxémique pour caractériser la souffrance  émanant de deux représentations l’une psychique et l’autre physique notamment,  « blesser, souffrir, douleur, souffrance, avoir mal… »  (1), ce qui soulève la question : dans quelle mesure le rejet social et la douleur physique présentent-ils des similitudes ?

Plusieurs études récentes ont tenté de résoudre cette problématique en examinant le chevauchement neuronal entre la douleur physique et le rejet social.

Un consensus s’est établi entre scientifiques, postulant en faveur de l’hypothèse selon laquelle, le cortex cingulaire antérieur dorsal (CCDA) et l’insula antérieure (IA), deux zones connectées en réseau se situant en arrière plan de l’aspect algogène de la douleur physique (la composante « affective ») sous-tendent également le sentiment de rejet social. Bien plus, les observations à partir d’une IRM fonctionnelle.

Rappelons que le cortex cingulaire antérieur dorsal (CCDA) est une territoire du cerveau niché dans le système nerveux affectif exerçant une fonction non des moindres, dans la régulation de l’attention, de l’affect et de la motivation. Il est en autre impliqué dans la détection de l’incongruité et de l’erreur, ainsi que dans la régulation de la réponse émotionnelle et comportementale en conséquence, mais aussi, dans la perception de la douleur, la régulation de la douleur chronique et la modulation de la réponse émotionnelle à la souffrance morale.

L’insula antérieure quant à elle, sise dans le lobe temporal interne, indispensable dans la perception interne du corps, la régulation de l’affect et la conscience de soi.

Elle est partie prenante dans la perception de la douleur, la régulation des réactions émotionnelles  dues à la douleur, ainsi que dans la perception des sensations intéroceptives : la faim, la soif et la température corporelle.

Enfin, on la retrouve engagée dans la régulation de la cognition affective, de la mémoire émotionnelle et de l’identification des émotions d’autrui.

Ces éléments semblent favoriser la thèse selon laquelle, le CCAD et l’IA répondent aux stimuli suscitant un affect négatif (3).

Il faut noter que le sentiment de rejet, aussi pénible soit-il, semble contraster avec la douleur physique, car il ne résulte pas de la présence d’un stimulus corporel nociceptif.

Il n’empêche comme en témoigne les chercheurs que le chevauchement neuronal entre le rejet social et la douleur physique est plus étendu que ne le suggèrent les découvertes actuelles.

Plus précisément, plus l’intensité de l’expérience de rejet social est importante, plus étendues et stimulées seront les régions cérébrales impliquées à la fois par la composante affective du rejet social  et la composante sensorielle de la douleur physique.

Une rupture amoureuse qui entre dans la rubrique du rejet social comme nous l’avons vu,  peut entraîner une réponse immunologique susceptible d’affecter la production de cytokines.

Les cytokines (4) sont des messagers immunologiques jouant un rôle non moindres dans la régulation de l’inflammation et de la réponse immunitaire. Plusieurs études, mais je ne ferai référence qu’à une seule (5), ont montré que des épreuves âpres de l’existence, telles les ruptures amoureuses, peuvent augmenter la production de cytokines pro-inflammatoires et ainsi contribuer à développer de l’anxiété, de la dépression ou encore des troubles cardiaques.

Cependant, il convient de noter que ces effets complexes, dépendent de nombreux facteurs individuels, notamment les antécédents médicaux et la présence ou non d’un environnement social lénifiant.

La perte d’un conjoint, comme événement poignant de l’existence, a été jointe à une production accrue de cytokines pro-inflammatoires (5) par des leucocytes sanguins périphériques stimulés par des lipolysaccharides in vitro.

Il est fascinant de relever que la rupture amoureuse comme le deuil, sont deux expériences de vie qui connotent la séparation non désirée avec un être aimée. Ceci nous conduit à envisager hypothétiquement qu’une séparation affective non désirée,  soit l’un des facteurs motivant une production accrue de cytokines.

Les recherches actuelles cooptent que la souffrance causée par le rejet social peut être similaire à une douleur physique, car les mêmes territoires du cerveau sont associés à la perception de ces deux maux. De plus, souffrance émotionnelle peut être ressentie de manière aussi intense et durable que la douleur physique, et pourraient entraîner des réactions de défense similaires, telles que la recherche de réconfort ou autres moyens permettant de s’extraire de ces ressentis(1,2,3).

Ces découvertes offrent un nouvel aperçu sur la façon dont les expériences de rejet peuvent conduire à divers ressentis physiques assortis de douleurs (troubles somatoformes, fibromyalgie), mettant l’accent sur le rôle que le traitement somatosensoriel peut jouer dans ce processus. 

Le cortex somato-sensoriel est situé dans la région postérieure du lobe pariétal. Il joue un rôle crucial dans la perception somato-sensorielle, c’est-à-dire la perception des sensations telles que la douleur, la température, la pression et la position du corps. Il traite également les informations provenant des récepteurs sensoriels des membres, de la peau et des organes internes, permettant ainsi la perception consciente de ces sensations et la mise en œuvre de réponses appropriées.

Par conséquent, le cortex somato-sensoriel peut être stimulé par des expériences sociales.

Certaines études (6) montrent  que des interactions sociales positives, telles que les câlins ou les massages, peuvent activées le cortex somato-sensoriel, produisant ainsi des sensations agréables dans le corps. De même, des interactions sociales négatives, telles que la douleur physique ou les réactions douloureuses émotionnelles, peuvent également activer le cortex somato-sensoriel et produire des sensations douloureuses dans le corps  ( 7,8).

C’est pourquoi,nous considérons que les expériences sociales peuvent avoir un impact significatif sur la perception somato-sensorielle.

Quelles stratégies mettre en place pour prévenir et lutter contre le rejet social ?

Plusieurs axes peuvent être envisagés pour prévenir les conséquences d’un rejet social

Se connecter aux autres : cela peut inclure des activités telles que rejoindre un groupe de soutien, participer à des clubs ou à des activités de loisirs, ou simplement passer du temps avec des amis et des proches. Les relations sociales positives peuvent aider à renforcer les sentiments de sécurité et de soutien.

Avoir une attitude positive : cela peut inclure des techniques telles que la visualisation positive et la méditation. En ayant une attitude positive, vous pourrez mieux gérer les situations de rejet social et mieux vous accepter vous-même.

Améliorer sa confiance en soi : cela peut inclure des techniques telles que la réflexion sur ses réussites, la pratique de l’auto-compassion et la prise de décisions positives. En ayant une bonne confiance en soi, vous serez plus à l’aise dans les situations sociales et vous serez moins vulnérable aux situations de rejet social.

Rechercher de l’aide professionnelle : si le rejet social est un problème récurrent pour vous, il peut être bénéfique de consulter un thérapeute pouvant vous aider à identifier et à comprendre les causes profondes de votre vulnérabilité au rejet social et vous fournir des outils pour y faire face.

Il est important de noter que ces stratégies ne sont pas toutes adaptées à tous les individus et peuvent ne pas donner des résultats pour tout le monde. Il est donc important de consulter un professionnel de santé pour évaluer les besoins et les options avant de se lancer dans une quelconque stratégie. Il est également important de se rappeler que le rejet social est un phénomène normal et que personne ne peut être aimé ou apprécié de tous.

  1. https://www.pnas.org/doi/full/10.1073/pnas.1102693108
  2. N Eisenberger, Understanding the moderators of physical and emotional pain: A neural systems-based approach. Psychol Inq 19, 189–195 (2008).
  3. R Peyron, B Laurent, L Garcia-Larrea, Functional imaging of brain responses to pain. A review and meta-analysis. Clin Neurophysiol 30, 263–288 (2000).
  4. https://doi.org/10.1016/j.psyneuen.2018.04.010
  5. https://www.sciencedirect.com/topics/medicine-and-dentistry/cytokine-production
  6. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/22084401/
  7. https://www.nature.com/articles/srep40504
  8. AV Apkarian, MC Bushnell, RD Treede, JK Zubieta, Human brain mechanisms of pain perception and regulation in health and disease. Eur J Pain 9, 463–484 (2005).
  9. AV Apkarian, MC Bushnell, RD Treede, JK Zubieta, Human brain mechanisms of pain perception and regulation in health and disease. Eur J Pain 9, 463–484 (2005

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